Eclairage sur les modalités d’acquisition des actifs par les parents des dirigeants / L'interdiction de l'art L642-3 s'applique, quelque soit le mode.
Lorsqu’un débiteur fait l’objet d’une liquidation judiciaire, le liquidateur est tenu de réaliser les éléments composant l’actif du patrimoine du débiteur afin d’en apurer le passif, soit par l’intermédiaire d’enchères publiques, soit en décidant de vendre directement le bien à une personne déterminée.
Or, l’acquisition des actifs du débiteur ne peut émaner de n’importe quel acheteur et le Code de commerce édicte à cet effet des interdictions à l’égard de différentes personnes proches de celui-ci.
Si les personnes faisant l’objet de cette interdiction sont limitativement énumérées par le Code de commerce, la Cour de cassation a récemment précisé le champ d’application des ventes concernées.
Com., 3 février 2021, n°19-20.616
En l’espèce, une société avait été placée en redressement puis en liquidation judiciaire.
Dans le cadre des opérations de liquidation, une procédure de saisie immobilière a été autorisée à reprendre et l’immeuble saisi a été adjugé à une société tierce.
Les parents du gérant de la société ont toutefois décidé de former une surenchère du dixième.
L’article R.322-50 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit en effet la possibilité pour toute personne de faire « une surenchère du dixième au moins du prix principal de la vente ».
Or, les règles dudit Code se heurtent à certaines interdictions énumérées par le Code de commerce.
L’article L.642-3 de ce dernier énonce à cet égard une liste de personnes insusceptibles de présenter une offre de reprise d’une entreprise :
- le débiteur ;
- les dirigeants de droit ou de fait de la personne morale en liquidation judiciaire ;
- les parents ou alliés jusqu’au deuxième degré inclusivement de ces dirigeants ou du débiteur personne physique ;
- les personnes ayant ou ayant eu la qualité de contrôleur au cours de la procédure.
C’est précisément sur cet article que se fonde l’adjudicataire, en l’espèce, afin de contester la surenchère émise par les parents du gérant.
Or, ceux-ci rétorquent que l’interdiction énoncée par l’article L.642-3 n’empêche en aucun cas de porter une enchère ou surenchère dans le cadre de la vente aux enchères publiques des biens du débiteur.
La question soulevée était ainsi la suivante : l’interdiction édictée par l’article L.642-3 du Code de commerce s’applique-t-elle quel que soit le mode de réalisation de la cession ?
Tout d’abord, l’article L.642-20 du Code de commerce dispose que l’interdiction de l’article L.642-3 s’applique également à la cession d’actifs isolés en application des articles L.642-18 et 19 du Code de commerce.
Lesdits articles consacrent la possibilité de réaliser les actifs immobiliers en liquidation judiciaire selon différentes modalités :
- saisie immobilière ;
- vente par adjudication amiable, c’est-à-dire la vente aux enchères publiques du bien ;
- cession de gré à gré.
L’article L.642-18 du Code de commerce affirme plus précisément que le Juge-commissaire peut ordonner la vente d’un bien par adjudication amiable et qu’il « peut toujours être fait surenchère ».
La Cour de cassation devait donc une nouvelle fois se prononcer sur l’articulation entre les règles du Code de commerce et celles du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) :
- d’une part, l’article R.322-50 dudit Code prévoit la possibilité pour toute personne de faire une surenchère ;
- d’autre part, l’article L.642-20 du Code de commerce étend l’interdiction d’acquérir de l’article L.642-3 à la cession d’actifs isolés du débiteur.
Dès lors, la Chambre commerciale tranche en faveur de l’application des règles du droit des entreprises en difficulté et affirme clairement, pour la première fois, que la liste des interdictions édictées par l’article L.642-3 du Code de commerce s’applique à n’importe quelle cession d’actif, quel qu’en soit le mode de réalisation.
Cette position avait déjà été insufflée à quelques reprises par les juges du fond et notamment par un arrêt de la Cour d’appel de VERSAILLES, du 5 avril 2012, n°11/04234, aux termes duquel :
« Contrairement à ce que soutient M. X, ce texte [l’article L.642-3] a vocation à s’appliquer à la surenchère qu’il entend exercer puisque, par cette procédure, il est susceptible de devenir adjudicataire et en vertu de l’article L.642-20, l’interdiction de l’article L.642-3 s’applique à toutes les cessions d’actifs des articles L.642-18 et L.642-19, y compris aux ventes aux enchères publiques ».
Ainsi, quelle que soit la cession – une cession totale de la société ou une cession isolée des actifs – et quel qu’en soit le mode de réalisation – cession de gré à gré, vente aux enchères publiques, surenchère, etc. – les proches parents et alliés des dirigeants ne peuvent se porter acquéreurs d’un bien en liquidation judiciaire.
La personne souhaitant adresser une offre de reprise doit alors présenter une qualité essentielle : être un tiers à l’entreprise !
Cette interprétation ferme de la Haute juridiction se justifie néanmoins à la lettre du premier alinéa de l’article L.642-18 du Code de commerce.
Ce dernier dispose en effet que les ventes d’immeubles s’opèrent conformément aux dispositions précitées du CPCE, sous la réserve importante que « ces dispositions ne soient pas contraires à celles du Code de commerce ».
Le CPCE prévoit la possibilité pour « toute personne » - sous réserve de quelques exceptions – de se porter enchérisseur, ce que contredit le Code de commerce en listant plusieurs interdictions et notamment une pour les proches du débiteur.
C’est donc tout naturellement que la Haute juridiction affirme que les interdictions énoncées par l’article L.642-3 du Code de commerce s’appliquent à toutes les cessions des actifs, quel qu’en soit le mode de réalisation.
Par ailleurs, il est important de relever que cette interdiction n’est pas absolue, l’article L.642-20 du Code de commerce prévoyant certaines dérogations dans le cadre des cessions d’actifs isolés :
- d’une part, sur requête du Ministère public, le Juge-commissaire peut autoriser la cession aux dirigeants ou aux proches parents et alliés mais pas aux contrôleurs ou au débiteur lui-même ;
- d’autre part, sur requête du Ministère public, du liquidateur ou du débiteur, la même dérogation peut être accordée pour les actifs de faible valeur nécessaires aux besoins de la vie courante.
A cet égard, l’article 7 de l’ordonnance n°2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises dans le contexte de la Covid-19 permettait au débiteur ou à l’Administrateur judiciaire de déposer directement une offre de reprise.
Largement décriée, la mesure n’a pas été prolongée par l’ordonnance n°2020-1443 du 25 novembre 2020 et a pris fin le 31 décembre 2020, démontrant l’intangibilité de ce principe aux yeux du législateur et de la Haute juridiction.
Enfin, il est intéressant de relever que les articles L.642-3 et L.642-20 du Code de commerce ont fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) aux motifs qu’ils portaient atteinte à la propriété du débiteur et de ses créanciers en raison de l’incidence sur le produit de la vente d’un plus petit nombre d’enchérisseurs.
La Cour de cassation a rejeté cet argumentaire et refusé de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel (Com., QPC, 23 septembre 2014, n°13-19.713).
Les dirigeants et leurs proches sont ainsi appelés à la plus grande vigilance : aucun d’entre eux ne pourra présenter une offre de reprise des actifs, quel qu’en soit le mode de réalisation, sous réserve des quelques exceptions existantes.