Est-ce que serait venu le temps où les actionnaires s'intéressent au rapports humains ?

Est-ce que serait venu le temps où les actionnaires s'intéressent au rapports humains ?

Décidément la période est foisonnante en évènements en lien avec la gouvernance des entreprises. Après le départ précipité de Carlos Tavares c’est la présidente de SUEZ, Sabrina Soussan, qui se voit débarquée par des actionnaires dont l’ingérence au niveau du management parait sans limites. Une nouvelle situation exceptionnelle intéressante à analyser car encore une fois riche d’enseignements.

 

Qu’est-ce qui est reproché à Sabrina Soussan ?

La première raison, si ce n’est bien souvent l’unique, pour remercier un.e dirigeant.e d’entreprise est normalement en rapport avec des résultats économiques qui ne sont pas à la hauteur des objectifs présentés et validés par les actionnaires. Dans le cas de SUEZ les explications sont pourtant plus nuancées. D’un côté des reproches ont été émis en lien avec la dégradation d’un Résultat Net passé négatif ainsi que la perte d’un gros contrat, celui de la gestion du Syndicat des Eaux d’Ile de France. Mais à l’opposé une progression du chiffre d’affaires de 7 à 9 milliards d’euros entre 2022 et 2024, un objectif de développement international déjà atteint en 2 ans et un EBITDA proche d’un milliard d’euros avec en plus l’explication de la dégradation du Résultat Net par des provisions passées en lien avec trois grosses acquisitions. Autant d’arguments qui viennent largement rééquilibrer le débat.

Difficile après seulement deux ans de gouvernance de stigmatiser de tels résultats et du coup pour expliquer un tel choix une deuxième raison est aussi avancée, un isolement de Sabrina Soussan dû à manque de communication de sa part.

Enseignement : Une décision importante doit être justifiée par des arguments suffisamment forts pour ne pas pouvoir la remettre en question et fragiliser ceux qui la prennent et doivent la faire appliquer car leur légitimité en dépend.

 

Un comportement de l’actionnariat dangereux pour la bonne gouvernance :

Dans les explications avancées dans les médias il ressort que la communication de Sabrina Soussan s’était tellement dégradée que l’actionnariat s’adressait directement à ses directeurs.trices de filiales sans passer par elle. Ce qui parait stupéfiant puisque le garant de la bonne marche de la gouvernance de l’entreprise, l’actionnaire, est ici celui qui fait fi de son organisation en s’immisçant dans les rapports hiérarchiques entre directeurs de filiales et direction générale. Avec un tel comportement, et ce même s’il y avait déjà un problème avant, il est certain que les choses ne peuvent qu’empirer et se dégrader fortement. À qui rapporter en tant que responsable de Business Unit ? À ma PDG comme c’est supposé être le cas ? Ou à mon actionnaire comme celui-ci veut me l’imposer ? Et si j’en choisis un qu’est-ce que je fais avec l’autre ? Rien de pire qu’une telle situation pour casser une dynamique collective en garantissant un repli sur soi qui privilégie l’unique intérêt personnel : Lequel des deux sera le plus profitable pour ma progression de carrière ?

Lorsqu’un groupe en arrive à ce type de situation c’est qu’il est déjà en crise et que si jamais celle-ci se prolonge dans le temps c’est la catastrophe : démotivation des équipes, individualisation des comportements, départ d’hommes et femmes clés, … pour en arriver jusqu’à une inéluctable dépréciation des résultats de l’entreprise.

Enseignement : Les actionnaires en cas de situation dégradée notamment dans la communication avec le/la PDG peuvent demander un audit extérieur pour avoir une vision claire et surtout analytique de la situation mais en aucun cas faire de la basse politique en dressant les uns contre les autres les manageurs.es de la structure.

 

Un management voué dès le départ à être transitoire ?

Sabrina Soussan a repris en 2022 l’entreprise après l’OPA de VEOLIA sur l’ancien SUEZ et a été missionnée pour relancer un groupe qui ne représentait plus que les entités dont son concurrent n’avait pas voulu. Autant dire que la période de reconstruction s’annonçait difficile et que la stratégie de relance du nouveau groupe passait aussi par des économies drastiques et un travail compliqué auprès des équipes.

Est-ce qu’en seulement 2 ans un bilan définitif de son action doit être tiré ? Ce n’est pas à moi à le dire mais il est certain que Sabrina Soussan peut se prévaloir de certains succès et que la voie tracée parait correspondre au plan stratégique 2027 validé par les actionnaires. Était-elle la bonne personne pour continuer cette mission ? Là aussi ce n’est pas à moi de le dire, manquant d’informations pour analyser complètement la situation, mais il arrive dans quelques cas que certaines missions sont tellement difficiles à réussir avec des objectifs si différents où s’entremêlent les dimensions humaine et financière qu’un.e seul.e PDG peut ne pas suffire. Une deuxième phase plus apaisée n’arrive qu’une fois qu’une première plus douloureuse a assaini les comptes et redonné une certaine compétitivité à la structure. Et pour bien marquer le changement de période il est malheureusement quelques fois nécessaire, quand la première phase a été trop violente, qu’un changement de la personne à la tête de l’entreprise soit le meilleur moyen pour donner un nouveau souffle à l’ensemble.

Enseignement : Le management de transition s’applique à l’ensemble des fonctions de l’entreprise et même à celle de PDG. Même si ce n’est pas toujours annoncé et évident dès le départ la succession de phases intenses de la vie de l’entreprise, notamment au moment de restructurations compliquées, fait que le/la PDG qui profitera de la situation assainie pour rentrer dans une phase plus prospère n’est pas toujours celui ou celle qui a permis une telle mutation.

 

Laurent Bénézech conseille, accompagne et forme des manageurs.es depuis 20 ans dans le cadre de la structure barmaBet après avoir encadré lui-même des équipes en entreprise pendant une douzaine d’années et été joueur de rugby professionnel ( 15 sélections en équipe de France, champion de France avec Stade Toulousain et Racing Club de France ).

Pour plus d’information : lbenezech@orange.fr

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