Canal Seine Nord Europe
Si la persévérance peut s’avérer une qualité, l’obstination ne saurait l’être. Il en est ainsi du canal Seine-Nord Europe. Initié en 1993, cette voie fluviale colossale est le pur produit des rêves de mondialisation qui prévalait: Une liaison pour barges géantes avec peu de personnel entre Anvers/Rotterdam et le bassin parisien. La possibilité de transférer les portes conteneurs venant d’Asie, toujours plus gros, sur ces barges pour inonder l’Île de France de made in China.
Bien évidemment, un tel projet ne se fait pas en quelques jours et rencontre des oppositions. Mais la persévérance finit par devenir obstination et les travaux ont commencé. Nous voilà donc avec un ouvrage en 2022 qui ne correspond plus à notre époque.
Aberration sociale
C’est tout d’abord une aberration sociale multiple. Cet ouvrage va favoriser le débarquement dans les ports néerlandais des produits importés qui viendront donc prendre autant de cargaisons qui aurait pu être livrées au Havre, par exemple, puis remonter la Seine. Adieu l’emploi dans les ports français puisque les Pays-Bas étant un paradis fiscal, il sera bien plus intéressant de bénéficier de ses avantages. C’est aussi une aberration industrielle nationale: Construire un immense canal pour nous inonder encore plus facilement de produit chinois alors même que nous parlons de réindustrialisation? Déjà les constructeurs automobiles européens voient arriver des véhicules électriques chinois à prix cassé: MG commercialise cette année sa MG2, concurrente directe de la Megane électrique mais coûtant dix mille euro de moins et en plus recevant la même prime que le véhicule de Renault fabriqué à Douai. Concurrence libre et non faussée? Au nom de l’emploi créé momentanément sur le tracé du chantier, combien d’emplois sacrifiés dans nos ports, dans nos usines par cette brèche béante ouverte pour les importations asiatiques. Le canal Seine Nord Europe est une saignée pour nos industries qui seront mises encore plus facilement en concurrence face à ces importations.
Aberration écologique
Décider d’un canal à grand gabarit en 1993 n’implique pas que ce projet soit pertinent en 2022. Un canal, c’est beaucoup d’eau, beaucoup trop en période de sécheresse avérée ces dernières années, due au dérèglement climatique. Annoncer que l’eau ne sera pas un problème alors que la la France entière manque d’eau relève de la pure incantation superstitieuse. Le canal va traverser la première région productrice de céréales en France, la première région pour les pommes de terre ou encore les betteraves. Que se passera-t-il lorsqu’il faudra arbitrer entre laisser circuler les barges ou irriguer les champs? Qui sera prioritaire? Les multinationales réalisant des marges énormes sur leurs produits importés ou les agriculteurs isolés?
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Ce canal va aussi traverser et abîmer la Somme, un fleuve si particuliers, une des grandes zones humides d’Europe avec ses marais, sa faune et sa flore mais aussi un formidable piège à CO2, comme toutes les zones humides. Asséchée, elle va dépérir, venant ajouter au bilan CO2 des émissions relevées par ces importations en portes conteneurs toujours plus gros et de ces barges géantes poussées par d’énormes moteurs diesel. L’argument climatique étant que ce canal va diminuer le nombre de camion sur les routes: L’augmentation des navires et la perte du puit carbone qu’est la Somme ont-il été pris en compte dans le bilan carbone global?
Aberration économique
Ce canal est l’enfant des rêves de mondialisation post guerre froide. Cette mondialisation heureuse qui n’a jamais eu lieu, a supprimé tant d’emploi dans les Haut de France, qui a délocalisé dans des pays aux contraintes environnementales moindre, aux coûts sociaux cassés. Ce canal est l’enfant d’une promesse qui n’a jamais été tenue, d’un monde qui nous a mené dans une impasse sociale catastrophique qui a fait ressentir toutes ses interdépendances lors de la crise COVID: Nous sommes devenus trop dépendants de nos importations. Mais qu’importe, continuons, agrandissons les voies favorisant cette dépendance. Et si demain une guerre entre la Chine et Les États-Unis pour Taïwan vidait les ports de bateau venus d’extrême Orient, nous aurions un canal mégalomane vide qui aura seulement détruit un peu plus notre monde.
Sobriété et ré-industrialisation
Nous savons que l’avenir sera à une décroissance énergétique et matérielle mais aussi que nous devons produire et réparer au plus prêt des besoins. Pour cela, le réseau de canaux existant et laissé à l’abandon, parcouru par des péniches de taille raisonnable, peut-être mues à l’hydrogène est beaucoup plus pertinent que ce monstre inutile venu d’une époque que nous savons révolue.
Combien d’emploi créés si nous remettions les canaux existants en état? Combien d’emploi créés sur ces péniches à taille humaine avec des bateliers correctement rémunérés? Combien d’industries locales à créer sur les bords de ces canaux existants dans des bâtiments en briques toujours debout mais abandonnés depuis longtemps par le seul fait de cette mondialisation destructrice?
Le canal Seine-Nord Europe est le symbole d’une monde qui ne veut pas mourir, accouchant dans son agonie de monstres comme cette saignée pour l’emploi, l’économie et l’écologie dont les travaux ont déjà commencé et dont l’usage sera rendu obligatoire pour rembourser les emprunts contractés pour sa construction… à la veille d’une crise économique majeure.
Il est grand temps d’arrêter cette erreur sortie d’un âge révolu.