Du parpaing et des jeux.
Tour D'assas ©MF / Métropolitain

Du parpaing et des jeux.

Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation.

La société du spectacle, Guy Debord, 1967

On organise ces temps-ci un triste manège autour de la tour d’Assas, plus haute tour d’Occitanie, dans une forme achevée de la société du spectacle, que Guy Debord décrivait parfaitement il y a déjà plus de 50 ans. On fête bruyamment la mémoire d’une tour alors qu’elle est encore là, au milieu de l’arène. Plutôt que le silence assourdissant du cimetière des éléphants, ou celui respectueux qui accompagne les morts tombés au champ d’honneur, on a choisi à Montpellier l’option du simulacre carnavalesque, une corrida grand style avec habit de lumière et flonflons. C'est une véritable Jacklangisation de la mise en mort de la Tour.

Et on a beau fixer l’orchestre pour ne pas voir le taureau agonisant, il est difficile de ne pas regarder la réalité en face : on va détruire demain 300 logements à Montpellier, alors que l’on parle de crise du logement dans les métropoles, et que l'on va générer des tonnes de déchets au détriment de nos engagements climatiques. Parce qu’une fois le spectacle achevé, le voile de fumée dissipé, les projecteurs éteints et les caméras éloignées, qu’est-ce qu’il restera de tout ce carnaval ? Un tas de gravats, un trou béant dans la ville, au sol et dans le ciel.

Et on sent confusément que plus personne ne sait vraiment pourquoi on la détruit, cette tour d’Assas. Problème structurel ? Problème typologique ? Amiante ? Condition de financement ANRU ? Mystère. La réalité, c’est qu’on n’en finit pas avec cette croisade un peu vaine contre la modernité qui a commencée en 1972,  aux États-Unis dans le Missouri, avec la destruction de Pruitt-Igoe, symbolisant l’impensé contemporain de nos sociétés occidentales : pour que quelque chose advienne, il faut bien que quelque chose meure, prolongement logique de l’hypothèse néolibérale de la destruction créatrice.

Se tromper de cible, c’est toujours se tromper de combat. Réparer, plutôt que démolir, est une cause entendue de tous aujourd’hui. On peut parier que dans quatre ou cinq ans, tout le monde pensera que c’était une erreur majeure de démolir cette Tour, plutôt que de la réhabiliter. Dommage ma vieille, à quatres ans prêts, tu avais droit à un beau lifting comme la tour Bois le Prêtre à Paris, ou le Grand Parc à Bordeaux ! Mais ne t’inquiète pas, si Paris vaut une messe, Montpellier vaut bien une fête.

On a du mal a voir dans ce grand tintamarre culturel l’objet réel de la fête, qui s’impose alors comme un grand moment du Faux comme dirait Debord. Et entre la fête et la communication politique, on a du mal à glisser un papier a cigarette. Dans le prolongement logique des réinventer paris, des folies montpelliéraines, l’événementialisation de l’urbanisme atteint son apogée, son âge d’or. Du parpaing et des jeux ! De l’argent pour les funambules, on en trouve toujours un tout petit peu s’ils nous assurent des retombées médiatiques.

Alors qui pour sauver la tour d’Assas ? Des élus qui se succèdent et qui ne pensent pas être responsables de cette démolition ? L’ANRU crispé sur ces vieilles habitudes ? Des urbanistes qui se fient à des plans établis il y a une quinzaine d’années ? Une école d’architecture nationale, ou aucun studio ne parle encore de réhabilitation ? La DRAC, le CNOA ou des associations d’architectes comme au Mirail ? Malheureusement Guillaume n’est pas Candilis, et malgré le très beau musée Paul Valery à Sète, il ne fait pas partie du cercle très fermé des architectes qui passent sous Les Fourches caudines de la patrimonialisation. Comme il paraît urgent de considérer chaque construction humaine comme un réservoir de potentialité, et de redéfinir le patrimoine qui peut être banal et ordinaire.

C’est un énième coup parti tout seul. De ceux qui conduisent à construire une gare inique dans une zone inondable à quelques encablures du centre de Montpellier. On connait la chanson : personne ne se tient de l’autre côté du fusil. La société démocratique organise sa propre chaîne d’irresponsabilité. Mais chaque rotation de camion-benne qui évacuera les gravats du cadavre fumant de la tour dynamitée nous rappellera douloureusement la tristesse absolue de l’inertie des choses. L'honneur, cependant, nous conduit à ne pas accepter que l’on nous fasse prendre des vessies pour des lanternes. Le découplage entre développement et progrès, souhaité par Pasolini en son temps, n’existe désespérément pas et en attendant, tout ce qui était directement vécu dans cette tour, dans ce morceau de ville, s’éloigne progressivement dans une représentation.

Bravo!!

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