D’autres possibles que le confinement, d’autres perspectives qu’une démocratie confinée
Jacques Dufour

D’autres possibles que le confinement, d’autres perspectives qu’une démocratie confinée


Emmanuel Hirsch

Fondateur du site ethique-pandemie.com

11 mai 2020


Le confinement, « un explosif détonant »

À l’heure de cette phase de transition entre le confinement et la période conditionnelle de ‘’décontamination’’, ne renonçons pas à reconnaître la position politique de cette force de mobilisation du ‘’terrain’’, de cette expertise qui dans l’urgence nous ont permis d’éviter le pire et de mieux saisir en ces circonstances l’esprit de notre démocratie. Cette référence à ce qui a été inédit, possible et reconnu comme notre première victoire face à la pandémie, s’avère indispensable pour nous rappeler quelles sont nos priorités d’aujourd’hui et comment défendre ces premiers acquis dans la poursuite d’une confrontation au Covid-19, y compris sur d’autres territoires que ceux de la science biomédicale. La réponse sociétale n’est concevable que dans la capacité d’une alliance responsable et confiante entre la société et ceux qui en assurent la gouvernance. 

Le Larousse propose cette juste définition du confinement : « Ensemble des conditions dans lesquelles se trouve un explosif détonant quand il est logé dans une enveloppe résistante. » S’il est évident que les responsables de l’État ont constaté leur incapacité à prolonger cette léthargie du confinement imposée par défaut d’anticipation et de moyens, les conditions d’encadrement de ce retour à une normalité équivoque n’auront rien de rassurant si l’éveil n’est pas envisagé comme un renouveau. Entre l’exhortation à la responsabilité individuelle assujettie à la minutie de protocoles organisationnels et l’énoncé de procédures contraignantes déléguées dans leur mise en œuvre à des appréciations dans proximité du terrain, parfois contradictoires, manque de toute évidence un lien de confiance avec ceux qui décident de ce qu’il convient de faire en tout et pour tous. 

Pourtant « L’enveloppe résistante » est déjà poreuse aux doutes et aux récriminations, aux premiers inventaires d’une déroute administrative, d’une confusion décisionnelle. Cette forme bien discutable de « gestion de crise » se poursuit dans le secret des conciliabules sans apparemment témoigner la moindre considération aux enseignements d’un premier retour d’expérience. Elle est également translucide aux injustices, indifférences, mépris, maltraitances et négligences éprouvés notamment là où nos vulnérabilités en appelaient à des mesures de soutien qui se sont avérées trop souvent carentielles ces dernières semaines. Au-delà de la comptabilité quotidienne des morts déclarés, d’autres détresses encore muettes se révèleront ces prochains jours comme autant de témoignages de ce que nous n’avons pas su ou pu faire. Combien parmi nous demeureront meurtris par l’expérience d’un désastre, la culpabilité de n’avoir pas pu préserver la vie et les droits d’un proche face à la mort : leur incompréhension, leur solitude et leur chagrin mettent nous interpellent au moment où déjà certains préfèrent tourner la page.

Choisir dans un contexte limitatif et dégradé, selon des critères jamais discutés publiquement auparavant, c’était susciter des incertitudes portant sur la justesse et la justice des arbitrages, y compris au sein de la communauté des professionnels du sanitaire et du médico-social. 

Qu’en est-il de « l’enveloppe résistante » lorsque s’amorce, après la catastrophe et alors que rien d’assuré ne permet encore d’espérer de l’avenir, le constat de précarisations sociales violentes encore contenues par des mesures financières conjoncturelles ? Combien seront les « décrocheurs », ceux qui moins attachés à ce qui fait société, ou plutôt moins reconnus car exclus dans leurs fragilités et leur distanciation existentielle détresses se perdront dans l’errance abandonnés à une certaine mort sociale ? La découverte de cette part évitée ou ignorée de notre réalité sociale aura révélé une inaptitude politique à comprendre ce que notre société se cache et qui soudain a fait irruption. La volonté du chef de l’État et du Gouvernement d’affirmer en ces circonstances exceptionnelles des principes inconditionnels notamment en solidarité avec nos fragiles n’en a que plus de valeur. Cet engagement moral a permis de se préoccuper plus que d’habitude de nos aînés et de prévenir, à travers nos solidarités économiques, les dommages immédiats d’une perte d’emploi ou de la ruine d’un entrepreneur. Certains beaux-esprits auraient préféré sacrifier les plus vulnérables à la stabilité de nos finances publiques, au motif que la mort serait plus acceptable dans le grand âge et la fragilisation de nos entreprises plus pernicieuse que notre cohésion sociale autour de choix éthiques… « L’explosif détonant » est pour l’instant contenu parce que nous sortons de cet étrange temps de peur, d’immobilisme et d’attente qui ne pouvait qu’inciter à la retenue et à la prudence. Certaines positions publiques sont cependant déjà annonciatrices d’une période de controverses politiciennes ou intellectualiste, plus dangereuse et insidieuse encore que ce à quoi nous avons été confrontés jusqu’à présent.

Les premiers mois de la situation de pandémie nous ont contraint individuellement à un exercice de pédagogie du réel, à une prise de conscience politique, à penser et à vivre demain, en rupture avec le passé. Et voilà que notre engagement dans l’après se fait sans trouver le temps d’en discuter, sans considérer d’un intérêt supérieur l’exigence de nous concerter. Comme si à elles seules les règles d’hygiène, le traçage des contaminations, la distanciation sociale et l’adaptation de notre vie socio-économique au Covid-19 nous exonéraient du devoir de nous penser en tant que société exposée à de nouvelles vulnérabilités. Il nous faut néanmoins les comprendre et les affronter sur une durée indéterminée.


Reconnaître sa juste place à une pensée et à une intelligence démocratiques

La loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire qui vient d’être adoptée présente le dispositif formel du processus de dépistage, de traitement et d’isolement des personnes contaminées par le covid-19. Elle instaure « un Comité de contrôle et de liaison covid‑19 chargé d’associer la société civile et le Parlement aux opérations de lutte contre la propagation de l’épidémie par suivi des contacts ainsi qu’au déploiement des systèmes d’information prévus à cet effet ». Ce qui a été accepté pour contrôler un fichier nominatif de santé publique, n’a pas été considéré justifié pour conférer une dignité à la vie démocratique en période de crise sanitaire. Depuis des semaines, je suis parmi ceux qui suggèrent une médiation nationale, une concertation nationale. L’opportunité de ce temps de réinitialisation de la vie publique pour apprendre et décider ensemble comment « vivre avec le covid-19 » n’a pas été retenue comme une exigence de démocratie après le confinement. L’urgence sanitaire n’est pourtant en rien incompatible avec l’urgence démocratique. Ne pas l’admettre c’est se résoudre à gouverner entre soi dans un contexte complexe et incertain de navigation à vue, partiellement rassuré par quelques expertises scientifiques encore fragiles. La contestation de cette obstination d’autant moins soutenable ces prochaines semaines de retour à une certaine normalité, s’exprime par une défiance à l’égard des pouvoirs publics ainsi affaiblis dans leur capacité de réguler l’action. N’est-ce pas prendre un risque inconsidéré que de soucier encore des apparences d’une maîtrise des circonstances, alors que pour chacun d’entre nous l’évidence est que notre espoir tient à ce que la pandémie s’endigue d’elle-même tout en pressentant le risque d’un effondrement social s’il n’en était pas ainsi ? Plutôt que d’invoquer la pensée magique de résolutions incantatoires et de protocoles d’administration publique imposés d’autorité en réaction à des circonstances peu prévisibles, ne convenait-il pas, de reconnaître sa juste place à une pensée et à une intelligence démocratiques fortes de leur agilité et de leur capacité à mobiliser nos compétences ? La loyauté et l’esprit public ne doivent-ils pas inciter à gouverner autrement en temps de pandémie, dans la concertation et l’acceptation d’engagements, de savoirs expérientiels et de talents indispensables. 

Que l’on me comprenne bien. Depuis des semaines je me situe plutôt en soutien aux décisions fondées et parfois courageuses assumées par les autorités publiques dans un contexte auquel aucune expertise anticipée et organisée ne leur avait permis de se préparer. La réalité pandémique s’est avérée à ce point impensable que peu de personnes ont su la penser. La réponse offensive, concrète, immédiate et déterminante s’est exprimée et imposée d’en bas, au choc du réel. Chacun en convient, chacun devrait en tirer les enseignements.

Exercer une responsabilité politique en temps de crise sanitaire c’est se risquer à une autre pratique de la démocratie, à une autre intelligence de la démocratie. Celles dont notre privilège et notre chance auront été d’en bénéficier ces 10 dernières semaines pour rendre possible d’autres possibles que le confinement, d’autres perspectives qu’une démocratie confinée.

Mylène Baum

Professor of philosophy and bioethics at UCL Belgium

4 ans

Surtout évitons d accentuer les vulnérabilités différentielles du deconfinement..après celles du confinement

Christophe Coiffard

Free-lance : Chef De Projet ,Product Owner (CEO T&P)

4 ans

la question est donc : comment imposer cette vision ? J’entends par la .. l’imposer dans le débat ... puisque cette volonté que nous portons à notre niveau n’est pas entendue?

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