Et pourquoi donc La Poste ne joue-t-elle pas le jeu ?

Et pourquoi donc La Poste ne joue-t-elle pas le jeu ?

Cela fait 35 ans que j’envoie des clients à La Poste. Petits et grands comptes. Il faut croire que je l‘aime bien car j’ai failli y faire carrière. Mais j’ai opté pour un autre métier après quelques années passées chez des vépécistes, celui de « listbroker », rebaptisé aujourd’hui databroker. Il faut croire que cela été bien plus utile à La Poste, car en calculant rapidement, cela ne fait pas loin de 2 milliards de plis à ce jour dont les adresses sont passées auparavant sur nos bandes magnétiques, disquettes, disques durs, CD-R, ZIP, SyQuest et autres pour ceux qui s’en souviennent, avant l'Internet.

Et il se trouve que sur ces adresses un grand nombre n’aurait jamais vu une Bell & Howell ou une SITMA si ma société ne s’était intéressée qu’aux géants de la VPC. Non, ce qui m’intéressait avant tout c’était aider l’apiculteur du Berry, le viticulteur d’Alsace ou du Beaujolais, le conserveur de Castelnaudary, l’éleveur de chèvres Angora de l’Ariège qui se met à tisser des chaussettes en mohair, à trouver des débouchés dans la France entière, au-delà des marchés locaux. De petites campagnes, mais mises bout à bout, des dizaines de millions de plis confiés chaque année à La Poste.

Jadis – et là je parle comme un futur mais pas encore tout à fait retraité- une société faisait le pari de vendre par correspondance, par choix, conviction ou tout simplement parce que son produit s’y prêtait plus qu’à tout autre circuit de distribution. Ou qu’elle ne voulait pas avoir à faire avec les grandes surfaces ou s’encombrer d’un réseau commercial.

Alors où trouvions-nous de nouveaux clients pour alimenter les campagnes de prospection de ces petites maisons devenues grandes ?

Il n’y avait pas cinquante solutions mais trois :

1.      La presse avec les annonces et les encarts

2.      Le mailing postal

3.      les asiles-colis

J’écarte ici la vente directe en porte à porte, ou par réunion qui fait appel à une tierce personne. Et …la télé bien que les premiers spots de marketing direct à la télé datent de 1986 (j’ai fait partie de cette aventure !) avant de devenir la chasse gardée des chaines avec leur « Téléshopping » et autres boutiques. 

La presse n’était cependant accessible qu’à des sociétés d’une certaine taille et ayant les moyens de paraître dans les journaux et magazines nationaux, seuls garants de rentabilité.

L’asile colis est resté quelque peu marginal jusqu’à ces derniers temps où plus d’1,5 milliards de colis vont être acheminés en France. Chaque colis pouvant relayer en son sein ou sur ses flancs plusieurs messages ciblés « drive to web ».

Il restait donc pour toute entreprise souhaitant se développer dans ce secteur le média par excellence du marketing direct, le mailing postal.

Or pour réussir une campagne de mailing postal il vous faut trois choses :

1.      Une enveloppe contenant des documents et beaucoup de matière grise pour expliquer de façon simple et séduisante toutes les bonnes raisons que son ouvreur va trouver pour acheter votre produit

2.      Une adresse d’une personne susceptible d’acheter votre produit qui véhiculera cette enveloppe

3.      La Poste, qui vous achemine tout cela à la bonne adresse.

Et bien sûr tous les prestataires, agences, imprimeurs, routeurs qui vous permettent de réaliser tout cela.

En ce qui concerne l’adresse, celle-ci peut être issue du fichier clients, mais quand vous démarrez ou quand vous voulez faire grandir votre fichier client il n’y avait qu’une solution : appeler un « listbroker ». Et là, le listbroker vous propose deux choses :

a.      Vous disposez déjà d’adresses. Il vous trouve un ou plusieurs confrères non concurrents mais dont la clientèle est très proche de la vôtre avec qui vous pourrez échanger vos adresses.

b.      Vous ne disposez pas d’adresses. Il vous trouve un ou plusieurs confrères non concurrents mais dont la clientèle est très proche de la vôtre à qui vous pourrez louer leurs adresses.

Et dans les deux cas votre fichier n’ira pas chez vos partenaires et le leur n’ira pas chez vous. Le list broker se charge de tout en toute sécurité et au final ce sera La Poste qui portera tout cela dans les boites aux lettres concernées … et qui vous apportera les commandes en retour.

Cette finesse de ciblage, ce niveau de confiance qui permet de sceller des alliances avec des partenaires qui vous ressemblent et qui vous confient leurs meilleurs clients pour que vous les prospectiez en toute sécurité et légalité, ne sera jamais atteinte dans le monde digital. Ce dernier s’est construit sur la prospection de masse, la publicité intrusive et manipulatrice qui atteint aujourd’hui ses limites.

Si j’ai utilisé l’imparfait dans mon flash-back, c’est que mon approche était effectivement imparfaite car tout ceci fonctionne encore et toujours exactement de la même manière aujourd’hui.  Chez la plupart de nos clients c’est toujours et encore exactement ce qui se passe de nos jours, du moins pour la phase « aller » du mailing, car pour le retour de la commande le canal web est de plus en plus utilisé. Pour eux le digital ne remplace pas le print, il ne fait que le compléter. Mais, statistiques à l’appui, et grâce notamment à l’utilisation de plus en plus fréquente du matchback, on constate que le print est aussi là pour booster formidablement le web.

Toutes ces sociétés qui ont animé la VAD en France, et pour qui l’e-commerce n’est finalement qu’un canal supplémentaire, forment une sorte de grand club qui se loue, s’échange ses données en toute confiance par l’intermédiaire de tiers de confiance que sont les list brokers, ou data brokers. Elles me permettent de faire un métier passionnant depuis près de 40 ans et je les en remercie.

Mais s’il y a une société, qui n’a jamais voulu jouer le jeu alors qu’elle possède un fichier probablement très intéressant avec ses philatélistes et ses collectionneurs aguerris, c’est La Poste avec Philaposte. Elle a probablement ses raisons, mais c’est bien dommage. Avec tout le trafic que ce petit monde lui a rapporté, elle aurait pu s’y mêler, ne serait-ce que par courtoisie.

Marie Mortreux Brech

Stratège de marque chez AGAT - Agence de résultats

2 ans

Paul Adam une prose bien menée comme à l’accoutumée , pour défendre un point de vue,qui je l’espère sera lu avec attention.

Pierre DELAURENT

La donnée BtoB, c'est mon truc !

2 ans

Mon cher Paul Adam, C'est toujours un plaisir de te lire car au-delà du fond que tu maîtrises depuis si longtemps, la forme est un régal pour les yeux à une époque ou le "sa va ?" côtoie allègrement "l'inspirant/résiliant/bienveillant" avec tout plein de 🖋 🎯 🍿 🦐 🔍 💰 🛒 😼 et de sauts de lignes parce que cela fait plus cool, voire plus inclusif (et en plus les chatons, ça génère du clic, il parait)... Mais tu te trompes sur un point. A notre époque "digitale", le téléshopping n'est pas chasse gardée télévisuelle. Maryse CORSON a juste été remplacée par une kyrielle de bimbos siliconées vantant les mérites de la dernière veste polaire tendance à Dubaï et Pierre BELLEMARE par une nuée de jouvenceaux sanglés dans des costumes (dont l'ajustement frise l'indécence) et qui nous expliquent gentiment comment ils gagnent 10 K€ par mois en bossant 5 heures par semaine du fond de leur canapé. LinkedIn en regorge aussi par ailleurs. La poudre n'a pas été réinventée (y compris celle de Perlimpinpin si chère à notre Président) et on fait aujourd'hui comme hier... Il n'y a que les outils qui changent... Nous en préparons d'ailleurs un avec Valéry Frontère qui pourrait bien plaire aux List brokers mais je pense que tu le sais déjà 😋

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