Etre un bon "fou du roi"​
Le fou du roi

Etre un bon "fou du roi"

Vous souvenez-vous du conte d’Andersen « les nouveaux habits de l’empereur » ? le roi s’imagine vêtu d’une étoffe précieuse tissée par deux tailleurs qui s’avèrent être des escrocs. Seul un petit garçon ose intervenir « Mais le roi est nu ! »… Ce conte pose un problème essentiel en termes de management du risque au sein des instances de gouvernance.

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Qui peut suggérer à un dirigeant qu’il se trompe ou qu’il va trop loin et lui montrer ses angles morts et ses biais ? Qui peut préserver une parole libre et faire un renvoi d’image authentique à un décideur ou à un collectif de décideurs s’il se met à dysfonctionner ? A priori tout le monde… Mais au sein de l’équipes, les dynamiques de pouvoir et les intérêts en jeu empêchent parfois de le faire. Au sein des organes de gouvernance (un conseil d’administration par exemple), les messages interviennent tard et sont pollués par d’autres considérations.

Dans une interview parue dans Le Figaro en mars 2021, le Professeur Manfred Kets de Vries met en lumière le rôle du « fou du roi » : une source d’inspiration riche et fertile, un remède à l’isolement des dirigeants, une drôle de façon de contourner les enjeux d’ego.

Les différentes facettes du fou du roi, à travers la mythologie et l’histoire

D’abord un contre-exemple, à travers la mythologie. Dans l’antiquité grecques, la figure qui symbolise ce rôle de « fou du roi » est le dieu Momos, fils de la nuit. Figure du sarcasme et de la raillerie, il agit dans les coulisses et joue à la fois un rôle d’inspirateur et de conspirateur. De sorte qu’à force de maladresses, il se fait finalement bannir et s’installe chez le seul dieu qui le supporte encore : Dyonisos. Une figure à garder en tête pour ceux qui se sentent une vocation de fou du roi : le sarcasme, la raillerie et le cynisme exaspèrent et le fou du roi qui se cantonne au ricanement et au commentaire moqueur finit dans la solitude. La figure de Momos nous alerte sur les limites de cette métaphore Roi-Fou et sur les ravages de l’humour au détriment des autres dans les organisations.

Plus tard, c’est Erasme, dans son Eloge de la folie, qui parle le mieux de la figure du fou du roi : « Les fous une qualité peu commune : eux seuls sont véridiques » « Les oreilles princières ont horreur de la vérité. Mais les fous réussissent à la leur faire accepter et à leur montrer ce qu’ils ne voient pas ». Du XIVème au XVIIIème siècle, en France, le fou (ou la folle) du roi a un rôle d’exutoire : il peut manier l’impertinence, dire ce que personne n’ose dire, malmener les egos et les figures institutionnelles. A la cour, il dispose d’une (presque) totale liberté de parole. En contrepartie il appartient au roi (et n’intervient qu’en sa présence), n’a aucun pouvoir officiel et traite des sujets sur un mode burlesque et décalé : il ne sort pas de son rôle. Il a du pouvoir car il n’est pas dangereux.

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Faire en sorte de ne pas avoir besoin de fou du roi

Première piste de réflexion : comment créer un environnement où le fou du roi n’est plus nécessaire. Contrepartie au pouvoir absolu, le fou vient compenser l’impossibilité de dire « le roi est nu ». Traduction dans l’entreprise « Les équipes ne te suivent plus » ou bien « notre actionnaire est entré en défiance » ou encore « les collaborateurs sont sortis de la dernière réunion convaincus qu’il valait mieux te cacher les choses que te dire la vérité », « certains de tes collaborateurs sont prêts à te trahir » ou plus fréquemment encore « à force de ne pas décider, notre organisation est en train de se paralyser »…

Le meilleur moyen de ne pas avoir besoin de fou du roi est de préserver autour de soi – et autour des décideurs – une bonne qualité de dialogue contradictoire : des contrepouvoirs capables d’intervenir en amont, des circuits non officiels capables d’alerter et de pointer les signaux faibles, des indicateurs (notamment les indicateurs de « défection » des collaborateurs, des clients, des partenaires…) bien suivis.

Un autre moyen est d’instaurer une confiance telle que chacun peut alternativement jouer ce rôle de « fou », sans se trouver en risque. Chacun devient « sentinelle » pour les autres. Cela nécessite un haut niveau de confiance. Certains modes de gouvernance comme la présidence tournante ou les mandats courts favorisent cela, au moins sur le papier. Le Président de Huawei change par exemple tous les 6 mois…

Mais ne soyons pas naïfs : la plupart des instances de gouvernance auraient bien besoin de leur fou du foi… Et j’ai rarement rencontré un COMEX qui n’en aurait pas eu besoin. Le Président de Huawei ne change tous les 6 mois que pour limiter son emprise sur l’organisation et préserver l’emprise du pouvoir politique sur l’entreprise. Les enjeux d’ego, les intérêts des uns et des autres, les dynamiques de pouvoir rendent difficile la création d’un environnement où le fou du roi devient inutile.

En quoi la figure du fou du roi peut-elle nous servir de source d’inspiration

La figure du fou du roi est une inépuisable source d’inspiration.

-         D’abord, c’est un remède à l’hyper rationalité : la force du fou, c’est de faire passer des messages sur un autre mode, décalé, dérangeant mais sans enjeux. Le « fou », le naïf, le poète, l’enfant, le vieux sage ont cela en commun.

-         Ensuite, le fou du roi est un remède à l’isolement du dirigeant. L’aveuglement nous guette et nous ne sommes fragiles que par nos angles morts. Le fou du roi joue un rôle de miroir, dit ce que tout le monde tait : c’est un formidable révélateur. Il tire son pouvoir du fait qu’il n’en a pas ! Ni compétition, ni opposition, ni danger de trahison. Comme le petit garçon du conte, il sait dire « le roi est nu » et faire des renvois d’image déstabilisants donc intéressants.

-         Enfin, avec le questionneur naïf et le vieux sage, le fou du roi fait partie de ces figures utiles au management du risque, capable de provoquer des « révélations » en montrant l’absurde des situations et en cassant les engrenages dans lesquels nous nous enfermons. Les dysfonctionnements d’un COMEX peuvent faire des dégâts considérables dans une entreprise. Le rôle du fou du roi est de montrer ce que tous voient mais ne disent plus.

Comment être un bon fou du roi ?

Le fou du roi nous montre que l’on peut tout dire, mais pas n’importe comment, ni à n’importe quelles conditions. Pour être un bon « fou », il est important de :

-         Manier avec intelligence le décalage, l’impertinence, la parole libre

-         Adopter une posture « hors compétition »

-         Intégrer les codes de l’environnement pour mieux les contourner

-         Faire en sorte de ne jamais mettre en danger le roi

-         S’interdire toute agressivité et tout dénigrement des personnes

-         Manier autant que possible la légèreté bienveillante et l’humour

-         et adopter une « l’intention » positive

Nous pouvons ainsi tous devenir un bon « fou du roi », à notre manière. Mais nous pouvons aussi chercher celui ou celle qui, à nos côtés, remplirait ce rôle avec profit : un collaborateur fait parfois un bon fou du roi, mais il a d’autres responsabilités et s’inscrit dans une organisation avec ses enjeux et ses dynamiques de pouvoir. Un consultant peut jouer ce rôle… mais les consultants ont eux-mêmes des intérêts en jeu dans leur relation aux décideurs. En famille ou auprès d’un ami ? pourquoi pas, à condition de ne pas tout mélanger tout de même… Chez des dirigeants, j’ai parfois vu ce rôle occupé aussi par un administrateur ou par un DRH.

Finalement, un conseil pour trouver votre fou du roi ? Mettez vous en veille et, si vous en trouvez un, où qu’il soit, ne le lâchez plus… Il est précieux.

Sofiane FARESS

Éducateur Spécialisé, Formateur

2 ans
Charles de Saint Remy

Humoriste I Conférencier I Conseil en storytelling I One man show "Lost in open space"

3 ans

Merci Mathieu Maurice pour cet excellent article. Ce rôle de fou du roi, c'est celui que notre clown Charlie Winner joue en entreprise pour dénouer les tensions et faciliter la transformation par le sourire.

Isabelle Perrin

Optimisation de la Conception en Immobilier/ 15% d'optimsation des budgets de coûts travaux

3 ans

Les assistant(e)s de direction sont très bien placé(e) s pour jouer ce rôle, à l'image de Donna Paulsen dans Suits. Proches au quotidien, sans pouvoir, confident(e) s des souffrances de nombreuses personnes, en réseau avec les autres assistant(e)s des autres services, au courant de tous les potins de radio moquette, dont les accidents industriels cachés le plus longtemps possible à la hierarchie....une mine d'or à portée de main.

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