Essor des fresques : comment aller au-delà de la sensibilisation pour provoquer un vrai changement ?

Ces dernières années, les fresques de sensibilisation se sont multipliées : La Fresque du Climat a fait des émules, et l’on voit maintenant des fresques sur le numérique, le handicap, la santé mentale, et bien d’autres sujets. Si ces ateliers pédagogiques ont connu un véritable engouement, une question persiste : ces fresques changent-elles vraiment les comportements ?

Après avoir participé à plusieurs d'entre elles, j'en viens à me demander si leur impact ne se limite pas à une simple prise de conscience sans action concrète derrière. Cet article propose d’analyser les limites de ces initiatives et de réfléchir à des manières de les rendre plus efficaces.

Les fresques : un puissant outil de sensibilisation, mais des résultats sans doute mitigés sur le comportement

Les fresques, par leur approche collaborative et visuelle, facilitent la compréhension des sujets complexes en reliant les causes et les conséquences d’un phénomène. L'aspect ludique permet de capter l'attention et d'engager les participants. Cependant, malgré leur succès en termes de participation et de satisfaction immédiate, leur impact sur le long terme reste à démontrer.

Plusieurs études ont montré que la sensibilisation seule ne suffit pas pour induire des changements durables de comportements. Comme l'indiquent les recherches en psychologie comportementale, comprendre un problème et agir en conséquence sont deux processus distincts. Par exemple, une étude menée par McKenzie-Mohr et Schultz (2014) a révélé que les campagnes de sensibilisation sur l’environnement, bien qu'efficaces pour informer, ont peu d’effet sur les habitudes à long terme sans incitations structurelles ou émotionnelles supplémentaires.

Dans ce cadre, les fresques peuvent se heurter aux mêmes obstacles : elles offrent une prise de conscience intellectuelle, mais ne fournissent pas toujours les leviers nécessaires pour transformer cette conscience en actions concrètes.

Il y a plusieurs raisons derrière ce décalage entre sensibilisation et changement concret.

1. La dissonance cognitive et l'inertie comportementale Même si les participants reconnaissent la validité des informations qu'ils reçoivent, ils peuvent éprouver des difficultés à modifier leurs habitudes pour plusieurs raisons. Les comportements humains sont souvent enracinés dans des habitudes profondes et des contextes sociaux. Selon les recherches de Ajzen et Fishbein (1980), le passage de l’intention à l’action dépend non seulement des connaissances, mais aussi d'autres facteurs tels que les normes sociales et des facilités perçues. Ainsi, même informé, un individu peut se retrouver coincé dans ses anciennes habitudes s'il n’est pas encouragé à agir par des outils ou des environnements facilitants.
2. L’auto-sélection des participants Un autre problème récurrent est que les participants aux fresques sont souvent des personnes déjà sensibilisées au sujet traité. Elles participent pour renforcer leur connaissance, mais pas nécessairement pour changer radicalement leurs comportements. Ainsi, l'effet de ces ateliers sur des populations moins informées ou moins engagées reste limité, ce qui réduit l’impact global sur les changements de représentation collective.
3. Le manque de suivi et d’accompagnement La fresque, en tant qu'événement ponctuel, peut manquer d'un suivi nécessaire pour traduire la sensibilisation en actions. Les théories de la psychologie de l’engagement, comme celle de Cialdini (2009), montrent que l'accompagnement régulier et la fixation d'objectifs concrets sont essentiels pour maintenir l'élan et engager les personnes sur la voie du changement durable.

Comment concevoir des fresques plus efficaces ?

Pour que les fresques puissent réellement impulser des transformations, il est nécessaire de les adapter en intégrant des stratégies comportementales et structurelles. Voici quelques pistes de réflexion pour maximiser leur impact :

1. Soutenir les fresques par des actions concrètes Les fresques ne devraient pas se limiter à un exercice intellectuel. Il est important que les participants puissent repartir avec des engagements concrets et des outils pour les mettre en œuvre. Par exemple, une fresque sur le handicap pourrait être suivie d'ateliers de co-construction de politiques d’inclusion dans les organisations ou de discussions sur l'accessibilité.
2. Introduire un volet émotionnel Pour que les fresques aient un véritable impact, elles doivent s’adresser à la fois à la tête et au cœur. Des témoignages personnels, des expériences immersives ou des récits émotionnels pourraient être intégrés pour renforcer l’implication émotionnelle des participants. L’introduction de récits de vie peut susciter une prise de conscience plus forte, comme le suggèrent les recherches de Batson et al. (1997), qui ont montré que l'empathie joue un rôle clé dans l’adoption de comportements altruistes.
3. Créer des communautés d'engagement Les fresques pourraient être le point de départ pour créer des communautés de pratiques, où les participants s'entraident pour maintenir leurs engagements. Ces communautés permettraient de partager des retours d’expérience, de fixer des objectifs réguliers et de mesurer les progrès, transformant ainsi la fresque en un catalyseur de changement collectif et durable.
4. Soutenir avec des politiques ou des mesures structurelles : Un atelier, même très bien conçu, a un impact limité s'il n’est pas soutenu par des politiques publiques, des mesures organisationnelles ou des incitations structurelles. Par exemple, une fresque sur le handicap pourrait être accompagnée de politiques d’inclusion en entreprise, ou une fresque sur le numérique responsable pourrait déboucher sur des actions concrètes dans les entreprises.

Conclusion : De la sensibilisation à l'action, le rôle des professionnels dans la transformation durable

Les fresques de sensibilisation ont un grand potentiel pour initier la prise de conscience, mais elles doivent être accompagnées d'une réflexion plus poussée sur l'implémentation, en mobilisant des leviers plus profonds, tant au niveau individuel que systémique. En tant que professionnels, il est de notre responsabilité d'utiliser ces outils non seulement pour éduquer, mais aussi pour transformer nos pratiques et celles de nos organisations. En intégrant des stratégies émotionnelles, comportementales et structurelles, nous pouvons faire de ces fresques non seulement des moments de sensibilisation, mais aussi des moteurs d'actions concrètes et durables.

Arnaud Goulliart, Consultant en gestion de projet et stratégie | Améliorer votre impact | Santé physique, mentale, sociale et environnementale 👋 Comment me contacter ? Envoyez moi un e-mail -> arnaud.goulliart@gmail.com

Références

• Ajzen, I., & Fishbein, M. (1980). Understanding Attitudes and Predicting Social Behavior. Prentice-Hall.
• Batson, C. D., et al. (1997). "Empathy and Altruism". Handbook of Personality Psychology.
• Cialdini, R. B. (2009). Influence: Science and Practice. Pearson Education.
• McKenzie-Mohr, D., & Schultz, P. W. (2014). "Choosing Effective Behavior Change Tools". Journal of Social Issues.