🇫🇷 1,2 million de LGBT+ toujours pas visibles au travail ! Le verre à moitié vide...
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🇫🇷 1,2 million de LGBT+ toujours pas visibles au travail ! Le verre à moitié vide...

Visibilisation des LGBT+ : il y a urgence…

Bien évidemment, les évolutions sur des thématiques de société, comme celle de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, se font sur un temps long, beaucoup trop long selon moi, en dépit de quelques progrès que nous pouvons noter.

Car, derrière ces chiffres issus du Baromètre LGBT+ L'Autre Cercle - Groupe Ifop , dans le monde du travail, ce sont les destins de quelques…3 millions de personnes LGBT+ (lesbienne, gay, bisexuel ou transgenre)…* Une proportion de 10% de la population selon l’estimation d’une autre enquête d’ Ipsos qui monte à 18% pour les générations Z (personnes nées en 1997 et après). C’est dire qu’il y a urgence à transformer en profondeur les mentalités et les pratiques des organisations, si l’on veut être au rendez-vous des nouvelles générations. En effet, nous ne pouvons plus nous permettre d’analyser la triste réalité de l’inclusion des personnes LGBT+ avec le prisme des générations Boomers (nés en 1948-1964), qui ne sont que 4% à s’identifier comme LGBT+.

Derrière ces chiffres encore accablants, c’est une partie de la population française qui souffre, qui se cache, invente une autre vie, voire qui subit les agressions LGBTphobes dans l’environnement de travail. Quel gâchis, si l’on pense que cette énergie négative pourrait être mise au profit de l’engagement et de la fierté d’être soi-même.

Verre à moitié plein ou verre à moitié vide ? Selon moi, lorsqu’il est question de droits humains et d’inégalité, nous nous devons de voir d’abord le verre à moitié vide. Sans concession…

La visibilité des personnes LGBT+, des facteurs aggravants

4 personnes LGBT+ sur 10 sont encore dans le placard…C’est ce qui ressort du quatrième Baromètre LGBT+ L’Autre Cercle- Ifop** que j’ai eu le plaisir de lancer pour l’association en 2017 et dont j’ai conduit les trois précédentes éditions. En effet, 40% des LGBT+ ne sont pas visibles auprès de leurs collègues.

Et cela s’aggrave en fonction des catégories socioprofessionnelles, puisque 49% des ouvriers ne sont pas visibles (contre 36% des cadres et professions intellectuelles supérieures).

Et cette proportion de LGBT+ visibles tombe malheureusement à 51 % vis-à-vis de leurs supérieurs hiérarchiques directs.

Et cela se gâte avec la culture de l’entreprise : moins l’organisation est LGBTfriendly, moins les personnes LGBT+ sont visibles (48% pour les organisations "non friendly", contre 25% quand elles sont "très friendly").

Une invisibilité lourde de conséquences

Les conséquences de cette invisibilité est extrêmement préjudiciables pour les personnes concernées, puisqu’elles peuvent se traduire, outre le fait d'omettre volontairement d’indiquer ou de parler du genre de son conjoint dans son organisation (47%), par le renoncement à participer à un événement informel organisé par des collègues ou par l’organisation où les conjoints sont invités (28%), voire le renoncement à faire valoir ses droits, comme le bénéfice d’une mutuelle pour son conjoint (23%).

Le risque de moquerie et de jugement négatif : premier ressort de l’invisibilité

Quelles sont les raisons de cette invisibilité ? Pour 30% des LGBT+ non visibles, cette invisibilité est liée aux risques encourus (moqueries, jugements négatifs…) et à l’environnement de travail non inclusif.

Pour 53% d’entre eux, leur entourage professionnel n'a pas besoin de le savoir...Etrange ? Pas autant que cela puisse paraitre.  Car c’est d’abord une forme d’autocensure de la part des personnes LGBT+ non visibles. En effet, cet argument ne serait jamais avancé de la part d’une personne cisgenre (c'est à dire non transgenre) ou hétérosexuelle. C’est bien toute la difficulté d’une minorité qui se pense dans un monde hétéronormé…

La LGBTphobie n’est pas un fantasme

Si une grande partie des personnes LGBT+ reste dans l’ombre, c’est bien pour des raisons profondes. Bien loin de l’illusion d’une entreprise LGBTfriendly : selon l’enquête L’Autre Cercle - Ifop, 77% des salariés considèrent leur organisation comme LGBT-friendly, c’est-à-dire bienveillante et inclusive à l’égard des personnes LGBT+…

Et pour les employés LGBT+, la réalité est bien divergente de cette image idyllique : 28% d’entre eux déclarent encore aujourd’hui avoir été victimes d’au moins une agression LGBTphobe au travail et ce niveau reste relativement stable par rapport à 2021 (-2 pts). Ces agressions prennent la forme de moqueries désobligeantes ou des propos vexants (23%), d’insultes ou injures à caractère diffamatoire (16%), de mise à l'écart des autres employés (15%), des menaces d’outing (12%), des menaces d’agression sur les biens ou la personne (12%), ou encore d’actes de violences physiques ou sexuelles (10%). L’enquête ne révèle pas de différence entre les gays et les lesbiennes, alors qu’elle est significative en fonction de l’apparence : 68% des hommes d’apparence féminine contre 28% des hommes d’apparence masculine déclarent avoir été victimes d’au moins une agression LGBTphobe dans leur organisation.

Tout aussi alarmant en 2024 en France : 53% des LGBT+ déclarent avoir entendu des expressions LGBTphobes telles que « enculé » (45%), « pédé » (40%), « ce n’est pas un boulot de pédé » (35%), « gouine » (32%) ou encore « travelo » (29%).

Tout aussi inquiétant : 1 personne LGBT+ sur 4 déclare avoir été victime de discrimination de la part de sa direction (ce chiffre est malheureusement stable depuis 2021). Les ouvriers LGBT+ sont plus exposés aux discriminations que les autres professions (31%, versus 25% pour les cadres et professions intellectuelles supérieures).

Pour les personnes transgenres et non binaires, la situation est encore plus critique : 42% d'entre elles disent avoir subi des discriminations de la part de leur direction (versus 24% pour les lesbiennes, 22% pour les gays et 21% pour les personnes bisexuelles). Pour elles, les agressions LGBTphobes sont exacerbées : 37% déclarent avoir subi au moins une agression sur leur lieu de travail (+ 9 points par rapport à celui des LGBT+).

Face à ces agressions LGBTphobes, le silence reste encore très prégnant : 39% des employés LGBT+ victimes de moqueries désobligeantes ou de propos vexants n’en ont parlé à personne.

En dehors du monde du travail, le contexte est peu rassurant...Comme le souligne le rapport 2023 de SOS homophobie***, le regain des violences à l’encontre des personnes LGBTI dans l’espace publique, ainsi que la haine en ligne est bien réel. Dans ce même rapport l’association insistait sur la hausse inquiétante des agressions physiques (en 2022, 184 cas recensés, en hausse de 28 % par rapport à 2021).

Et bien évidemment, n'oublions pas le contexte international où les droits des personnes LGBT+ se durcissent, aux Etats-Unis, en Russie, en Afrique, alors que dans 70 pays, être LGBT+ est réprimé et même passible de la peine de mort.

Autant d'arguments pour voir le verre à moitié vide...

Quels leviers pour sortir du placard ?

Quels seraient les leviers pour que les personnes LGBT+ deviennent visibles ? Ce sont avant tout des changements qui concourent à rendre l’environnement plus sécurisant, notamment grâce à un engagement de la direction et de la hiérarchie. En premier lieu, de l’avis des personnes LGBT+ non visibles, ce serait la garantie de recadrage ou la sanction de la part de la hiérarchie en cas de comportement ou d’acte de discrimination LGBTphobe au sein de l’organisation (54%), tout comme la signature d’une charte pour lutter contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et l'identité de genre (53%). Au même rang, ce serait la garantie d’un environnement de travail favorable à l’expression de son orientation sexuelle ou de son identité de genre (53%). Sont avancés également des sensibilisations de l’ensemble du personnel (52%) et une prise de parole claire de la direction relayée par son supérieur hiérarchique direct (50%). De même, pour la moitié des LGBT+ non visibles, la présence de collègues visibles, d’associations ou réseau LGBT+ au sein de l’organisation et la présence d’une personne référente pour la diversité, la lutte contre les discriminations intégrant les questions LGBT+ au sein de l’organisation seraient de nature à rendre visibles les LGBT+ aujourd’hui encore dans le placard.

Une pointe, juste une pointe…d’optimisme

Certes, nous devons nous réjouir de la hausse de 10 points en six ans en ce qui concerne la visibilité des personnes LGBT+ (60% versus 50% en 2018). Cette progression est liée notamment à l’évolution à la fois sociologique, avec la présence davantage de personnalités LGBT+ dans le monde des sports, des médias et politique, comme l’illustre récemment la présence d’une personne ouvertement gay au sommet du Gouvernement. Et dans le monde du travail, ce sont près de 300 organisations signataires de la Charte d'Engagement LGBT+ en France et après cinq années d’éditions Rôles Modèles LGBT+ de L’Autre Cercle, nous comptons davantage d’acteurs engagés LGBT+ et alliés. De même, l’évolution du cadre légal a consacré ou accéléré ce mouvement : officialisation des couples homosexuels par les lois de 1999 qui a légalisé le PACS et de 2013 qui a instauré le Mariage pour Tous. Dans l’Eurobaromètre sur les discriminations de 2023, il ressortait qu’en France, que plus de 8 Français sur 10 conviennent qu'il n'y a rien de mal dans une relation sexuelle entre deux personnes du même sexe et que près de 8 sur 10 déclarent qu'ils se sentiraient à l'aise si une personne lesbienne, gay ou bisexuelle occupait le poste politique le plus élevé du pays…***

Tout comme nous devons nous féliciter de l’impact de l’engagement des directions en matière d’inclusion des personnes LGBT+ : les employés LGBT+ travaillant dans une organisation signataire de la Charte de L’Autre Cercle sont plus visibles auprès de leurs collègues (67% contre 60% pour la moyenne France). De même, ils sont moins nombreux à être victimes d’insultes ou d’injures à caractère diffamatoire (9% vs 16%) et d’actes de violences physiques ou sexuelles (3% vs 10%).

Alors oui, malgré ces progrès, je persiste à voir d’abord le verre à moitié vide et à m’insurger contre cette rupture d’égalité et cette exclusion qui peut concerner 3 millions de personnes LGBT+ au travail dans notre pays. Ce n'est parce que je suis pessimiste, mais parce que mon ambition pour l'inclusion des personnes LGBT+ est bien supérieure aux résultats du baromètre, fussent-ils en progression.

 

* Extrapolation sur la base de la population active au sens du Bureau international du travail (BIT) de 30,6 millions de personnes en France hors Mayotte et de l’enquête LGBT+ PRIDE 2023, d’IPSOS qui identifie en France 10% de personnes LGBT+.

** L’enquête 4e Baromètre LGBT+ L’Autre Cercle- Ifop 2024 a été réalisée au cours du premier trimestre 2024 auprès d’un échantillon national représentatif de 8 997 salariés et ou agents âgés de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine, dont 1 027 LGBT+ (personnes homosexuelles, bi/pansexuelles, asexuelles et transgenres) et d’un échantillon de 43 252 salariés et ou agentes travaillant dans 83 organisations signataires de la Charte d’Engagement LGBT+ L’Autre Cercle, dont 6 915 LGBT+

*** Rapport sur les LGBTIphobies 2023, SOS homophobie

**** Special Eurobarometer 535, Discrimination in the European Union, European Commission, Décembre 2023


SOS homophobie Fondation Le Refuge STOP HOMOPHOBIE DILCRAH Défenseur des droits Isabelle Rome Aurore Bergé Catherine Vautrin Bérangère Couillard Élisabeth Moreno Jean-marc Berthon L'Association Française des Managers de la Diversité (AFMD) Charte de la diversité Les entreprises pour la Cité Club 21e Siècle Catherine TRIPON Julien HAMY Jean-Baptiste Marteau Daniel Ielli Christophe Beaugrand Mathieu VIDARD giulia fois Marlies Demeulandre Jean-Christophe TORTORA Antoine LY


 

Belle analyse Alain: il reste trop à faire pour s'estimer satisfait. A l'un des leviers cité: "Recadrage et sanctions pour comportement ou acte de discrimination " j'ajouterai pour être clair "écarts de langage" (inutile de les citer nous les entendons tous les jours).  Le langage est un véhicule puissant je crois. 

Guillaume Ventura

HEC | Beauty Mktg Group Manager @Puig | Mktg Teacher @HEC @AlbertSchool

7 mois

Je vois la progression… et le reste à faire ! Toujours besoin de plus de modèles, il faudrait lancer un casting dans les secteurs les plus bas niveau chiffres ! 🌈

Agnès von der Mühll

Ex-Spokesperson, ex Amb de France à Malte Deputy Chief of Mission in the US

7 mois

Bravo Alain. Très instructif. Ce serait intéressant de conduire une telle étude à Malte également. Pour voir si derrière l'étiquette de champion d'Europe ne se cachent pas quelques disparités également.

Ines Dauvergne

Co founder chez Me&YouToo

7 mois

Merci Alain pour cet article. "77% des répondants du barômètre IFOP/l'Autre cercle perçoivent leur entreprise comme LGBT+ friendly". Mais je m'interroge sur la perception des répondants LGBT+ sur cette question. Je n'arrive pas à trouver le chiffre dans la synthèse du baromètre et je trouve que c'est fondamental de savoir si quand on pose la question aux premiers et premières concernés, ils ont la même perception que les autres du climat LGBT+ friendly. D'autant que tout le monde ne met pas la barre au même niveau sur ce qu'est un environnement "friendly" ou pas.

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