Et si les médecins prescrivaient bien plus que des médicaments?

Et si les médecins prescrivaient bien plus que des médicaments?

De nombreuses personnes sont dans des situations qui s'avèrent réellement néfastes pour leur santé, leur bien être et auraient besoin de soutien pour opérer un changement positif. Les prescriptions habituelles ont un impact limité et ne sont pas en mesure d'améliorer durablement la situation des personnes. On estime que 20% des personnes consultent leur médecin généraliste pour un besoin avant tout social (Marmot, 2010) et qu'un cinquième du temps consacré aux rendez-vous chez le médecin généraliste est consacré à des problèmes non médicaux (NASP).

En réponse à cette problématique et reconnaissant que la santé est principalement déterminée par des facteurs sociaux, économiques et environnementaux, un certain nombre d'initiatives locales ont émergé au Royaume-Uni dans les années 2000 et ont conduit à structurer une pratique innovante, la prescription sociale. Cette approche qui a désormais fait ses preuves se déploie actuellement dans une vingtaine de pays pour répondre pleinement et durablement aux déterminants sociaux de la santé. Cet article vise à présenter la prescription sociale, ses enjeux et son intérêt en particulier en France.

L'essor de la prescription sociale

De nombreux problèmes qui affectent notre santé et notre bien-être ne peuvent pas être traités uniquement avec les approches médicales habituelles – comme la solitude, l’isolement social, la perte d'emploi, les problèmes de logement ou encore le coût de la vie. On estime que le système de santé n'a qu'un impact de 15 % sur les résultats de santé, les déterminants plus larges de la santé y contribuant de manière plus significative.

Compte tenu du vieillissement de la population, de l'essor des maladies chroniques, de l'augmentation des besoins sanitaires et sociaux associés, la prescription sociale a émergé au Royaume-Uni et s'est largement développée avec un triple objectif : améliorer simultanément les soins, la santé de la population et réduire les coûts par habitant (Berwick DM, Nolan TW, Whittington J., 2008). La prescription sociale répond également aux besoins émergents de la société, notamment en matière de santé mentale et offre une réponse holistique en mettant l'accent sur les facteurs sociaux et communautaires qui influent sur le bien-être mental.

Bien qu'il n'existe pas de définition consensuelle de la prescription sociale, cette pratique repose sur l'idée que les professionnels de santé puissent orienter leurs patients "vers des solutions fondées sur les données probantes qui amélioreront leur santé et leur bien-être, en utilisant les services fournis par le secteur bénévole, communautaire et des entreprises sociales" (Social Prescribing Network Conference Report 2016). 

Ainsi, il s'agit d'une approche qui relie les gens aux activités, aux groupes et aux services locaux pour répondre aux besoins sociaux et émotionnels qui affectent leur santé et leur bien-être (NHS England).

Les multiples visages de la prescription sociale

Le Bromley Bow Centre à Londres est considéré comme la première initiative de prescription sociale pleinement opérationnelle en 1984. La prescription sociale s'est développée à l’origine dans des territoires défavorisés, prenant en charge des populations souffrant de problèmes de santé physique et mentale complexes, de difficultés financières, de problèmes sociaux et émotionnels. Elle s'est fortement adaptée aux contextes locaux, devenant ainsi relativement hétérogène. Au fil du temps, les principes de prescription sociale ont été de plus en plus appliqués à d'autres populations, en vue de lutter contre la solitude, d'améliorer les niveaux d'activité physique et le bien-être mental.

La prescription sociale rend compte aujourd'hui d'une large gamme d'interventions agissant sur les déterminants sociaux de la santé, en soutenant les patients présentant des causes profondes non cliniques d’une mauvaise santé ou en prévenant les maladies. On peut noter différents principes structurants sous-jacents pour une mise en œuvre efficace :

  • Une approche holistique et personnalisée, centrée sur les besoins individuels profonds.
  • La promotion du bien être en santé et du pouvoir d'agir.
  • L'orientation de la personne par les professionnels de santé de 1er recours vers un réseau de soutien local, proposant des activités favorisant le bien être (activités sociales ou physiques ; groupes communautaires; activités d’apprentissage et de développement des compétences).

On peut également identifier différents facteurs de succès tels que :

  • La nécessité d'avoir un professionnel dédié, un "link worker" ou médiateur, entre le professionnel de santé et le patient, pour renforcer la motivation du patient, le soutenir et apporter un suivi continu.
  • La nécessité que les activités sociales prescrites soient gratuites ou abordables et reposent sur des données probantes.
  • Le besoin des professionnels de santé d'avoir des outils et des ressources pour être pleinement acteurs de la démarche.

Un modèle standard de prescription sociale a été développé et évalué par le système de santé britannique, le NHS England. Il présente des caractéristiques précises, gage d'efficacité de l'approche.

Husk K, Blockley K, Lovell R, Bethel A, Lang I, Byng R, Garside R. What approaches to social prescribing work, for whom, and in what circumstances? A realist review. Health Soc Care Community. 2020 Mar;28(2):309-324. doi: 10.1111/hsc.12839.

Les résultats tangibles de la prescription sociale

Il existe aujourd'hui des preuves solides démontrant l’impact positif de la prescription sociale sur un large éventail de résultats. Ceux-ci incluent une réduction de la solitude, des améliorations de la santé mentale, des liens sociaux et du bien-être général, ainsi que des avantages pour les personnes vivant avec un large éventail de problèmes de santé physique. En 2017, l'Université de Westminster a publié un résumé des données probantes, qui a montré une réduction de 28 % des consultations de médecins généralistes et de 24 % des visites aux urgences pour les personnes bénéficiant d'une prescription sociale (Polley, MJ et Pilkington, K. 2017).

La prescription sociale peut conduire à une réduction de l’utilisation des services de santé, tant dans le cadre des soins primaires que secondaires. Par exemple, une évaluation du service de prescription sociale dans le Shropshire a montré une réduction de 40 % des rendez-vous chez le médecin généraliste pour les personnes ayant eu recours à la prescription sociale après trois mois (Polley, M., Fixsen A., Voyants H., 2021).

Enfin, la prescription sociale est bonne pour l’économie. Les évaluations montrent systématiquement un retour sur investissement social favorable, avec une vaste étude de l'Université de Sheffield montrant un impact social d'environ 4 euros pour chaque euro investi (Kimberlee, R., Bertotti, M., Dayson, C., Asthana, S., Polley, M., Burns, L., Tierney, S. et Husk, K., 2022). 

Les bénéfices constatés de la prescription sociale par le ministre de la santé au Royaume-Uni

Un phénomène mondial et un essor possible en France

L'Angleterre a été le premier pays à intégrer la prescription sociale dans sa politique nationale de santé et les données probantes sur cette pratique ont conduit d'autres pays à envisager des développements similaires. Le NHS a financé le recrutement de plus de 1 600 agents de liaison de prescription sociale à temps plein, avec l’exigence que d’ici la fin 2023, chaque réseau de soins primaires dispose d’un agent de liaison disponible pour répondre aux besoins locaux. Près de 2,7 millions de britanniques ont déjà été orientés vers des prescriptions sociales depuis 2019.

La prescription sociale est aujourd'hui adoptée dans les politiques et les pratiques partout dans le monde et dans différents contextes de système de santé (Khan & Giurca et al., 2023). Elle est également soutenue par l'Organisation mondiale de la santé. En s'attaquant aux causes profondes et en améliorant l'environnement psychosocial des personnes, cette pratique répond aux besoins des personnes et aux enjeux socio-économiques actuels.

24 pays déployant actuellement la prescription sociale dans leur système de santé

En France, la pratique de prescription sociale n'est pas encore structurée. Elle pourrait contribuer au développement de la prévention en santé et au décloisonnement entre le secteur sanitaire et social. Un projet financé par l'Europe, intitulé Activate, a pour objectif l’introduction et l’adoption de l’approche de prescription sociale dans 3 pays où elle n’est actuellement qu’un concept – la Grèce, l’Espagne et la France. Ce projet était porté par un consortium d'acteurs jusque fin 2023. La Fédération française pour les liens sociaux , association d'utilité publique envisage désormais de soutenir le développement de cette pratique probante partout en France.

Arnaud Goulliart, Consultant en gestion de projet et stratégie | Améliorer votre impact | Santé physique, mentale, sociale et environnementale 👋 Comment me contacter ? Envoyez moi un e-mail -> arnaud.goulliart@gmail.com


« Nous devrions nous laisser guider par notre vision du type de société que nous souhaitons. Si le choix se situe entre une société qui génère la maladie et qui s’appuie ensuite sur une thérapie pour y remédier, ou une société qui génère la santé grâce au capital social et à la responsabilité sociale, la réponse est évidente.» Janet Brandling et William House

Marie Hélène Visconti

Painter at 36 rue des artistes

5 mois

Intéressant. Patrick Bernard ?

Gem Itinérant

Responsable de projet chez oxygem

8 mois

A mettre en place rapidement

Très intéressant, merci du partage ! L'idée est capitale et promet de vrais progrès. Ceci dit cela requiert aussi que le réseau de soutien social local composé des associations caritatives et autres initiatives publiques ou privées soit fonctionnel ! Par exemple les services médico-sociaux publics ou privés et les associations caritatives manquent le plus souvent de moyens humains et financiers suffisants pour apporter une aide efficace. Et ne cherchent généralement pas vraiment ni à lever des fonds (auprès des citoyens volontaires ? auprès des entreprises locales ?) ni à recruter/former des salariés ou bénévoles efficaces. Par exemple un personne en grande difficulté pour réaliser ses tâches administratives peut se voir refuser pendant plusieurs années de l'aide par tous les services en charge de l'aide aux personnes en situation de vulnérabilité sans que cela ne pose aucun problème, car il existe un manque de coordination flagrant de tous ces services au plan local, et un manque de formation des acteurs qui continuent sur le terrain à utiliser outils et méthodes largement obsolètes. Qui se chargera d'optimiser l'efficacité des acteurs de terrain déjà existants pour que les médecins puissent effectivement déléguer vers eux?

christine VERITE

Informaticienne chez Chu de Rouen

8 mois

N'est ce pas ce qui n'existait il y a un siècle ? Quand on avait un souci, on allait voir son pote toujours dispo plutôt que d'avaler un anxiolitique

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