De moins en moins nombreux
Nous vivons une époque étrange où ce qui était annoncé se réalise en avance et pourtant, nous tentons pitoyablement de l’ignorer. Depuis des décennies, les scientifiques nous alertent. Leurs prévisions se sont avérées juste en tout point sauf un: Les échéances auront été bien plus rapide qu’annoncées, tout simplement parce que nous n’avons rien fait. Regardons le monde tel qu’il est aujourd’hui. La biodiversité s’effondre toujours plus vite, le climat est entré dans des boucles de rétroactions dangereuses, c’est à dire des phénomènes naturels créés initialement par nos émissions comme la fonte du pergélisol(1) libérant toujours plus de méthane et de CO2 ou des océans en surchauffe qui n’absorberont bientôt plus nos émissions anthropiques (2). Pire encore, c’est la production même d’oxygène par les océans qui pourrait-être réduite.
Bien sûr, il est çà et là des gens qui nous semblent a priori très sérieux et fort diplômés, sachant aussi faire des levées de fond impressionnantes qui nous proposent une révolution verte avec des solutions qui n’attendrait que nous. Ici de la géo-ingéniérie, là des avions verts. Plus loin encore de la capture de carbone pour en faire du beurre (3) et de l’hydrogène pour remplacer le pétrole. Et nous voilà charmés, tout va bien, le monde peut poursuivre sa course vers le « progrès ». Qu’importe en fait que ces projets sont de simples… projet sans l’once du début d’un prototype. Ou que les effets rebonds et déplacement de pollution ne sont jamais montrés.
Pire encore, personne ne posera la question des matières premières nécessaire ou de l’eau indispensable pour nettoyer les métaux rares de ces engins futuristes. Nul ne s’inquiète que le principal et souvent unique soucis de ces start up est de lever des fonds en faisant… rêver. Il faut vendre de la modélisation 3D et du business plan salvateur pour l’humanité toute entière. Les financiers étant ignorant des enjeux et ne maîtrisant pas complètement l’aspect systémique du sujet, il y a moyen d’y gagner quelques millions. Et puis il y aura toujours les plus gros pollueurs d’hier prêt à s’acheter une virginité de surface en devenant plus vert que vert devant et polluer tout autant derrière. Les plus gros investisseurs dans les énergies vertes ou la géo-ingéniérie ne sont-ils pas les pétroliers du monde entier (4)?
Mais un peu de rigueur et un examen un peu sérieux des données nous montre bien que tout cela ne pourra pas vraiment se faire. Ou en poursuivant le chemin vers l’irréversible pour la plupart des êtres vivants sur Terre: Vous aurez vos avions verts pour une minorité lorsque l’Inde mourra de chaud, l’Amazonie aura été réduite en savane, l’Éthiopie emporté par des pluies diluviennes. Car cette croissance matérielle et énergétique permanente ne peut pas tenir. Elle se fait avec du pétrole, des émissions de gaz à effet de serre, des pollutions toujours plus importante. Vous pouvez rêver de fusion nucléaire, la réalité est que le réacteur est bien construit en béton avec du sable pillé transporté par des camions fonctionnant au gasoil. Cette croissance éternelle se poursuivra mais sera restreinte, de plus en plus à une minorité. Elle n’est pas partagée comme elle le fut au XXème siècle pour partie. Elle se garde dans un entre soi qui bien évidemment aura son jet à hydrogène, sa voiture de luxe écologique et son alimentation biologique hors de prix. N’est-ce pas ce qui se produit en ce moment même en Indonésie? Une nouvelle capitale éco-conçue pour le pouvoir, Nusantara. Et au douze millions d’habitantes et d’habitants de Djakarta? Rien, ou plutôt l’attente des catastrophes annoncées… Voilà la réalité de la transition écologique.
Cette transition-là, celle qui se met en place est élitiste. Elle réserve aux plus riches des technologies vertes et surtout un mode de vie sain dans l’idée assez saugrenue que le reste de l’espèce humaine acceptera de subir sans broncher, ignorant tout de ce qui est déjà sur la biodiversité, le climat, leur propre santé. Pourquoi pas… Après tout, la publicité laisse à croire que réussir aujourd’hui, c’est avoir un SUV. Et les écologistes qui auraient la mauvaises idées de rappeler les chiffres des éco-terroristes ou des pissefroids détestables…
… et pourtant
Il est une autre voie que cette croissance matérielle et énergétique infinie pour un nombre toujours plus restreint de personne. Celle d’une croissance de l’immatériel pour le plus grand nombre dans une recherche de sobriété. La croissance de l’éducation, de l’égalité femme/homme, de la démocratie, de la culture ou encore de la santé sont autant d'autres façons d’envisager le progrès. Certes, cela vend moins d’IA, d’applis sur smartphone et de greentech… Mais c’est aussi une bonne façon de développer des valeurs comme l’empathie, la générosité, la sobriété dans un cadre sain et surtout partagé par le plus grand nombre. Avec plus de démocratie, de débat, de dialogue. Cela prend plus de temps mais est-ce si important d’aller vite dans le mur ou de construire plus lentement l’Humanité?
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La question essentielle de l'écologie aujourd'hui est une question de partage et de temporalité. Que partageons-nous et avec qui dans un temps maintenant restreint. Et pour en faire quoi? Une infime minorité a déjà répondu à cette question: Jouir, seul, au maximum de tout sans contrainte pour soi-même. En avez-vous les moyens, en serez-vous? Car si vous en doutez, sachez que celles et ceux qui pourront d'ici peu s'offrir encore cela seront de moins en moins nombreux.