Il faut embarquer les équipes ! Et votre barque intérieure ?...

Je rencontre régulièrement des leaders très généreux. Très généreux. Ils m’expliquent à quel point leurs équipes ont besoin de ci, de ça. Ils s’enflamment en m’expliquant leurs attentes. Pareil pour les leaders politique ou les leaders d’opinion.

C’est beau... Mais pas très utile.

Lors d’un programme de formation, après avoir abordé les modèles mentaux de l’organisation, je lance une session dédiée aux modèles mentaux individuels. Deux dirigeants sont particulièrement en résistance. L’un car récent dans l’organisation. L’autre car il n’a pas envie. L’un car il met son énergie à adopter les modèles mentaux organisationnels pour se faire adouber par la tribu. C’est humain. L’autre car il ne souhaite pas se rencontrer, il estime que c’est une perte de temps. C’est humain.

Les deux se fuient.

Et les deux ne parlent que d’une seule chose : leurs équipes. Alors c’est joli… Oui je pense que les équipes attendent ceci… Oui il faut pour nos équipes que nous… C’est important pour les équipes… Les équipes en ont besoin…

Pas de chance, je n’ai pas les équipes dans la pièce …

En 20 ans en entreprise, j’en ai eu des managers qui savaient mieux que moi ce dont j’avais besoin… En tant qu'RH, j’en ai entendu des managers parler des « autres »… « Comme je n’arrive pas avec moi, je vais gérer les autres… » (et je ne parle pas des parents...), évidemment c’est plus subtil que cela, je me fuis sans même le savoir.

Ce que je trouve très préoccupant c’est que cette dynamique se retrouve au niveau des pays: La France a besoin… La France attend… Pour la France c’est important.

Et au niveau du monde : Nous devons agir pour le climat. Notre planète a besoin de ….

Évidemment tu sais pour l’autre…. Évidemment l’équipe entière, la France entière, la planète entière a un unique besoin harmonisé.

Tu sais, c’est clair.

Tout le monde en entreprise : La RSE ! L’égalité hommes/femmes ! Tout le monde sur la planète : Le climat ! Pour le BIEN de tous bien sûr…

Ça y est … enfin… Nous avons trouvé une vérité universelle, absolue et éternelle.

Enfin clair sur le bien et le mal.

Comme tu es un « leader », tu vas alors les emmener dans ce paradis donc tu les « embarques ». Embarquer :

1.    Mettre, faire monter dans un navire (s'oppose à débarquer). Embarquer des passagers, du matériel (charger).

2.    Charger (dans un véhicule). Embarquer des marchandises dans un camion.

S’oppose à « débarquer »….

Ce mot « embarquer »… comme le mot « leader »… comme « work/life balance », j’adorerais que l’on m’explique comment on peut avoir du «work» sans « life »…

Ce qui m’a toujours étonné, c’est de voir des personnes formidables utiliser tous ces mots sans s’en rendre compte… Tout le monde le fait… Oh c’est pas bien grave… Oh Béatrice t’es tatillonne…

Derrière les mots, une vision du monde, un modèle mental.

Ici le point de départ de tout ça, l’endroit à partir duquel tout est pensé, le modèle mental : Je sais pour l’autre.

Comment quelqu’un peut savoir pour l’autre ???? Quel drôle de modèle mental....

Pourtant il sous-tend la majorité des pratiques managériales aujourd'hui sans même que cela soit à notre conscience. Évidemment que le poisson nage dans la mer, quelle idée de parler de la mer pour le poisson…

Comme je sais pour l’autre, je connais clairement et uniformément le bien/ le mal.

Pourtant l’histoire de l’humanité nous a donné quelques indications… quelques repères…

« Peu à peu, j’ai découvert que la ligne de partage entre le bien et le mal ne sépare ni les Etats ni les classes ni les partis, mais qu’elle traverse le cœur de chaque homme et de toute l’humanité » L’archipel du Goulag (1973) de Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne.

1973…

Chaque homme…

Si je ne vois pas mes modèles mentaux individuels, je regarde tout à partir d’eux sans en être conscient. Moi marteau, je transforme tous les problèmes que je rencontre en clou. « Si le seul outil que vous avez est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou»  Abraham Maslow (The Psychology of Science, 1966). Cette si grande tentation qui consiste à travestir la réalité d’un problème en le transformant en fonction des réponses dont je dispose, ou encore le fait de considérer qu’il n’y a qu’une réponse unique à tous les problèmes.

1966…

Et il y a plus de 2 000 ans : ce n'est qu'à la condition de se gouverner soi-même que l'on peut prétendre gouverner la cité. Socrate (v. 470-399 av. J.-C.)

Alors quand je stoppe les leaders dans leur envolée lyrique sur les attentes des équipes, c’est pas facile. Ils se disent « elle est pas sympa Béatrice… ».

« Non mais c’est important ! Crucial, nous devons faire quelque chose pour les équipes !!! »

Je n’entre pas dans le débat. Ni bien ou mal. Ni vrai ou faux. J’en sais rien. Ce que je sais c’est que ce n’est pas utile ici et maintenant. Ils ne sont pas avec nous.

Par contre toi tu es là. Génial non ? Tu peux t’occuper de toi. Et passer de la morale à l’éthique.

Pour cela il s'agit d'habiter sa barque intérieure au lieu de fuir dans des barques extérieures, idéalisées et futuristes.

Se savoir égoïste plutôt que se vouloir généreux. Travailler sur ses modèles mentaux individuels, c’est cela. Découvrir sa barque intérieure. Se rendre compte que souvent on ne vit en plus que dans la petite cale… L’explorer . Et surtout découvrir que vous êtes bien plus vaste que cette barque. Cette barque, l’expression de votre personnalité n’est que l’outil de votre force créative qui est si puissante...

Il est néanmoins essentiel de VOIR sa barque intérieure. Sinon vous passez votre vie dedans, sans le savoir et en subissant un sentiment d’étouffement. Épuisé car vous mettez toute votre énergie à regarder au loin un espace inaccessible. Il n’est pas la bas. Il est en vous.

Un jour j’étais allongée tranquille dans une barque au bois de Boulogne. Le clapotis de l’eau, le soleil qui me réchauffait. Soudainement une barque me rentre dedans. Folle de rage, je me suis levée. Mais il n’y avait personne dans cette barque…

Bonne exploration de vos barques intérieures.