Dissonances de marché
Les marchés sont confrontés depuis plusieurs mois à des perspectives pénibles : hausses de taux, vague d’inflation historique, faillites bancaires… Et pourtant les actions se maintiennent depuis le début de l’année en territoire positif, voire – dans le cas de l’Euro Stoxx 50 - tutoient des sommets historiques. A regarder seulement les performances, on pourrait croire que tout va bien.
Si le marché était mis en musique, il résonnerait donc de disharmonies. Mais ce genre de désaccords, habilement agencés, peuvent aboutir à une œuvre très appréciée - le quatuor n° 19 de Mozart appelé Les Dissonances est emblématique à cet égard. Le marché a-t-il des chances de suivre une voie mozartienne et de transformer en mélopées ces dissonances ?
Examinons deux exemples de dissonances actuelles. La première vient de l’impressionnant écart de performance entre les titans technologiques et le reste du marché. Au 16 mai, l’indice Mega Cap Tech progresse ainsi de plus de 42% depuis le début de l’année alors que le Dow Jones est quasiment inchangé. Plus généralement, il se retrouve entre les grandes valeurs à forte croissance, y compris le luxe en Europe, et toutes les autres, relativement délaissées.
Cette dissonance peut-elle se résoudre ? Distinguons les cas. Que les géants technologiques l’emportent sur la plupart des autres valeurs répond à une logique économique profonde : l’avantage au vainqueur dans la digitalisation du monde. Grâce à la dynamique de leur industrie, les géants peuvent investir des sommes faramineuses pour consolider leur domination, soit par leurs propres innovations, soit par des acquisitions bien menées. Le partenariat de MICROSOFT avec OPEN AI, créateur de Chat GPT, est exemplaire de ce phénomène. La mélopée des titans ainsi peut être durable – au prix d’une dissonance avec le reste du marché, ponctuée certes d’épisodes de violentes corrections, comme en 2022 : près de -50% pour le Mega Cap Tech, contre -7% pour le Dow Jones !
En revanche, l’insolente avance entre la moyenne des grandes valeurs et les plus petites ne se vérifie pas historiquement. On constate en effet sur le long terme une prime aux petites capitalisations. Sur les 24 dernières années par exemple[1], l’indice mondial des petites valeurs croît de plus de 8% par an, contre moins de 5% pour les plus grandes. Mais dans des contextes de marché tendus, comme actuellement par le resserrement monétaire, les petites valeurs peuvent se voir délaissées. Si l’histoire est un bon guide – quoique faillible – il y a lieu cependant de supposer que la tendance se rétablira lorsque les perspectives sur les banques centrales seront moins tendues. La dissonance pourra alors se résoudre – en passant momentanément par un déséquilibre inverse : le rattrapage massif des petites capitalisations.
Second cas de dissonance marquante : l’écart d’anticipation au sujet des taux directeurs américains. Le marché, par le biais des contrats futures, les voit baisser dès l’automne 2023 et de nouveau en 2024, alors les gouverneurs siégeant au comité de politique monétaire les anticipent stables en 2023, et seulement en légère baisse en 2024. Entre ces deux groupes, l’écart de projection atteint près de 150 points de base à fin 2024.
Dans ce cas précis, le désaccord se résoudra avec le temps. La seule question est de savoir par quel chemin. Celui projeté par les gouverneurs est lent, mais relativement harmonieux : il suggère une inflation qui s’assagit progressivement, ce qui suppose l’absence d’un choc déflationniste dû par exemple à une récession. A l’inverse, le marché projette une banque centrale américaine qui desserre rapidement sa politique monétaire. La mélodie pourrait ici sembler douce, mais par quel moyen l’inflation pourrait-elle chuter aussi rapidement, si ce n’est par un ralentissement brutal de l’emploi, voire une récession ? La douceur monétaire s’accompagnerait alors d’une amertume économique.
Dans tous les cas, la résolution des dissonances adviendra, au prix d’ajustements délicats à affronter. Mais en fin de compte le gain associé à la résolution de ces dissonances est élevé. Dans Les Dissonances de Mozart, un joyeux allegro suit l’adagio dissonant. Le marché saura-t-il se montrer mozartien ?
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Rédaction achevée le 16/05/2023 – Alexis Bienvenu, Fund Manager
[1] Bloomberg
Relationship Manager at Syz
1 ansExcellent article mon cher Alexis, très pertinent et comme toujours une lecture très agréable ! Bravo
Président Paris Conteurs
1 ansMerci Alexis
Responsable Relations Investisseurs Arkéa Capital
1 ansPassionnant, merci Alexis
CEO de THEIA PM
1 ansMagnifique ! Bravo !