Expulser sur le fondement d’un accord homologué par le juge peut conduire le bailleur à sa perte

Expulser sur le fondement d’un accord homologué par le juge peut conduire le bailleur à sa perte

En ces temps de promotion des modes de règlements alternatifs des différends, l’opportunité peut se présenter à un propriétaire d’un logement, d’une boutique ou de bureaux de conclure un accord avec son locataire en retard de paiement du loyer prévoyant l’expulsion de celui-ci s’il ne respecte pas l’échéancier convenu.

Le propriétaire bailleur pense disposer de toutes les garanties puisqu’il aura pris soin de faire homologuer l’accord par le Président du Tribunal de Grande Instance afin de lui conférer force exécutoire.

L’article 1565 du Code de Procédure Civile prévoit en effet que l'accord auquel sont parvenues les parties peut être soumis, aux fins de le rendre exécutoire, à l'homologation du juge.

C’est méconnaître l’article L411-1 du Code des Procédure Civiles d’Exécution qui prévoit que sauf disposition spéciale, l'expulsion d'un immeuble ou d'un lieu habité ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice ou d'un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d'un commandement d'avoir à libérer les locaux.

Expulser sur le fondement d’un accord même homologué par le juge ne répond pas à cette exigence.

Dans l’affaire commentée, les bailleurs ont fait délivrer à leur locataire, sur le fondement d’un protocole d’accord transactionnel homologué, une sommation de déguerpir, puis ont fait établir un procès-verbal de reprise des lieux.

Faisant valoir qu’ils ne disposaient pas d’un titre exécutoire permettant son expulsion, le preneur a assigné les bailleurs devant le juge en nullité du procès-verbal de reprise, de sa signification, de la sommation de déguerpir et a sollicité la restitution de la jouissance des lieux loués.

Par un premier jugement, le juge de l’exécution a débouté la locataire de l’intégralité de ses demandes après avoir considéré que le protocole d’accord avait, en l’espèce, autorité de la chose jugée, qu’il constituait un titre exécutoire et que les engagements pris par cette dernière n’avaient pas été remplis.

Celle-ci a alors interjeté appel de cette décision. La cour d’appel a infirmé la décision du juge de l’exécution en toutes ses dispositions et, statuant de nouveau, a annulé la sommation de déguerpir, le procès-verbal de reprise et sa signification.

Elle a, en revanche, rejeté la demande de restitution de la jouissance des lieux loués au motif que la locataire ne justifiait pas d’un titre d’occupation toujours valable lui permettant de réintégrer les lieux. La locataire s’est pourvue en cassation.

La difficulté consistait donc à déterminer si l’occupant sans droit ni titre dont l’expulsion a été jugée illégale par la cour d’appel était en droit d’obtenir de cette dernière sa réintégration.

La Cour de Cassation a statué au visa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire qui prévoit que le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

Elle a cassé l’arrêt de la cour d’appel au motif que le juge de l’exécution, après avoir annulé la mesure d’expulsion, ne peut rejeter la demande de réintégration pour un motif tiré de l’absence de droit d’occupation de la personne expulsée (Civ. 2ème, 16 mai 2019, F-P+B+I, n° 18-16.934).

 Cette décision est justifiée par le fait qu’une expulsion poursuivie sur le fondement d’un accord signé par les parties et homologué par le juge est illicite car faite sans le titre exécutoire, permettant de poursuivre une expulsion, visé par l’article L. 411-1 du code des procédures civiles d’exécution.

 La nullité frappant la procédure d’expulsion commande une remise des parties en l’état où elles se trouvaient avant la mesure illicite, ce qui implique la réintégration de la personne expulsée, peu importe qu’elle soit occupante sans droit ni titre.

 En conclusion, le souci de simplicité qui correspond également à un gain de temps et donc limite le risque d’occupation du local par un locataire insolvable ne doit pas conduire le bailleur à agir (même sans en avoir conscience) en dehors de la légalité surtout dans un domaine aussi sensible que l’expulsion d’un immeuble ou d'un lieu habité.

 Il reste à déplorer que l’exigence du respect de la forme du titre permettant l’expulsion imposé par l’article L411-1 du Code des Procédure Civiles d’Exécution va à l’encontre du souhait du législateur d’inviter les parties à régler elles-mêmes leurs différends.

 Cela leur impose de saisir le juge (en référé) ou le conciliateur afin de faire acter l’accord auquel ils seront déjà parvenus, ce qui ne représente guère plus de garantie que le contrôle au moins formel du juge lors de la demande d’homologation de leur accord (par le biais d’une requête donc en dehors de la forme et des délais inhérents aux procédures contentieuses).

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