Du jeu d’échecs au jeu de réussite
Anya Taylor-Joy (série Netflix - The Queen's Gambit)

Du jeu d’échecs au jeu de réussite


L’article ci-dessous a été publié sous une forme synthétique dans la newsletter e.marketing, le 8 janvier dernier. Il développe de nouveaux aspects de notre réflexion, notamment sur la manière dont les entreprises peuvent passer d’un jeu d’échecs à un jeu de réussite.

Dans la tribune publiée par e.marketing, nous invitions les dirigeants à interroger leur empreinte sociétale, en lien avec l’ADN de leur entreprise… Une injonction pleine de paradoxes à l’heure où, pandémie oblige, la priorité est de gérer l’urgence, de maintenir les activités et de sécuriser les financements. En quoi le sens et la responsabilité, sujets éloignés de ces préoccupations opérationnelles, peuvent-ils aider les entreprises à passer le cap de cette période pleine de défis ? La crise sanitaire serait-elle l’opportunité de changer et de compléter sa colonne stratégique ?

Le monde tourne vite, il est complexe, et ce mouvement prend de l’ampleur dans tous les secteurs. Ce phénomène se nourrit de paradoxes : globalisation Vs spécialisation, agilité Vs compliance, atomisation Vs concentration des acteurs (de la Start up aux conglomérats…), transfert digital avec maintien des supports physiques, exigences croissantes des clients /collaborateurs/ actionnaires, accélération et raccourcissement des cycles. Et la pandémie accélère plus encore ces mouvements.

Jouer sa partition

Face à ce tourbillon, l’approche stratégique traditionnelle de type « action/réactions » se brouille. L’observation du marché, à l’aune de la concurrence et des méthodes marketing classiques atteint ses limites car trop grandes sont la quantité et la profondeur des informations (big data) et trop complexes les chaînes des valeurs. Les dirigeants peinent alors à distinguer le cap à suivre.

Comme pour un joueur d’échecs : la série « le jeu de la Dame », succès le plus populaire de l’histoire de Netflix avec plus de 80 millions de spectateurs, suit le parcours et la progression d’une jeune joueuse, de ses premiers pas à l’ultime reconnaissance de son sport. La série montre avec brio que, au-delà d’un certain seuil, le joueur d’échec doit déborder de sa simple posture de calcul et de prévisions sur les variantes des coups à venir. Bien sûr cette capacité mentale est nécessaire… mais elle n’est plus suffisante. La joueuse franchit les derniers pas de son parcours initiatique en décryptant son for intérieur et en s’alignant sur ce qu’elle est, pour jouer sa propre partition.

Le principe d’interprétation est le même pour un musicien instrumentiste : la dextérité du maniement des touches ou de l’archet est certes essentielle (et combien de gammes sont nécessaires pour y parvenir !). Mais améliorer sa perfection technique en cherchant à jouer mieux, plus vite, plus fort que ses pairs, ne mène qu’à plus de virtuosité. La quintessence de l’instrumentiste, c’est de transcender la virtuosité pour aller puiser dans sa singularité. Parmi des milliers de virtuoses, pourquoi des artistes comme Isaac Perlman, Vladimir Horowitz ou Martha Argerich sont-ils à part… et finalement hors marché ? Parce qu’ils ont dépassé l’approche d’observation, sublimé la technique pour aller se sourcer dans les aspérités de leur essence unique, qui génère l’émotion.

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Du jeu d’échec au jeu de réussite

Artiste ou joueur d’échec, il s’agit donc de jouer SA Partition, en maîtrisant le jeu, mais surtout par la connaissance approfondie et singulière (en « pleine conscience » diront certains…) de soi-même.

Pour le dirigeant d’entreprise, le défi est analogue : connaitre son marché bien sûr, mais surtout connaitre sa société, pour se centrer et s’aligner sur ses forces profondes et singulières. Le jeu d’échecs - avec une stratégie de positionnement - fait alors place à un jeu de réussite, où l’entreprise aligne dans le bon ordre :

1.    Ce qu’elle est et ce qu’elle doit apporter d’unique à la société (raison d’être)

2.   Sa vision qui en découle (à long terme)

3.    Ses forces singulières pour y parvenir (positionnement ADN)

4.    Le champ des réalités comme point de départ (concurrence, législation, …)

5.    Les options stratégiques possibles (priorisation)

6.    La trajectoire pour y parvenir (feuille de route)

Le champ des réalités n’est donc plus le point d’ancrage de la stratégie mais se voit intégré plus en aval, en cours de réflexion (en point 4). Et ce pour obtenir un résultat décuplé.

Empreinte sociale : l’âge de raison

Si les entreprises ont un intérêt stratégique à se centrer et s’aligner sur leurs forces et leur apport singulier à la société, dans une posture nouvelle de jeu de réussite, le monde (clients, gouvernements, actionnaires, collaborateurs, …) les encourage aussi fortement à s’interroger sur leur implication sociétale.

Notre article rappelle les chiffres qui démontrent la portée de cette tectonique des plaques : les marques qui jouent un rôle dans la société et contribuent à un monde meilleur surperforment le marché boursier de 134 %, tandis que 77 % des marques pourraient disparaître dans l'indifférence générale (Meaningful brands, Havas, 2019). Par ailleurs, 47 % des consommateurs sont disposés à payer plus cher un produit similaire d'une entreprise qui s'engage (20 points de plus qu'en 2017 ! (Tilt idead & Epsy - baromètre de l'engagement, 2020). Enfin la réputation compte pour 63 % de la valeur d'une entreprise (étude Weber Shandwick, 2020).

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Cette tendance pour plus de sens et de responsabilité s’ancre même au sein de la législation : la loi Pacte du 22 mai 2019 a reconnu la notion d’intérêt social au sein du droit français, introduisant la notion de « société à mission » en vue de faire publiquement état de sa raison d’être, pour s’en prévaloir « avant son utilité pour ses clients, ses collaborateurs et ses actionnaires ».

Par ailleurs la pandémie sert d’accélérateur à ce mouvement vers plus de sens et de responsabilité. La crise génère en effet des ruptures fractales : si elle clôt des mondes, elle sert de catalyseur pour d’autres tendances. Selon l’étude BAV 2020 réalisée par l'agence de communication VMLY & R, relayée dans les Echos du 8 octobre dernier, les lignes bougent ainsi de manière accélérée sur le front de l’image de marque des entreprises. Comme le relève Cécile Lejeune, présidente de l'agence VMLY & R : « Deux catégories d'acteurs se distinguent. Ceux qui ont rempli un rôle sociétal durant le confinement tirent les bénéfices de leur engagement et du sentiment de proximité qu'elles ont suscité chez les Français. Les marques services ont, elles, prouvé leur utilité ».

Ainsi le « monde d’après », évoqué en début de pandémie, est-il plus qu’un mirage politique… la crise rappelle l’urgence et la nécessité pour plus de sens et de responsabilité.

Chercheurs de vérité

Sans doute est-il l’heure de se préparer à la vague de fond pour plus d’implication des entreprises. Et mieux vaut, étant donné la taille de la vague, surfer sur celle-ci que de boire la tasse dans un de ses rouleaux.

Les nouvelles générations (millennials et Generation Z), qui sont les fers de lance sur les sujets de responsabilité et d’engagement, n’hésitent pas à venir challenger de manière frontale l’ordre établi.

Ces jeunes générations, qu’un rapport de McKinsey & Company qualifiait récemment de truth-seekers (chercheur de vérité) valorise l’expression individuelle, se mobilise pour des causes et privilégie le dialogue à la confrontation. Comme le relève Bo Finneman, Partner chez McKinsey, dans le podcast « Meet Generation Z : Shaping the future of shopping » : « il y a une réelle authenticité de la génération Z quand elle dit qu’elle veut sentir un nouveau souffle dans ce que la responsabilité d’entreprise veut dire. Ils regardent au-delà des produits concrets et cherchent à comprendre les valeurs que cochent l’entreprise. Quelle est sa mission ? Quelle est sa raison d’être ? Qu’essaie-t-elle de construire comme société ? C’est cet élément vital de pensée qui s’impose auprès de la nouvelle génération ».

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Ces générations emportent dans leur sillage une part de plus en plus significative de la population, conscientes d’une nécessité du changement, quitte à challenger certains codes de consommation : strict rapport qualité/prix, origine et conditions de fabrication, victoire du plus offrant.

Une réputation et une influence alignées

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Poussé par cette tendance et porté par les millenials qui pourraient voir dans les compromis une forme de compromission, le mot d’ordre de notre époque est à la cohérence. Un monde hyper transparent, voire intrusif, jaillit sous nos yeux et donne les pleins pouvoirs aux contre-pouvoirs (ONG, associations, lanceurs d’alertes, think tank, activistes,… ). Dans ce monde, le moindre grain de sable, le moindre décalage entre la réalité et le discours est saisi, relayé ou dénoncé… il devient viral. C’est pourquoi les entreprises doivent aussi changer leur logiciel de communication et se méfier de la baguette magique du story-telling, à la fois remède et poison. Les stratégies d’image, de réputation et d’influence doivent être revues à l’aune de ces bouleversements, et puiser elles aussi dans le socle de l’entreprise, de sa raison d’être et de son ADN. Pour vérifier que les différents niveaux de marque de l’entreprise - marques corporate, employeur, commerciale, et financière - sont authentiquement alignées et ne pas laisser l’analyse des risques aux seuls gestionnaires de crise, quand il est déjà trop tard.

Pour donner des clés aux entreprises, afin de sécuriser et d’accélérer leurs rebonds, le document joint propose une méthodologie très concrète pour transformer son engagement en un levier d’action.

Merci à Yann Bocquillon, Flavie Ducasse, Laurent Garret, Aurélie Stock-Poeuf, Thierry Sybord, Frédéric Texier et Gilles Unglik pour leurs témoignages et leurs conseils avisés !

Bonne lecture !

Géraud de Vaublanc & Charles-Antoine Lewintre


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