Devenir orateur avec… Christiane Taubira

Pour trouver son style oratoire, celui avec lequel vous êtes le plus à l’aise, et prendre du plaisir dans vos prises de parole, je crois beaucoup à l’observation des plus grands orateurs et oratrices. A travers leurs discours, ils nous transmettent de nombreuses leçons et aident ainsi à progresser rapidement.

Christiane Taubira était une voix, indéniablement une des plus grandes voix de la Vème République. Que nous soyons d’accord ou non avec ses idées politiques, force est de constater que ses discours et interventions à l’Assemblée nationale restent parmi les plus impressionnants de ces dernières années. Garde des Sceaux de 2012 à 2016, Christiane Taubira faisait de la politique avec son cœur. Les convictions chevillées au corps, elle défendait avec talent ses arguments et n’hésitait pas à entrer dans l’arène.

Voici, selon moi, les quatre principales qualités de cette grande oratrice. 

Elever le débat

« Elever le débat public ». Voici une expression que nous entendons souvent mais qui sonne tout aussi souvent comme un vœu pieux, un doux rêve. Et pourtant, Christiane Taubira est l’une des rares à y parvenir !

La clé réside tout d’abord dans l’excellente structuration de ses prises de parole. Ces dernières, logiques et pédagogiques, posent toujours clairement les enjeux du débat en les définissant et en préparant ainsi l'énonciation des arguments. Elle a souvent recours à un plan dit rhétorique, développé par Cicéron dans son ouvrage De Oratore, et qui suit les quatre étapes suivantes :

1. Exorde : c'est l'introduction qui permet de capter l'attention, de définir le sujet et d'annoncer les différents développements qui suivront.
2. Narration: : énonciation et explicitation des arguments en faveur de la thèse défendue mais aussi réfutation des arguments avancés - ou qui pourraient être avancés - par la partie adverse.
3. Récapitulation : synthèse qui récapitule ce qui a été dit en renforçant la structuration choisie et facilitant la mémorisation.
4. Péroraison : conclusion qui est souvent l'occasion d'émouvoir l'audience en jouant sur les émotions et le lien qui a été créé avec l'audience.

Pour ses interlocuteurs, il est ainsi aisé de cheminer logiquement au fil des arguments d'autant qu'ils sont illustrés par des exemples concrets. Mieux encore, cette qualité rhétorique pousse ses interlocuteurs à faire de même. D’ailleurs, le député Les Républicains Philippe Gosselin, pourtant un farouche opposant, ne s’y est pas trompé et affirma à son égard : « Comme c’est une formidable bretteuse, elle nous a obligés, nous ses adversaires politiques, à être meilleurs et à élever le débat. Je suis soulagé de la voir partir de la Justice, mais elle a du charisme ».

Autre élément important, l’ancienne Garde des Sceaux se démarquait par son érudition remarquable. A chacune de ses interventions, elle mobilisait de nombreuses références littéraires et historiques qui conféraient de la profondeur à ses prises de parole. Celles-ci mettaient en lumière les véritables enjeux d’un débat. Qu’importe le sujet évoqué, elle parvenait à l’enrichir pour lui conférer une importance digne d’intérêt. Par exemple, en 2013, lors d’une session à l’Assemblée nationale, Christiane Taubira s’oppose à Hervé Mariton à propos du mariage pour tous. Celui-ci l'interpelle sur une référence au poète de la négritude Léon-Gontran Damas qu'elle avait réalisé et elle lui répond en citant l'un de ses écrits :

Leçon n°1 de Christiane Taubira : Pour élever un débat, investissez du temps dans la préparation de vos prises de parole, élaborez une structure claire et enrichissez votre propos de références littéraires, artistiques, personnelles… Au fur et à mesure de vos lectures et découvertes, vous pouvez les noter dans un carnet pour les relire régulièrement et ainsi les mémoriser. 

De la répartie à toute épreuve

La répartie se définit comme la capacité à prendre la parole de façon vive et spirituelle, c’est-à-dire en prenant de la hauteur par rapport aux propos prononcés précédemment, souvent par un contradicteur. A l’Assemblée nationale comme dans ses interventions à la télévision, Christiane Taubira utilisait à merveille la répartie pour éviter des attaques et critiques. L’humour lui servait ainsi à désamorcer une hostilité parfois exprimée de façon frontale. Ses réactions amusaient alors l’audience et l’atmosphère qui était encore pesante quelques secondes auparavant s’apaisait immédiatement. Pour réussir un tel effet, il faut être doué d’un grand sang-froid et se connaître parfaitement pour ne pas céder à ses émotions !

Le 23 juin 2016, à l’Assemblée nationale, Eric Ciotti accuse la ministre de la Justice de fomenter une stratégie consistant à utiliser la réforme pénale pour quitter le gouvernement. Depuis plusieurs jours déjà, Ciotti s’acharnait et à nouveau il n’en démord pas. Alors pour lui répondre, Christiane Taubira affirme avec humour : « Je me demande si, lorsque vous affirmez certaines choses, vous y croyez vraiment. Si c’était du temps de ma fringante jeunesse, j’aurais supposé un sentiment contrarié. Mais cet hémicycle a déjà constaté à quel point je vous obsède dans toute votre expression publique, avec une constance qui appelle quand même l’admiration. » Et toc ! Suite à cette introduction inattendue, elle répond néanmoins sur le fond aux arguments de son contradicteur… mais elle a réussi son effet car désormais le climat est bien plus détendu.

Leçon n°2 de Christiane Taubira : La répartie est un formidable moyen d’éviter un affrontement direct avec ses interlocuteurs. Une touche d’humour détendra l’atmosphère et vous permettra de développer plus sereinement vos arguments.

Un engagement sincère

Quand Christiane Taubira prend la parole, elle s’engage à 100%, elle ne triche pas. De cet engagement naît une grande force de conviction ainsi qu’un charisme remarquable. Pour y parvenir, l’oratrice n’hésite pas à évoquer ses expériences pour illustrer ses arguments et expliquer les raisons pour lesquelles le sujet la touche personnellement. De la sorte, elle crée un lien émotionnel avec l’objet du débat appliquant parfaitement la recommandation des rhéteurs de l’Antiquité grecque à savoir s’appuyer sur les trois piliers de la rhétorique :

1. Logos : capacité à construire un raisonnement logique.
2. Pathos : capacité à exprimer ses émotions et ainsi créer un lien affectif au sujet. 
3. Ethos : capacité à renvoyer l’image d’un orateur qui a confiance en lui car clair et précis d’un point de vue logique tout en étant engagé émotionnellement.

Sur le plan du langage non verbal, cet engagement se traduit par de nombreuses envolées oratoires. Régulièrement, sa voix s’emporte – elle devient de plus en plus forte et le débit s’accélère – et ses gestes se font plus amples. Au contraire, l’enjeu appelle parfois à créer une atmosphère plus solennelle. La voix est alors posée, le débit lent, chaque mot articulé avec précision et soin.

Le discours que Christiane Taubira prononce le 29 janvier 2013 à l’Assemblée nationale pour ouvrir l’examen du projet de loi sur le mariage pour tous est le parfait exemple de cet engagement. Cette intervention mémorable, pour certains aussi important que celui prononcé par Simon Veil en 1974, demeure aujourd’hui le symbole des convictions qu'elle portait.

Leçon n°3 de Christiane Taubira : Pour s’engager pleinement dans votre prise de parole vous devez être sûr de vos arguments, être prêt à vous engager personnellement et émotionnellement et enfin travailler votre langage non verbal pour donner encore plus de force à vos propos.

Parler à tous

Même si Christiane Taubira est une oratrice érudite, cela ne veut pas dire que ses discours sont opaques, complexes et inaccessibles pour ses audiences. La preuve puisqu’elle se distingue en faisant toujours l’effort d’ancrer ses propos dans la réalité, c’est-à-dire dans le quotidien de ceux auxquels elle s’adresse. C’est une chose difficile car à l’Assemblée nationale, le risque est de se laisser emporter par les aspects théoriques des sujets traités et ainsi de perdre de vue leur finalité. Ainsi, l’ancienne Ministre de la Justice garde toujours en tête que ces textes de loi ont des effets bien réels pour des millions de français. 

Par exemple, le 19 mai 2016, la députée Les Républicains Françoise Guégot met en cause le gouvernement sur le sujet des enfants nés de la gestation pour autrui (GPA). Elle affirme que « la justice légalise ce proxénétisme procréatif ». Christiane Taubira confirme bel et bien que la GPA est une pratique interdite en France mais que c’est le devoir de la France de tenir compte des cas d’enfants nés ainsi. Pour expliciter sa position et parler à tous, elle revient à une réalité pratique :

« Madame, il s’agit d’enfants, d'enfants en chair et en os, d’enfants qui vont à l’école, qui sont aussi doués que les autres pour agacer les enseignants, pour énerver leurs parents, mais d’enfants de ce pays, d’enfants de la République et quoi que vous disiez, on va les protéger, madame ! »

Leçon n°4 de Christiane Taubira : Pour être convaincant, notamment auprès d’une audience large, vous devez privilégier des exemples que chacun peut expérimenter dans sa vie quotidienne, un vocabulaire simple ou encore des éléments concrets pour illustrer les arguments en mobilisant les cinq sens.

Pour aller plus loin :          

Ses livres :

• Baroque sarabande.
• Murmure à la jeunesse.

Son discours intégral concernant le mariage pour tous.