Deux ans pour mieux accompagner les jeunes invisibles vers l’emploi

Deux ans après le lancement de MaVoie.org, qu’est-ce qui m’a le plus marqué sur le monde de l’insertion professionnelle ? Au début de l'aventure MaVoie.org, j’étais totalement novice quant à l’insertion, ses défis et ses difficultés. Après deux ans d’expérience sur le terrain, je pense que c’est le bon moment pour faire un premier bilan.  

Penser l’insertion du point de vue du jeune, pour mieux faire dialoguer des mondes qui ne se comprennent pas

Dans l'insertion comme dans beaucoup d'autres politiques publiques, on constate que le mantra de "placer le service sous l'angle de l'usager" rencontre de vraies difficultés à passer des discours aux pratiques.

Le besoin est pourtant bien présent. La conception des services d'insertion, faute d'être pensée du point de vue du bénéficiaire, se révèle souvent l'effet des impératifs et des logiques propres aux acteurs de l'insertion et du recrutement. Echouer à placer le processus sous l'angle de l'usager revient à lui faire porter le poids de l'adaptation à une logique et des codes qui lui sont souvent étrangers, avec comme résultat un fort risque d'échec ou d'inefficience.

Même quand l'insertion essaye de se penser sous l'angle de l'usager, elle ne réussit pas forcément. Pas facile de voir ce qu'il y a dans la tête d'un jeune de moins de 25 ans, d'envisager avec justesse les limites de sa compréhension du monde professionnel quand on en connaît soi-même tous les codes, et de saisir ses codes à lui, son langage, ses centres d'intérêt, de motivation etc.

Il faut partir de cette difficulté réelle, cet écart de vécu parfois éludé ou minoré, pour pouvoir envisager des solutions efficaces. Cette méthode pourrait sembler évidente, mais combien de fois est-elle réellement appliquée ? Comprendre les besoins de l'usager visé, c'est toujours plus simple en impliquant des usagers réels dans le processus de création du service. C'est l'un des fondements de MaVoie.org : l'insertion pensée pour les jeunes (et moins jeunes), par une équipe jeune, qui a accès aux codes des deux mondes et a envie de mieux les faire dialoguer.

La deuxième clé tient presque d’une révolution : la responsabilité de la réussite du service rendu ne relève pas (entièrement) de l'usager, mais de celui qui le fournit. Dans le duo que forment le chercheur d'emploi et les acteurs de l'insertion, le développement d'un "aller-vers" de la part des accompagnants s'avère crucial, surtout dans le cas de populations plus vulnérables ou disposant de moins de ressources comme les jeunes. 

Or les conditions de cet aller-vers sont spécifiques à chaque type de public. Dans le cas des jeunes, elles doivent s'adapter aux nouveaux codes qui sont les leurs (modes de communication et d'information, réseaux sociaux), prendre en compte leurs contraintes (faible expérience et/ou formation initiale, connaissance incomplète du fonctionnement du marché du travail et de l'insertion), leurs défis (choix d'orientation encore fluides), mais également leurs forces et leur potentiel (capacité d'adaptation et de découverte d'environnements et de métiers nouveaux, innovation et dynamisme dans les conditions adéquates, mobilité géographique), et enfin leurs aspirations. 

C'est en prenant en compte l'ensemble de ce spectre, et en développant une démarche active d'aller-vers, qu’il me semble possible de créer les conditions d’une politique d’insertion réellement efficace pour les jeunes chercheurs d’emplois.

Sortir du "tout est possible, rien n'est sûr"

On a tendance à voir l’insertion professionnelle comme l’ouverture des possibles, proposer le plus d’opportunités au maximum de jeunes chercheurs d’emploi. Mais dire à un candidat « tout est possible, rien n’est sûr », c’est lui créer plus d’incertitude et de stress que de solution réelle. Le monde de la recherche d’emploi et de l’insertion ressemble à une jungle d’annonces, d’outils divers, dans lequel les candidats se perdent s’ils n’ont pas de boussole. Internet, s’il a considérablement facilité l’accès aux ressources, a rendu encore plus immense cet océan de solutions. Pas étonnant donc que 41% des jeunes de 17 à 23 ans estiment ne pas disposer de toutes les informations nécessaires pour bien s’orienter professionnellement (selon une enquête Ifop de 2019). 

Il est en fait fondamental de réduire de “l’univers des possibles” pour accompagner efficacement quelqu’un vers l’emploi, de restreindre les conseils dans un plan d’action précis comprenant des solutions pertinentes pour lui.

C’est en découvrant et comprenant mieux ce problème que nous avons formulé la proposition de valeurs de MaVoie.org : accompagner les jeunes dans leur recherche d’emploi avec un accompagnement sur-mesure, celui qui va les sécuriser et les motiver, en leur mettant entre les mains les solutions qui débloquent leur recherche. 

Quand on se lance dans l’insertion, il faut toujours être humble sur son impact

Je peux donner tous les outils à un ou une jeune éloigné de l’emploi pour réussir son orientation, mais ça ne sert à rien s’il ou elle n’est pas encore prête à s’en saisir. Les freins individuels existent mais ne sont pas encore assez bien pris en compte : une mère célibataire qui n’a pas de solution de garde ne pourra pas rentrer dans la même démarche active de recherche qu'un jeune pouvant se former pendant 3 mois sans avoir à payer son loyer, ou se trouver en position d’écouter ses désirs d’orientation (s’il faut faire une formation éloignée etc.). Les blocages psychologiques sont aussi déterminants, et la réussite de la recherche passe avant tout par la reprise de confiance, une meilleure connaissance de soi, et le fait de retrouver l’envie. 

Chaque jeune chercheur d’emploi est donc le vrai acteur du job qu’il décroche. MaVoie.org et tous les acteurs de l’écosystème sont là pour y contribuer, accélérer la réflexion et l'action et mettre de l'huile dans les rouages.

D’une logique d’opposition à une coopération entre le candidat et le recruteur 

50 candidatures envoyées pour 1 réponse reçue. Cette statistique revient régulièrement dans le débat sur l’insertion et la recherche d’emploi. Mais ce chiffre ne traduit pas simplement le temps et l’énergie « perdus » à préparer toutes ces candidatures. C’est aussi 49 refus essuyés, et le plus souvent sans réponse de la part du recruteur.  Comment faire pour que ce ne soit pas autant de raisons de baisser les bras, de brèches dans la confiance en soi des candidats, surtout jeunes, sans expérience ou en reconversion ? Comment faire comprendre qu’un silence ne signifie pas forcément que la candidature envoyée ou le candidat n’a pas de valeur ? 

L’enjeu est réel, notamment pour des grandes entreprises qui peuvent peiner à trouver des candidats pertinents pour leur poste : si quelqu’un n’a pas toutes les qualités requises, il peut être plus utile à terme de l’aiguiller et lui proposer un chemin de progression, plutôt que de lui opposer un silence qui pourra le décourager de revenir postuler. Réciproquement, en réduisant la dureté du processus de la part des entreprises, on pourra également améliorer le relationnel de la part des candidats : éviter les entretiens auquel le candidat ne vient pas, voire les recrutements annulés sans réponse du candidat retenu. C’est notamment dans cette perspective que nous avons développé au sein de MaVoie.org le module d'entraînement 1entretien1job. 

Tous ces enseignements n’ont fait que renforcer ma motivation initiale autour du projet qui m’occupe depuis plus de deux ans. En lançant MaVoie.org, notre équipe et tous ses partenaires voulaient casser l’isolement et l’invisibilisation des jeunes générations en recherche d’emploi. Depuis 2020, MaVoie.org a ainsi accompagné plus de 26 000 jeunes vers l’emploi, dont près de 60% de niveau baccalauréat ou inférieur. 

Surtout, Mavoie.org commence à inventer une nouvelle méthode pour atteindre les jeunes sur les supports qu’ils utilisent vraiment : avec des campagnes TikTok, des annonces ciblées sur Instagram, des requêtes spécifiques et sponsorisées sur Google, en utilisant leur langage et leurs codes. Dans l’insertion et l’associatif, on sait que l’un des plus gros défis est d’aller chercher les bénéficiaires, notamment les plus éloignés. C’est dans ces “maraudes numériques” que se situe l’une des forces de MaVoie.org.  

Voilà pour le premier bilan des deux premières bougies de MaVoie.org. Sans oublier une foule de moments de joie, une bonne pincée de doutes, et chaque jour une très grande fierté de m’être lancé dans ce projet ovni pour améliorer l’insertion des jeunes. Hâte de découvrir les enseignements des deux prochaines années !