Des raisons d’être en résonance (1/4)
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Des raisons d’être en résonance (1/4)

Temps de lecture moyen : 7 minutes

Accompagner votre entreprise vers sa raison d'être : inventer votre façon de faire singulière

Comment penser, accompagner et soutenir le travail des entreprises dans la définition de leur raison d’être ? Dans quel état d’esprit initier cette intention pour générer des impacts positifs et durables sur un écosystème dont les individus, les relations qu’ils entretiennent entre eux et avec l'organisation sont les pierres angulaires ?

Alors que la loi PACTE, promulguée le 22 mai dernier, suscite dans un nombre grandissant d’entreprises des réflexions et positionnements sur la raison d’être et le statut d’entreprise à mission, il nous a semblé essentiel de mener un travail de réflexion et de partage de pratiques sur les conditions de réussite d’une telle aventure.

En 2019, un tiers des Assemblées Générales ont eu à l’ordre du jour le thème de la raison d’être (1). Mais de quoi parle-t-on vraiment lorsqu’on aborde un tel sujet qui, spontanément, aurait plutôt tendance à nous faire penser à une chanson de Florent Pagny qu’à une vraie question de stratégie d’entreprise ? 

Cet article, premier d’une série d’autres autour de ce sujet passionnant, met l’accent sur ce qui nous semble fondamental et que le sociologue et philosophe Hartmut Rosa a appelé “résonance” dans son dernier ouvrage (2) : prenant le contrepied d’une relation instrumentale au monde et aux objets avec lesquels les humains sont aux prises chaque jour, il vante les mérites d’une recherche de la “vie bonne” dans toutes nos activités, comme base du bonheur et du développement d’une acuité particulière nous permettant d’accroitre notre puissance d’agir et, en retour, notre aptitude à nous laisser « prendre », toucher et transformer par le monde.


La répétition d’une croyance magique : le mirage de la vision d’entreprise

#participatif #management #vision #valeurs #marque-employeur #RSE #sens #schémas mentaux

#participatif #management #vision #valeurs #marque-employeur #RSE #sens #schémas mentaux 

Ils sont de plus en plus nombreux, les salariés, managers et dirigeants, faisant l’amère expérience des lendemains de "séminaires-vision" qui déchantent.

Les scenarii peuvent varier, mais la trame est souvent la même : après une ou deux journées brillamment orchestrées pour qu’ateliers participatifs côtoient moments de détente, conférences inspirantes, interventions de dirigeants et témoignages de collègues galvanisant les troupes, une formule « magique » définissant une vision limpide de l’entreprise — et dans laquelle chacun peut se reconnaître — apparaît : « Convaincus que notre activité doit contribuer, par des synergies avec notre écosystème, à la création d’une plus-value sociale et environnementale, notre raison d’être est de fournir à tous nos clients, à nos actionnaires et à nos parties-prenantes, une expérience de l’immobilier dont l’humain soit le fondement et l’aboutissement ».

On repart avec le sentiment d’avoir vécu une expérience humaine unique en son genre, on est fier d’appartenir à une organisation qui porte des valeurs fortes, qui nous permet de vivre des moments collectifs intenses tout en ayant une ambition si haute pour le devenir de l’homme et de la planète. Certains semblent sceptiques, voire mal-à-l’aise, mais ils sont bien connus pour être les résistants, les tièdes et autres rabat-joie, qui finiront bien par rejoindre le navire : ils ont besoin de voir pour croire et l’énergie générée par la bouleversante rencontre de ces intelligences en un seul lieu, pour une même cause, est telle que nul ne peut douter de la pertinence du cap et de la solidité de la coque. Ils verront bien !

La formule repose quelques semaines, les consultants font leur restitution aux commanditaires avec quelques préconisations et une proposition d’accompagnement pour le déploiement opérationnel de cette « vision ». Tout le monde s’affaire à l’intégrer au périmètre fonctionnel de son service : les RH se penchent sur la « marque employeur », les équipes de communication sur le « storytelling », le département RSE sur le « projet RSE », etc. C’est alors qu’un sentiment diffus et difficilement descriptible s’intensifie : alors que tout semblait converger et que l’avenir paraissait radieux, l’enthousiasme retombe au fur et à mesure que les réunions et les projets avancent. Le « ballet de la dyschronie »(3), tel que décrit par le sociologue Norbert Alter, semble plus que jamais exiger des efforts de coordination peu récompensés, voire contre-productifs : « chaque danseur — chaque service, chaque département — suit son propre rythme qui lui est dicté par une musique spécifique, le chorégraphe — la direction — faisant tout pour passer de la cacophonie à l’harmonie mais y parvenant rarement ».

Ce séminaire, qui aurait pu être une occasion d’explorer de manière performative les ancrages profonds de l’organisation et d’en laisser émerger une intention collective faisant sens et entrant en résonance avec les intentions de chacun (4), devient une brique supplémentaire — celle de trop ! — à intégrer à la tour de Babel managériale qui se construit dans l’entreprise, année après année, au gré des changements plus ou moins importants. Une somme de missions supplémentaires vient peser dans la besace d’individus qui, d’orchestrateurs d’une complexité réelle, deviennent des agents désinvestis qui ne peuvent plus penser le réel et perdent le fil du sens qu’ils souhaitent trouver-créer (5) dans leur activité. On relit alors la belle formule et on y voit un opium qui nous a permis, pour un instant seulement, d’oublier que l’activité de l’entreprise est bien d’acheter et de vendre des immeubles, que la représentation qu’ont collaborateurs et Direction de l’organisation est faite de strates hiérarchiques et de rôles assignés à chacun. Deux visions du monde de l’entreprise, incarnées par deux archétypes, se figent alors et s’opposent : les « visionnaires stratèges » et les « tenants du métier » (6). Cette tension — qui devrait être le sel vivifiant de l’organisation ! — se cristallise dans des rôles et des missions mal définis, devient confuse dans les représentations internes à chaque individu, générant incompréhensions, conflits latents et souffrances. Les réunions deviennent le lieu d’interminables débats ne générant absolument aucun bénéfice pour les personnes, les structures et les systèmes concernés. On regrette (plus ou moins secrètement) d’avoir osé rêver, de s’être autorisé cette audace. La pente de la facilité consiste alors à se tourner, par dépit plutôt que par opportunité, vers le Lean, l’Agilité, le Design Thinking, à créer un Lab pour accélérer la transformation et pallier les manquements d’On-ne-sait-qui. Et c’est ainsi que moyens et fin s’inversent et se confondent. On est Lost in management (7)!

C’est bien parce qu’elle est appréhendée avec des schémas mentaux inadaptés que cette réponse ne produit pas les fruits escomptés et vient même rendre l’environnement plus « VUCA » qu’il ne l’est déjà. C’est bien parce qu’elle cède à la facilité d’agir sur les symptômes — aussi stratégiques soient-ils — et qu’elle ne se donne pas les moyens de faire vivre à ses membres une résonance — permettant de « s’entendre » avant de « s’étendre » — que les questions fondamentales relevant de l’écologie au sens large, finissent par devenir des valeurs d’entreprise désincarnées.


De l’expression de besoins à l’émergence de désirs : dans quel état d’esprit aborder le travail sur la raison d’être ?

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#rencontre #exploration #stratégie #intention #collectif #métier #désir #pas de côté 

Faire la liste des dix causes ayant conduit à cette situation — si « caricaturale » ? — et proposer des réponses clés en mains serait non seulement hasardeux, mais bien plus, en contradiction totale avec l’approche qui nous semble convenir pour accompagner une organisation dans la rencontre avec sa « raison d’être ». Nous ne pouvons en effet prétendre en saisir tous les éléments tant leur intrication est spécifique à chaque système et changeante.

Il est toutefois possible d’explorer une série de questions en amont que nous croyons essentielles. Questions qui posent le cadre d’un processus que nous pourrions très brièvement résumer par la dialectique « laisser partir / laisser venir ». Duquel naît un projet entrepreneurial qui, tout en apportant des réponses concrètes à des contraintes extérieures et à des besoin réels, le fasse non pas dans une logique de « survie » mais bien dans un mouvement permettant la rencontre d’intentions collectives qui « prennent soin » d’un projet et des hommes qui en sont les forces vives.

Axées sur les métiers, avec réalisme, nous avons l'audace de croire que ces questions peuvent faire émerger : 

  • le souffle et l'inspiration nécessaires pour que toute forme d’activité prenne un sens profond et porte une forme authentique de vitalité, 
  • une représentation nouvelle de ce qu’est l’entreprise, centrée sur un axe fondamental (la raison d'être) autour duquel les individus et les groupes peuvent exprimer des désirs, explorer des pistes, s'égarer, faire des pas de côtés,
  • la conscience des bénéfices d’une conflictualité saine, d'une "dispute professionnelle"(8), 
  • un modèle social singulier duquel émane, sans qu’il soit nécessaire d’en faire la promotion en grande pompe, une bonne odeur qui ravit les sens, et une cohérence qui convient à la raison. Une entreprise attractive sans s'épuiser à chercher à l'être.

Avant d’aller plus loin dans l’exploration de votre raison d’être à travers de nos articles, nous vous proposons cet exercice de questionnement en vous laissant la liberté de les adapter au système, aux personnes et au contexte qui sont les vôtres.


Le baromètre du #Why : les 6 questions à se poser en allant « vers » sa raison d’être

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La "démarche raison d'être" permet-elle : 

  1. Un développement de la capacité collective à appréhender et penser la réalité de l’écosystème ?
  2. Une énonciation collective de schémas mentaux à arrêter car n’étant plus viables, plus adaptés au futur qui émerge ?
  3. Une qualité, une profondeur et une nature « générative » vraiment nouvelles des dialogues au sein du processus ?
  4. Une nouvelle compréhension, un déplacement, de ce qui permet, par l’intention et l'attention collective, d’impacter positivement ses marchés, son écosystème, de créer des futurs souhaitables
  5. Un commencement du sentiment que le leadership, c’est-à-dire, la façon de booster la prise de rôle au service de la raison d’être, va être d’une nouvelle nature ?
  6. L’expérience que la qualité et le niveau de présence, d’acuité et de conscience intensifient la congruence entre décision, conduite, représentation et conscience profonde d’une raison d’être ?

Plutôt que de voir dans les expériences passées une fatalité ou un aboutissement qui rend caduque tout travail sur la « raison d’être », il y a bien au contraire tout intérêt à les considérer comme un début de réponse et une intuition fine sur ce que sont les enjeux essentiels de nos organisations : implication de salariés de plus en plus exigeants sur le sens de leur activité et la reconnaissance qu’ils en tirent, besoin d’insuffler de la coopération dans un monde plus que jamais dominé par la compétition et l’injonction à la performance individuelle (9), passage d’une économie de la propriété à une économie de l’usage, etc.

Par une expérience alimentée d’apports théoriques éprouvés, nous sommes convaincus que, menée en conscience, dans un cadre « suffisamment bon » permettant l’émergence d’un dialogue génératif, le travail sur ce qu’on tend de plus en plus à appeler le « Why » (10) est la condition sine qua non de l’implication des salariés d’une organisation . Bien plus: il est le fondement d’une écologie qui se doit en premier lieu d’être relationnelle et organisationnelle, avant d’être sociale et environnementale.

Découvrez la suite du voyage :

Article 2/4 : "Trouver-créer" sa raison d'être : un alternative à "donner du sens"

Article 3/4 : De l’entreprise à mission à l’organisation à mission : le processus U de la raison d’être (à paraître)

Article 4/4 : Leadership, membership et schémas mentaux : comment votre organisation va vivre pleinement à partir de sa raison d’être (à paraître)


Olivier Barbelet, consultant, coach et psychosociologue, Noctilus & Julien Duvivier, consultant et facilitateur.

Autour de la raison d’être : lire notre “abécédaire des mots dans l’air”

-----------------------------------------------Références--------------------------------------------------

(1) Assemblées générales 2019 : raison d'être et mission, Muriel Jasor, les Echos, 24 juin 2019

(2) Résonance, Hartmut Rosa, La Découverte, 2018

(3) Donner et prendre, Norbert Alter, La Découverte, 2011

(4) L'art de la résonance, Le journal de la philo, France Culture, émission du 28/08/2018

(5) Les objets transitionnels, Donald W. Winnicott, Payot, 1951

(6) Artistes, artisans et technocrates dans nos organisations : rêves, réalités et illusions du leadership, Patricia Pitcher, Québec Amérique, 2006

(7) La faillite de la pensée managériale, François Dupuy, Le Seuil, 2015

(8) Réhabiliter la dispute professionnelle, Yves Clot, Le journal de l'école de Paris du Management, 2014

(9) Nervosité dans la civilisation. Du culte de la performance à l'effondrement psychique, Alain Ehrenberg, Université de tous les savoirs, 2000

(10) Comment les grands leaders inspirent l'action, Simon Sinek, TedX, 2009

Gaetane Hazeran

présidente co-fondatrice d'ARIANELLES

5 ans

Ce sont des préoccupations fondamentales pour les générations Y et Z. Et c'est le sens de la démarche de #rateacompany de mettre en évidence les bonnes pratiques et d'inciter les autres à se corriger

Franck ZAEH

Consultant - Membre d'Elycoop Coopérative d'entrepreneurs

5 ans

Merci Olivier de mettre du vrai sens dans nos organisations, sens collectif et sens individuel dans nos vies !

Serge Amon, MBA, PMP

EGGERS Conseil | Aiguilleur de projets | Business Transformation

5 ans

Le principe de subsidiarité ne pourrait-il pas s'appliquer à la création de la "raison d'être" ? Soit une approche bottom-up plus "engageante".

Pascal Berardo

👉 un Doer pour Aligner vos BUs à votre Stratégie | DG Manager de Transition | Ingéniérie | Equipements | Maintenance | Integration Post-Acquisition PMI | ETI et PME familiales | Métiers de l’Eau

5 ans

Merci Olivier BARBELET pour cet article coecrit, profond et documenté par une riche bibliographie (ça fait du bien), premier d’une série de 4 qui explore le cheminement pourquoi - > comment - > quoi . La direction d’une organisation, oublie la patience, et croit bien faire en exigeant du collectif l’adhésion immédiate à une réflexion imposée top-down . Il faut croire en l’intelligence individuelle et dans la capacité de chacun de visualiser son rôle dans une stratégie revisitée . Sinon, l’effet du « cataplasme sur une jambe de bois » est l’image qui me vient le plus naturellement en tête pour illustrer le résultat de ces séminaires d’embarquement. #rse #raisondetre #sens

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