Disparition des agences bancaires : mise en perspective
Ce 5 novembre 2018, le quotidien Le Soir publiait une étude réalisée par Guide-Epargne.be sur la disparition des agences bancaires en Belgique.[1]
Selon les chiffres collectés par Guide-Epargne.be, le nombre d’agences bancaires en Belgique est passé de 7.079 agences en 2015 à 5.751 en 2018, soit une diminution de plus de 18%.
Le Soir désigne la digitalisation comme seul coupable et identifie les futures victimes : les populations rurales et les exclus du numériques qui n’auraient pas la possibilité de « switcher » vers les services en ligne.
L’étude a eu un certain écho dans d’autres médias et à cette occasion j’ai eu l’opportunité d’être interviewé par BX1, la chaine d’information continue Bruxelloise. (le reportage est visible sur le site de BX1)
Malheureusement, comme souvent avec les médias non spécialisés, le traitement manque d’analyse et les conclusions sont un peu trop rapides. Cet article vise à remettre en perspective les chiffres annoncés.
La tendance n’est pas nouvelle.
La diminution du nombre d’agences n’est pas un phénomène récent. Depuis 1993 le nombre d’agences bancaires sur le territoire national a été divisé par 3. En 25 ans on est passé de 17.757 agences à 5.751 !
Sur la période 1993-2010 plus de 10.000 agences – soit la moitié du réseau – ont fermées leurs portes.
La diminution a été sensiblement moindre entre 2010 et 2015 (-10%) avant de s’accélérer à nouveau sur les 3 dernières années.
Si la digitalisation des services bancaires joue un rôle significatif indéniable dans la réorganisation des réseaux d’agences, elle n’est pas la seule responsable.
En Belgique les banques en ligne ne sont apparues qu’au début des années 2000 (DB en 1999, Keytrade en 2002…) et il aura fallu attendre encore un décennie et l’apparition de l’IPhone pour que l’on commence à parler réellement d’applications de Mobile banking.
La tendance est européenne
Au niveau Européen depuis 2007, plus d’une agence bancaire sur 5 a fermé ses portes et cette tendance est encore plus marquée dans des pays proches comme l’Allemagne, le Royaume Uni ou les Pays Bas.
Si les réseaux Belges d’agences décroissent plus rapidement que la moyenne Européenne, notre pays reste néanmoins au-dessus de la moyenne européenne pour ce qui est du nombre d’agences par habitants.
Le Belge n’est pas moins bien loti que ses voisins.
Même s’il existe des disparités importantes entre les régions, la Belgique compte en moyenne une agence pour 3.367 habitants[1], un chiffre que l’on peut comparer à la moyenne européenne (2.278).
Si on regarde plus spécifiquement nos voisins directs on constate qu’en matière de succursale bancaire par habitant, la Belgique se classe bien mieux que les Pays-Bas (1 agence pour 10.173 habitants), l’Allemagne (1 / 7.980) et le Royaume Uni (1 / 6.135).[2]
Le Luxembourg avec 1 agence pour 2.600 habitants fait mieux mais c’est surtout la France avec 37.657 agences sur son territoire soit 1 pour 1.780 habitants qui fait office de référence.
A noter que la digitalisation importante du marché bancaire Français laisse à penser qu’un mouvement important de fermetures d’agences devrait avoir lieu dans les 2 ans. Société Générale, LCL et BNP Paribas ayant déjà fait plusieurs annonces dans ce sens.
La fracture numérique ou l’exclusion bancaire ne sont pas des fatalités
Il est indiscutable que la digitalisation des usages et des services bancaires contribue largement à la disparition des agences. Et il n’est pas étonnant de constater que les pays aux économies les plus digitalisées, notamment dans le domaine des paiements ont également les plus faibles taux d’agence par habitants (Pays Scandinaves, Pays Bas, Estonie…).
Il est cependant abusif de conclure que la disparition d’une agence et la diminution du ratio agence / habitants mènent nécessairement à l’exclusion bancaire ou à la fracture numérique.
Plus que le nombre d’habitants par agence, c’est la proximité géographique, les horaires d’ouvertures et la capacité de traitement (débit client) des agences qui va déterminer l’accessibilité aux services bancaires. Dans cette perspective il est évident que la fermeture d’une agence en milieu rural n’aura pas les mêmes conséquences qu’une fermeture en milieu urbain.
Une agence peut également devenir itinérante, en Allemagne, au Royaume Uni, en France, en Pologne… Plusieurs enseignes bancaires proposent des « Banques mobiles » pour aller directement à la rencontre de leurs clients les plus isolés. Ces agences mobiles peuvent être de simples distributeurs de cash (IdeaBank en Pologne) ou de véritable agences « full service » (Crédit Agricole en France).
Pour les clients qui ne disposeraient pas de l’infrastructure matérielle pour utiliser la banque digitale, la solution peut également passer par un renforcement des fonctionnalités offertes par les guichets automatiques (ATM). Vidéoconférence, lecture de carte d’identité, lecture optique de documents et OCR sont autant de moyens de promouvoir l’usage de la banque à distance sans imposer un niveau d’équipement au client.
En milieu urbain on se dirigera plus probablement vers une délocalisation des services bancaires les plus simples au profit de point de vente hors réseau, a l’instar de ce que la néo-banque Nickel fait avec son réseau de buralistes ou des services bancaires proposés par Bpost.
Si le risque d’exclusion bancaire existe bel et bien pour les oubliés de l’innovation numérique et pour les clients les moins rentables, surtout en milieu rural, il n’en est pas pour autant une fatalité. Les alternatives sont possibles mais il sera plus que probablement nécessaire que le législateur soutienne activement, voire impose ces solutions pour qu’elles puissent se pérenniser.
[1] Source BCE
[2] Source EBF et Eurostat