Du mauvais débat sur les lobbies, où comment faire évoluer nos pratiques
La démission de Nicolas Hulot a relancé le débat sur les lobbies, leurs pouvoirs, leurs pratiques et leur légitimité.
Ce débat montre une fois de plus le manque de maturité de notre démocratie.
Les lobbies, ou représentants d’intérêts, sont nécessaires au débat et à la construction de la décision publique. A la condition, bien entendu, que chaque acteur –politiques, lobbies, journalistes – assume son rôle, et soit garant de bonnes pratiques.
L’une des missions essentielle des représentants d’intérêts est d’apporter une expertise, fiable, documentée, sourcée, sur leur secteur, leurs enjeux et les impacts de telle mesure ou réglementation. Les pouvoirs publics n’ont plus les moyens de développer cette expertise. C’est donc aux Associations Professionnelles, aux ONG, aux associations de consommateurs, de la leur fournir. C’est normal, et sain, que chacun puisse apporter son expertise, faire valoir ses positions et sa vision. Et parler de bon et de mauvais lobbies ne fait que renvoyer dos à dos des acteurs qui devraient plus souvent se parler.
Les politiques, eux, doivent s’assurer du contradictoire, c’est-à-dire qu’ils doivent faire en sorte d’écouter l’ensemble des parties prenantes. Et face aux moyens de certains qui savent se faire entendre mieux que d’autres, c’est aux politiques d’organiser le débat, et c’est de leur responsabilité d’être certain d’avoir entendu toutes les positions et tous les arguments. Ensuite, c’est à eux de trancher. Et ils doivent l’assumer. En fonction de leur stratégie et orientation politique et, bien entendu, de ce qu’ils jugent le mieux pour l’intérêt général. Cela passe par du courage politique et de la pédagogie dans la prise de décision.
C’est en cela que la presse à une mission importante. Plutôt que de chercher les postures qui opposent, la presse a plus que jamais un rôle de pédagogie, c’est-à-dire d’information explicative. Les sujets sont plus complexes que 140 signes et plus importants que la simple recherche de buzz. Et dans un monde en pleine évolution et aux interactions multitudes, il faut décrypter et expliquer plutôt que de caricaturer et épingler.
Pour autant, les représentants d’intérêts seraient bien inspirés de faire évoluer leurs pratiques. Aujourd’hui, les politiques tranchent des postures qui font de la décision publique une roulette russe. Pour éviter ce « jeu » dangereux et être plus en phase avec l’intérêt général, les représentants d’intérêts doivent pratiquer la régulation concertée. C’est-à-dire que les acteurs doivent se concerter en amont pour élaborer des positions communes. Ainsi, les politiques prendront des décisions qui correspondent aux attentes de l’ensemble des parties prenantes. Cette pratique n’est possible que sous certaines conditions. En premier lieu, il est nécessaire d’adopter une « grille de lecture intérêt général », c’est-à-dire en quoi l’intérêt que l’on représente peut rejoindre l’intérêt général. Ensuite, il est nécessaire de quitter ses postures idéologiques, et donc sortir de ce système explicatif qui ne correspond pas à la réalité et auquel on veut de toute force contraindre à se conformer. De plus, il est impératif d’apporter une réelle expertise, d’être prêt à échanger, donc être ouvert, et surtout écouter et comprendre le point de vue de ses interlocuteurs. Enfin, la dernière condition qui doit se vivre comme un préalable, il faut être prêt à faire des concessions.
Cette approche est exigeante, demande du temps, de l’anticipation et de la maturité. Ce n’est pas simple, ce n’est pas toujours possible, mais c’est comme cela que l’on arrivera à co-construire les solutions qui respectent les parties prenantes et prennent en compte l’intérêt général.
Pierre-Emmanuel Bois