Design d'expérience #33 les guerriers silencieux

pour honorer les militaires morts pendant la bataille de la Somme, Jeremy Deller a organisé un happening sidérant.

Le 1er juillet 2016, 1600 figurants habillés en militaires de la première guerre mondiale arpentèrent en silence les gares et lieux publics au royaume uni. Lorsque des passants s’approchaient ils leurs tendaient une carte avec leur nom et leur rôle dans l’armée, que Deller qualifiait de « small like tombstones », pas d'autre interaction à ma connaissance. Ça s’appelle « we’re here because we’re here » et cela a été salué comme un des évènements artistiques majeurs de la décennie.

Ce que nous aimons dans cette proposition :

• Le fait de rendre vivant les morts
• Le fait de les côtoyer
• Le fait de demander à des figurants de se tenir juste debout en silence, comme une minute de silence qui dure toute une journée
• L’effet de masse, la démesure de la scénographie
• Le mystère, les questions que se posent alors les passants sur la raison de cette présence. Je trouve ça très élégant. Nous occupons l’espace mais pas vos cerveaux, à vous de voir ce que vous voulez en faire, en penser
• Le fait de rendre visible l’invisible, ici le passé et les morts. Cela me fait penser à cette culture dans laquelle on ressort les morts une fois par an, en vrai (on les habille, on les place à table)
• Le fait de remettre du récit. Dans l’ouvrage « Vivre avec nos morts », Delphine Horwilleur explique son rôle de rabbin ainsi : « «  Savoir raconter ce qui fut mille fois dit, mais donner à celui qui entend l’histoire pour la première fois des clefs inédites pour appréhender la sienne. »
• En investissant l’espace public, le devoir de mémoire se transforme quelque part en droit, accessible à tous.

Dans un registre différent, les QR codes funéraires permettent d’aller un cran plus loin dans la commémoration de chaque défunt.

Ce que nous pourrions imaginer :

Poser des questions aux figurants sur la journée qu’ils ont passée

Rendre visible certaines professions, pendant une journée, faire en sorte par exemple que tous les gens qui travaillent dans le service public soient reconnaissables, juste pour avoir l’effet de masse sous les yeux et que ceux et celles qui ne l’auraient pas encore intégré réalisent enfin à quel point notre monde est socialisé, à quel point nous sommes interdépendants. Cette idée a encore plein de défauts mais quelque chose me plaît beaucoup.

Jouer les conflits actuels (Gaza, Ukraine, Soudan…), non pas pour honorer les morts mais plutôt pour réveiller les consciences. A l’image du mouvement lituanien #callRussia qui propose d’appeler des citoyens russes pour les informer de la réalité du conflit, face à la censure de leur gouvernement.

De nombreux jeux vidéos permettent aux enfants / ados de rejouer tout un tas de guerres. On pourrait concevoir des mondes alternatifs ou le but serait plutôt d’honorer les morts, en faisant appel à toute sa créativité

Avec Samuel Roumeau nous explorons les contours du design d'expérience à travers une série de brefs articles