Ecriture : et si on devait tout aux comptables ?
Quel rapport y a-t-il entre l'origine de l'écriture, la comptabilité, le storytelling et les textes fondateurs ? Pas facile à concilier quand on parle de profession du chiffre, de gens de lettres, ou de techniques de communication, et pourtant il y a bien un lien que je vais vous révéler !
Au commencement on n'écrivait pas
A quand remonte l'histoire ? Généralement aux premiers écrits, donc à peu près à la fin du IVe millénaire (oui millénaire, pas siècle) en Mésopotamie. Les premières écritures se faisaient sur des tablettes d'argile avec un calame et servaient à noter pour les marchandises, à la fois les quantités (écriture numérique) et la nature de ce qui était quantifié (écriture pictographique représentant de manière stylisée l'objet de la transaction).
Bien avant Amazon, les biens circulaient
Lorsque les biens ont commencé à circuler entre les premières cités mésopotamiennes, il a fallu mettre au point un conditionnement (des vases en argile), une protection (un couvercle en tissu et un scellé en argile) pour garantir l'intégrité du bien en circulation. Et pour signifier le contenu, le scellé en argile a justement été le premier support d'écriture décrivant ce que contenait la jarre et en quelle quantité. Par ailleurs, le marchand ou le producteur tenait une comptabilité et reportait les quantités de biens sur des tablettes d'argile qui servaient de "livres de comptes" (pardon pour l'anachronisme, mais vous voyez l'image).
Ainsi, les premiers "écrits" étaient ces tablettes de comptabilité comportant des signes numériques et des représentations pictographiques des biens. Ces représentations ont évolué au cours des siècles suivants probablement par commodité avec une stylisation de plus en plus prononcée, aboutissant à une écriture cunéiforme (en coins). L'avantage de cette écriture, et qu'elle a permis de passer de la représentation des quantités et des choses à des phonèmes pouvant être combinés et capable de retranscrire les paroles prononcés par les humains.
Ceux qui n'écrivaient pas racontaient des histoires
Et le rapport avec le storytelling me direz-vous ? Eh bien, tant que l'écriture servait essentiellement à tenir une comptabilité, la transmission se faisait à l'oral. Les conteurs racontaient aux jeunes générations les événements du passé. Et pour que le récit soit captivant, ils transformaient les faits en histoires, avec un sens, un début, un développement et une fin. Et inlassablement, les récits se transmettaient devant un auditoire captif. Aujourd'hui on appelle cela du storytelling, mais dans la Mésopotamie d'il y a 4000 ans avant Jésus Christ, les valeurs, le sens, la compréhension du monde passaient par leur transformation en histoires. Cela a donné les épopées, les mythes et légendes, la Bible, le Coran, tous ces récits ayant donné à chaque époque des explications sur la création et le fonctionnement du monde.
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Quand les écritures changèrent de registre
Comme je le disais (ou écrivais) plus haut, l'évolution de l'écriture cunéiforme aboutissant à la reproduction phonétique, il devint possible de transcrire ce qui était dit à l'oral. C'est ainsi que les récits que nous connaissons par l'archéologie aujourd'hui furent consignés sur des tablettes d'argile, permettant aux histoires de prendre une forme parfaite à force d'être corrigées et également de servir de support ludique pour apprendre à lire. Ainsi se développèrent trois familles de métiers d'écritures bien identifiés plus tard dans l'Egypte ancienne : les comptables, les scribes (pour les décisions politiques et les écrits administratifs) et les poètes pour les récits épiques.
Conclusion
Finalement, tout ce qui s'est mis en place entre -4000 et -2500 ans avant JC est encore là aujourd'hui. Mieux, l'écrit n'a jamais autant dominé notre civilisation. Au XXe siècle il y aura eu une hésitation avec le développement de l'image contre l'écrit. Cinéma, télévision. Ou de l'oralité avec la radio. Et pourtant, qui aujourd'hui, dans notre XXIè siècle numérique (tiens, on revient aux chiffres), contesterait que l'écrit domine ? Alors rendons à César ce qui est à César. Les comptables en quantifiant les choses, ont pavé le chemin de l'histoire, comme le numérique pave le chemin des contenus écrits. Nous leur devons tout !
Quels mots devons-nous aux comptables ?
Le monde de la comptabilité nous a apporté bien des mots que l'on utilise toujours aujourd'hui :
Bravo pour ce magnifique article ! J’aime beaucoup le lien entre l’écriture cunéiforme et le nom de famille Cuneo 😉