Entretiens "brut de décoffrage"

Entretiens "brut de décoffrage"

Entretien avec Marilyn 60 ans – Mai 2015 dans un bureau d’Emmaüs Défi

Propos recueillis par Catherine Lehoux

 

 

C'est parti. Bonjour Marilyn et merci d'avoir accepté l'entretien.

De rien (elle rît).

Donc, je voudrais savoir comment vous êtes arrivée jusqu'ici, à être amenée à travailler à Emmaüs Défi ? Quels ont été les chemins que vous avez-pris ? J'aimerais que vous me parliez un peu de votre arrivée ici en fait.

Eh bien, mon arrivée a eu lieu y'a trois ans et il y a ...(elle réfléchit) quatre maintenant et j'étais avec une amie. Nous étions amies, c'est tout. Elle est décédée et je me suis retrouvée à la rue. Donc après j'étais dans un foyer et on m'a trouvé, une assistante sociale m'a trouvé un travail ici.

Parce que cette amie était la locataire ?

La propriétaire !

La propriétaire ?

Euh, locataire, locataire.

Oui ? On n'a pas voulu transférer le bail ?

Non.

Et vous ne travailliez pas à l'époque ?

Voilà, exactement.

Et quand l'assistante sociale vous a proposé ça qu'est-ce que vous avez pensé ?

Ben, je me suis dit « du travail, c'est bien ». Euh, c'est ce qui me permettrait donc après d'avoir du travail, un logement et puis ben de recommencer tout simplement.

Vous travailliez avant ?

Oui, avant j'étais vingt-cinq ans...euh….(elle réfléchit) comptable.

D'accord ?

Et ben, bob, euh et puis y'a un moment que j'ai décroché et de toute façon je ne ferai plus de comptabilité et puis euh et puis voilà quoi.

Quand vous dites que vous avez décroché, vous avez démissionné du poste de comptable ?

Non, non, c'était un licenciement économique.

D'accord et puis…

Ben voilà.

Et vous êtes restée combien de temps sans travailler ?

Oh, ben c'est à dire qu'après je me suis occupé de ma maman pratiquement dix ans, elle avait Alzheimer et au bout d'un moment je ne pouvais plus m’en occuper. Quand j'allais faire des courses par exemple, bon ben elle était dehors, elle savait plus où elle était. Enfin bref, donc voilà

D'accord. Et qu'est-ce que vous faites exactement ici à Emmaüs ?

Là, je travaille au textile et je fais...je m'occupe de tout ce qui est vêtements enfants. Donc le tri, euh..(elle réfléchit) les garçons, les filles, les bébés, par saison, les prix et puis voilà.

Vous ne sortez pas d’Emmaüs défi en fait, alors ? Vous ne faites pas les livraisons ou le retrait ?

Non, non, non.

Vous pouvez m'expliquer ici une journée type à Emmaüs, comment ça se passe pour vous ?

Alors, tout dépend de la journée, puisqu'on a des horaires différents.

Par exemple, aujourd'hui ça se passe comment ?

Et bien aujourd'hui...aujourd'hui, je vais être à la vente. Donc une heure et demie, treize heures trente jusque dix-huit heures. On va faire de la vente, des tickets.

Des tickets ? Vous pouvez m'en dire plus ? Parce que j’en connais pas du tout.

Ah oh ? (Elle semble surprise) Les tickets, c'est à dire il faut marquer sur ….le numéro du centre, ce qu'on vend, si c'est du textile, si c'est emménager des meubles etc...Donc on remplit un bon et puis bon on marque le prix et euh...après les clients vont à la caisse, ils nous laissent évidemment ce qu'ils ont acheté et on fait un échange de bon et de ce qu'ils ont acheté une fois que c’est payé. C'est clair ?

Alors, ils prennent les bons, ils vous les donnent, c’est ça ?

Je leur donne le bon.

Vous leur donnez le bon ?

Elle parle avec enthousiasme : Ils vont à la caisse et là -dessus sur le petit bon y'a un grand tampon Emmaüs payé et dans ce cas-là ils viennent retirer leur marchandise.

Ah d'accord.

Et vous quand vous êtes à la vente vous ne vendez pas que les vêtements enfants ?

Non, non, de tout. Tout ce que les gens peuvent avoir besoin.

Et comment ça se passe la vente pour vous ?

Ah moi, très bien !

Oui, vous aimez ?

Oui.

Qu'est-ce qui vous plaît dans la vente ?

Bah ça me change déjà de la semaine où on fait du tri. On voit du monde, euh...ben voilà quoi (elle sourit). Avec des clients, on est devenus amis, mais bon on les voit régulièrement donc « bonjour, comment ça va les enfants ? ». Enfin, bon ça fait un contact.

Et quand vous n'êtes pas au magasin alors ?

Non bah je….dans le coin textile on a un premier tri euh...où euh….(elle réfléchit) où on a des bacs et les gens mettent hommes, femmes, enfants et le linge de maison. Je prends mon bac enfant, je répartis, je regarde déjà si y'a pas de tâches, si y'a pas de trous et si l'habit est vendable et après je répartis, garçon, fille et layette. Après, je refais un deuxième tri où je fais par saison donc printemps, été, automne, hiver et euh...selon la saison concernée et ben je mets les étiquettes et dessus je mets le prix et après ça part au magasin ou au 104 ou ici à Ricquet.

Au 104 c'est un magasin ?

Oui. C'est un magasin, le même en plus petit.

Et qu'est-ce que vous faites des vêtements qui sont troués, tachés ?

Alors, on les met dans un sac Relais et je crois qu'au Relais, ils recyclent les vêtements. Pour faire quoi, je ne sais plus trop.

Mais en tout cas ce n'est pas perdu ?

Non, ce n'est pas perdu. Ah si, c'est pour faire de l'isolant pour les maisons. Dans des trucs comme ça quoi.

En tout cas c’est recyclé ?

Oui, c'est recyclé.

Et vous avez des formations, ici à Emmaüs ?

 Euh, moi non mais y'en a qu'on...oui, y'en a qui en profite. Enfin, profiter entre guillemets.

Oui, oui bien sûr.

Mais oui y'a des cours de français. Puis peut-être selon le désir des gens, peut-être qu'ils recherchent des formations qui pourraient correspondre pour telle ou telle personne.

Parce que vous en fait, votre projet ici ….(Elle n'attend pas que je formule et prend la parole illico)

Oh, ben moi j'attends la retraite ! (Elle rît)

C'est dans combien de temps ?

Bah, encore deux ans !

Encore deux ans.

Jusque-là retraite, vous allez rester ici ?

Bah oui (d'un air fataliste).

Et comment vous vous sentez ici ?

Euh...(Elle réfléchit). Bien, l'ambiance ça pourrait être beaucoup pire mais bon non, on va dire qu'en principe l'ambiance est bonne. Euh...Y'a beaucoup de travail. C’est fatigant mais bon contente de venir travailler le matin, je ne me lève pas pour rien quoi.

Oui, mais vous qui avez travaillé depuis de nombreuses années en comptabilité et qui maintenant être…êtes à Emmaüs, quelle est pour vous la différence dans la relation avec les gens, dans l'ambiance.

Silence.

J'imagine que ce n'est pas pareil ?

Non, je pense que l'ambiance est un peu plus humaine ici on va dire. Puisque bon, chacun a traversé une mauvaise passe et euh...ça rapproche un petit peu. Mais par contre on ne pose pas de questions sur ce qui s'est passé, euh...voilà.

Vous échangez sur vos mauvaises passes ?

Non

Même si y'a pas de question, on a envie d'en parler ou pas ?

Non, non. On parle du moment présent.

D'accord, il n’arrive jamais que des personnes, euh...fassent une fixation sur leur passé et qu'ils aient besoin d'en parler et qui se confient à leur collègue ? 

Non mais non je n'en connais pas. Ou alors on ne m’a jamais confié. Chacun fait comme il veut quoi.

Et maintenant vous vivez où alors ?

Ben, j'ai mon chez moi dans le treizième, euh...et je suis très bien dans le treizième.

Oui ?

Ah oui, c'est un petit quartier vraiment mignon, ça me plaît bien, oui. Ça me plaisait pas au début, parce que quand on m'a fait voir l'appart... (Pousse un waouh de surprise), parce que quand on m'a fait voir l'appart ça faisait longtemps que ça avait brulé, y'avait des parpaings par terre. Vraiment c'était l’horreur.

Et ils ont refait ?

Oui, oui, oui, oui. Oui, ils ont tout refait, heureusement d'ailleurs mais oh quand j'ai vu l'appart. Et puis bon maintenant que tout est propre euh...ça va.

C'est un autre regard, ouais.

Ah oui, oui.

Et avant l'appart, vous avez donc vécu dans un...un foyer ?

Ouais.

C'est un foyer de femmes ou...

Oui, dans le treizième.

Dans le treizième ?

Oui, oui.

Et alors, comment vous vous sentiez dans ce foyer ?

Oh, alors au début complètement perdu et puis euh...(elle réfléchit) et puis je passais pas mal de journées dehors.

Oui ?

J'ai repris des cours de...d'informatique, histoire de m'occuper, histoire de..et c'est là...c’est là-bas qu'on m'a trouvé un travail ici.

D'accord. Vous ne vous êtes pas laissée aller donc.

Non mais j'ai mis du temps à m'habituer.

Oui, ben disons peut-être le deuil de votre amie et tout ça non ? Tout ça qui arrive en même temps ça fait beaucoup.

Oui, oui.

Ça faisait longtemps que vous viviez avec votre amie ? Si mes questions vous dérangent vous me le dites, hein ?

Non, non, non, non.

Vous n'êtes obligée en rien du tout.

Non, non, non, non. Euh...ça faisait plus de vingt ans. Oui, on a eut sa fille ensemble, euh...

Ah oui ?

Oui, oui, oui, oui.

Et cette fille ? Vous avez des nouvelles ?

Ah oui, oui, oui, oui, oui.

Oui ? Vous êtes toujours en contact ?

Oui, oui, oui.

Et quand sa fille a appris le décès de sa maman, tout ça, et que vous vous êtes retrouvée dehors, est-ce qu'elle a pu faire quelque chose ?

Non, elle n'a rien pu faire. Elle est mariée à un militaire et à ce moment-là ils étaient à Tahiti.

Ah oui. Ah oui.

Donc, donc, bah voilà quoi et puis je crois qu'on va arrêter d'en parler (Les larmes lui montent aux yeux et sa voix s'étrangle).

Y'a pas de soucis, y'a pas de problèmes, on va parler de..de l'avenir parce que même si vous allez être à la retraite, j'imagine que vous avez des projets ?

Bn, euh...des projets pas... (Elle souffle).

Des trucs qui vous tiennent à cœur ? Des trucs que vous n'aviez pas pu faire parce que vous n'aviez peut-être pas le temps ? Des activités culturelles ?

Non, pas…déjà je ne suis pas maniaque pour deux sous, euh...j'adore les chiens, donc je pense que...je m'étais déjà renseignée euh avoir euh...comment...des chiots pour des chiens d'aveugles.

Oui ?

Voilà, donc les élever au départ, un petit peu moins d'un an puis quand le chiot est propre, dressé etc....le rendre.

D'accord, faire l'éducation ?

Voilà. Donc voilà ou prendre carrément un chien pour moi.

Vous aimez les animaux ?

Oui.

Vous en avez déjà eu un chien ?

Ah oui ! Et puis là, mon amie aussi à un moment donné y'avait trois chiens et un chat là-bas.

Ah oui ?

Oui, oui et ça fait un vide. Mais là en travaillant...Bon, je sais que le chien peut vivre tout seul mais bon euh...enfin tout seul dans la journée je veux dire. Mais bon ce n’est peut-être pas ce qu'il y a de mieux pour lui quoi.

Il faut qu'il ait aussi de la compagnie

Bah oui. Mais bon là 26 ans, j'ai travaillé 26 ans...c'est tellement...puis bon, c'est l'âge aussi. Je veux dire, rentrer le soir, ressortir pour promener le chien tandis que quand je serai à la retraite j'aurai le temps.

On vous sent bien ici, vous avez l'air…

Oui, je suis contente le matin. Bon, ça me fait suer de venir, enfin...Comme tout le monde, je suppose, d'aller...enfin pas je suppose, comme tout le monde. Enfin, moi je suis contente de me lever en me disant « tiens je vais travailler aujourd'hui ».

Vous travaillez du lundi au vendredi ?

Oui.

Jamais le weekend ?

Non.

Parce que je crois que la boutique est ouverte le samedi ?

Oui. Ça c'est l'équipe du matin qui travaille le weekend et puis l'équipe de l'après-midi, dont je fais partie, travaille du lundi au vendredi.

C'est vous qui avez choisi vos horaires ?

Non, on me les a plus ou moins posés mais bon c'est bien comme ça.

Et en dehors de vos collègues Emmaüs et tout ça, depuis que vous avez votre appartement vous avez pu nouer des relations amicales avec ….

Oui, oui, oui, j'ai d'autres fréquentations mais bon des couples avec enfants...je n’allais pas m'imposer chez eux.

Vous-même vous avez des enfants ?

Non, donc voilà (elle a les larmes aux yeux)

Bon, ben…

On a fait le tour ? (je ressens que Marilyn veut fuir)

Oui, je suis désolée de…

Oh mais ce n’est pas grave, c'est pas grave.

Parce que comme vous m'avez dit, posez-moi des questions (on rît ensemble)

Et encore, je trouve que j'ai beaucoup parlé

Oui, mais c'est toujours intéressant, en fait, de savoir comment les personnes sont arrivées jusqu'à Emmaüs Défi, parce qu'il y a aussi une partie intéressante du parcours par rapport à ce que vous avez fait avant et Emmaüs Défi pour voir comment vous avez pu arriver ici et comment vous êtes …

Oui, ben c'était plus ou moins une dépression et après y'a plus qu'à remonter quoi

Voilà, et aujourd'hui comment vous vous sentez ?

Bien, bien.

Je vais arrêter là.

 


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