Et un jour, pour une personne, tu es le Monde...

Il était une fois…

" Tu es car Je suis "

J'ai été aide-soignante pendant plusieurs années. En soins palliatifs et en hôpital à domicile.

J'ai pris soin et même accompagné mon autre parfois jusqu'à la fin...

Je voudrais vous parler de Mr Georges P.

Vous raconter mon histoire avec cet humain, avec cette Âme...

Mr P. était un "patient"… Un patient que j'ai soigné pendant plusieurs années.

Mr P. était cadre supérieur, il finissait sa journée de travail et rentrait chez lui au guidon de sa moto quand une personne lui a coupé la route et sa vie bascule...

Mr P. a survécu mais s'est réveillé après un long coma avec un corps inerte.

Il était tétraplégique, trachéotomisé… Seule sa tête bougeait encore.

Nous passions avec un(e) collègue infirmier(ère), 3 fois par jour pour l'aider à faire ce que lui ne pouvait plus.

Jusqu'aux gestes les plus intimes...

Georges P. était quelqu'un d'une grande dignité, pour qui j'avais beaucoup, beaucoup de respect.

J'étais celle qui se rendait le plus fréquemment à ses côtés car il appréciait que ce soit moi qui prenne soin de lui.

Quand je remettais son oreiller correctement sous sa tête, quand j'aspirais les sécrétions qui l’étouffaient, retenues par sa trachéotomie…

Il me disait : " Géraldine, comment vous faites ça ? Comment vous faites pour faire les gestes que moi-même je ferais si je pouvais encore ? Comment vous faites pour savoir ce que je ressens ? Vous êtes magique Géraldine..."

Je lui répondais : " Je vous ressens Mr P. je vous ressens... Et ce sont ces mêmes gestes que j'aimerais que l'on fasse pour moi si j’étais à votre place... Je ne fais que mon travail Mr P. du mieux que je peux..."

J'ai quitté la structure dans laquelle je travaillais et n'ai plus revu Mr P.

Quelques années s'écoulent lorsque l'on m'annonce que j'ai de nouveau un cancer.

Ce coup-ci, c’est la thyroïde. Il sera décidé que l’on me l’enlève.

 Après l'opération, je reviens à moi en salle de réveil et je sens tout de suite que quelque chose ne va pas…

Je n'ai plus de souffle, plus d'air. Je ne peux plus respirer.

Toutes les machines s'affolent et se mettent à sonner.

Dans un dernier souffle je prononce ces quelques mots : " Je vais mourir ".

Et plus rien...

Je me réveillerai quelques heures plus tard, en chambre, assise dans le lit.

Je baisse les yeux...

Je suis trachéotomisée.

Julien (mon compagnon) et le Professeur R. qui m'a opéré sont près de moi, décomposés.

On m'explique qu'ils ne comprennent pas ce qu'il s'est passé, que mes cordes vocales sont restées paralysées...

Mais qu'elles bougeaient encore avant qu'ils ne referment.

Encore une fois... Ils ne comprennent pas.

À savoir que les cordes vocales ne nous servent pas qu'à parler ou chanter. Elles sont là avant tout pour que l'on puisse respirer.

Je ne peux donc plus respirer seule.

Et je ne peux plus parler.

Je ne peux que laisser couler mes larmes.

Larmes qui coulent encore plus fort en voyant celles qui sont au bords des yeux du Professeur et de Julien.

Il se fait tard, tout le monde est parti.

Je me retrouve seule… Cauchemard...

Je suis anéantie, je ne comprends pas ce qui m'arrive.

Je me dis que c'en est trop et que cette fois c'est au-delà, que je ne vais pas y arriver.

On m'a déjà coupé la langue...

Il fait nuit, dehors il neige à gros flocons.

Je suis à l'hôpital de la Tronche à Grenoble.

Service orl... Au 8-ème étage...

Je me rapproche de la fenêtre avec comme seule pensée que je ne vais pas y arriver, que c'est trop pour moi et que je préfère que ça s'arrête...

Mais je ne peux pas… Il n'y a pas de poignée.

Je ne peux pas sauter. Je ne peux pas ouvrir la fenêtre...

Et c’est là, à cet instant précis, que me vient l'image de Mr P....

Il y a un proverbe arabe qui dit : " Ne baisse jamais les bras, tu pourrais le faire 2 secondes avant le miracle..."

Et là, apparaît à mon esprit... Mr P.

Je repense à lui, à nos moments partagés, à son courage, à sa dignité et je me dis que je ne peux pas lâcher.

Je vais dès lors, me servir de son Âme et de sa Lumière…

Georges ne quittera plus mon esprit.

Il sera ma motivation, le souffle de vie dont j'ai besoin pour affronter cette épreuve…

Je resterais hospitalisée qu'une semaine grâce à lui et à sa force et je reprendrais en main ma vie de trachéotomisée.

Avec une seule idée en tête, à mon retour à la maison, d'aller lui rendre visite et de le remercier de tout ce qu'il est et de ce qu'il a fait pour moi...

Lorsque j'arrive chez lui, il est heureux de me revoir. Il est reconnaissant de ma visite, il me dit qu'il pense encore souvent à moi.

J'enlève mon foulard et je découvre ma trachéotomie.

Je vois la stupeur dans son regard...

Je lui explique ce qu'il s'est passé et lui dit toute ma reconnaissance.

Je le remercie d'avoir tenu le coup, de n'avoir lâché car il m'a permis de survivre à cette épreuve.

Si vous n'aviez pas été là Mr P. Je ne serai peut-être plus là aujourd'hui...

Et nous pleurons ensemble.

Ce moment restera à jamais gravé dans ma mémoire, dans ma peau, dans mon corps, dans mon âme.

Mr P. Décédera quelques temps plus tard...

Nous pouvons tous être des semeurs de Lumière, des semeurs d'amour parfois même sans le savoir.

Ne pensez pas à moi à la lecture de ces mots.

Pensez juste que nous sommes tous reliés, nous sommes tous humains et nous avons tous ce pouvoir en nous, en notre Âme…

De changer une vie, de changer la Vie.

De changer un monde et nous changeons le Monde.

Nous ne sommes que de passage alors faisons en sorte que notre chemin soit le plus lumineux, humain et magique possible...

Pour nous d'abord mais aussi et tellement pour notre autre...

En hommage à Mr Georges P. cette grande Âme qui a modifée le cours de mon histoire...

Géraldine DUFFOURD