Face au réchauffement climatique et au populisme, un seul programme commun possible : l'innovation

Jean Coldefy, Directeur du programme mobilité 3.0, ancien responsable mobilité de la métropole de Lyon

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Nous vivons dans un monde d’abondance comme jamais nous n’en avons connu. Les progrès réalisés depuis 2 siècles sont considérables : En France, en 1750 la moitié des enfants mouraient avant l’âge de 10 ans et l’espérance de vie ne dépassait pas 25 ans. En 1801 elle passe à 37 ans, pour atteindre 45 ans en 1900. En 2017, elle est de 82 ans, contre 55 ans en Somalie. Le taux de mortalité infantile était de 145 pour mille en 1900 (deux fois le niveau actuel de l’Afghanistan !), de 80 en en 1945, et de 3.7 en 2016[1], soit une division par 40 en un siècle ! La France est l’un des pays où le taux de pauvreté et de persistance dans la pauvreté sont parmi les plus faibles au monde. Les inégalités contrairement à ce qui est parfois propagé ont fortement reculé dans notre pays depuis 1970 et sont stables depuis 20 ans[2], ce qui fait de la France l’un des pays les plus redistributeurs et le plus égalitaire au monde. Au niveau mondial, moins de 10% de la population vit aujourd’hui dans la pauvreté extrême, c’était 85% en 1820, 40% en 1980. Depuis 1990, 1.2 milliards d’humains sont sortis de l’extrême pauvreté, on ne peut que s’en réjouir. Du point de vue de la protection de l’environnement nous progressons comme jamais avec des réglementations de plus en plus exigeantes : L’air des villes n’a jamais été aussi pur depuis 1 siècle d’après les agences sur la qualité de l’air, la quasi-totalité des eaux usées sont aujourd’hui retraitées, l’agriculture biologique se développe, notre électricité est quasi décarbonée avec le nucléaire, ...etc. Beaucoup reste à faire et ces progrès fantastiques, c’est l’économie de marché qui les a permis en favorisant l’innovation technologique et en élevant notre niveau de vie : En France, le PIB par habitant a été multiplié par 10 depuis 1900 et par 5 depuis 1950. Le marché dans nos sociétés démocratiques est un entre deux entre le tout état – qui a montré son échec dans les pays communistes – et la main invisible– qui ne peut résoudre tous les enjeux collectifs. L’économie de marché procède de la liberté des acteurs et est par essence un système décentralisé. Les régulations des Etats sont nécessaires et au cœur des économies de marché afin de corriger les externalités négatives comme les dégâts causés par le CO2 et réduire les inégalités par l’impôt progressif et la redistribution. Remettre en cause l’économie de marché c’est donc non seulement renoncer à bons nombre de droits humains, comme la propriété et la liberté de construire sa vie – droits acquis par la révolution française - mais c’est aussi nier les apports de celle-ci en termes de lutte contre la pauvreté et en termes d’innovation. La crise Covid l’illustre puisqu’alors qu’il fallait habituellement 10 ans pour développer un vaccin, une année a suffi grâce à la mobilisation des acteurs publics et privés, à l’innovation et à la concurrence, pour le bien commun. Le poids des dépenses publiques dans la richesse produite en France, 54% du PIB en 2019, montre que l’ultralibéralisme est chez nous une pure fiction. Et c’est bien parce que l’économie de marché dégage des surplus que nous pouvons aujourd’hui financer notre système social très protecteur.

Le réchauffement climatique est assurément la grande défaillance du marché, puisque rien ne nous contraint sur les émissions de carbone. Pour limiter drastiquement celles-ci, deux philosophies s’affrontent aujourd’hui : celle de la décroissance qui milite pour la baisse de la consommation et celle d’une décarbonation de nos activités par l’innovation.

La conséquence inévitable de la décroissance c’est une remise en cause du financement de notre système actuel de protection sociale et de santé, et in fine de notre mode de vie actuel : c’est parce que le PIB a augmenté que les dépenses publiques se sont accrues et non l’inverse. La baisse du PIB est ainsi un rejet d’une économie centrée sur la demande, celle professée par JM Keynes, si bien illustrée par le slogan de mai 1968 « Vivre sans temps mort et jouir sans entrave ». Comment des partis historiquement porteurs des causes sociales puissent espérer reconquérir le vote populaire par un programme de privation en se mettant à la remorque de telles idéologies, dont les 1ères victimes seront les classes populaires, ne lasse pas d’étonner. On ne réussira pas la transition écologique contre les classes populaires et moyennes, 80% de la population, sauf à mettre en place de fortes restrictions des libertés dans une démarche environnementale quasi religieuse[3]. Dans une société profondément pessimiste, il est aisé à quelques gourous ressassant de vieilles lunes tristes malthusiennes - qu’heureusement nos ancêtres n’ont pas écoutées ! - de se valoriser en promettant du sang et des larmes et en alimentant la désespérance. Cette voie dépressive, dans nos démocraties, tout comme dans les pays qui aspirent à sortir de la pauvreté, n’a aucun avenir.

La question clé est de savoir si les innovations qui depuis deux siècles nous ont propulsé dans l'abondance, suffiront à nous mettre sur la voie d'une économie décarbonée et plus respectueuse de la biodiversité. Avons-nous de facto vraiment le choix ? Pour décarboner nos économies, il nous faudra tout recycler et ne rien gaspiller, agir à la fois sur la décroissance de la consommation de produits et services carbonés et investir dans des technologies permettant de produire une énergie décarbonée, à l’image du nucléaire que nous maitrisons depuis 70 ans. Y parvenir suppose dans un système décentralisé comme celui de l’économie mondiale de créer des incitatifs et un cadre motivant les acteurs. Cela passe nécessairement par des mécanismes de prix et de régulations, c’est-à-dire des mécanismes de marché. C’est en donnant un prix aux choses que l’on évite les gaspillages et les pollutions et que l’on limite les effets rebonds, que les seules mesures d’obligations ou d’innovations technologiques ne gèrent pas[4]. Le signal prix est ainsi une mesure complémentaire indispensable pour la transition énergétique. La pensée française, exclusive, « interdire et subventionner », est un vrai handicap pour lutter contre le changement climatique. Si elle met au centre du jeu et valorise les responsables politiques (protecteurs en interdisant et aidants en subventionnant), elle procède d’une croyance que les mécanismes de prix sont par essence injustes. C’est inexact et très couteux. Ainsi, la fin de la concurrence c’est le retour des monopoles. La SNCF donne une bonne idée de ce que cela signifie : des prix beaucoup plus élevés pour les collectivités locales (les TER coutent deux fois plus cher au km en France qu’en Allemagne réduisant notre capacité à déployer plus de trains), une mauvaise qualité de service (le monopole est plus mobilisé sur l’interne que sur ses clients), de faibles innovations (le monopole n’en a pas besoin), des influences permanentes sur les pouvoirs publics pour faire perdurer sa rente de situation. Les interdictions sont parfois extraordinairement injustes : les ZFE[5] en sont la parfaite illustration. Keynes disparu il y a 75 ans écrivait que « les politiques doivent faire des arbitrages entre l'efficacité, la liberté, l'équité. Les capitalistes ont failli en privilégiant les deux 1ères au détriment de l’équité, et les communistes ont sacrifié les deux 1ères pour l’équité ». Il nous faut éviter qu’en France la lutte contre le réchauffement climatique réussisse le tour de force de sacrifier les trois !

Dans un monde de rareté, la population est dans la survie. Dans notre monde d’abondance, nous sommes aujourd’hui dans la comparaison. En témoignent l’explosion des marques (il faut posséder ce qui nous différencie) et les enquêtes montrant qu’une majorité de personnes préfèrent gagner moins et plus que leur voisin que gagner plus mais moins que leur voisin. Aucun programme politique ne pourra jamais assouvir ce désir d’égalité totale alors que les revenus stagnent depuis 10 ans pour tous les déciles de revenus. Dans ce contexte les mécanismes de boucs émissaires fonctionnent à plein. Les boucs émissaires, ce sont aujourd’hui en France ceux qui symbolisent la richesse, celle que l’on aimerait posséder. Voilà pourquoi les populistes prospèrent, eux qui transforment cette frustration en ressentiment en désignant des faux coupables : les riches, la mondialisation, l’Europe, les immigrés, …etc. Voilà l’origine de la défiance généralisée et de l’esprit permanent de polémique de ce pays, attisée par des politiciens à la dérive qui prennent le langage des populistes, abandonnant l’idée de gouverner avec des programmes cohérents et poussant à la haine collective d’un ennemi désigné.

La transition énergétique offre au contraire une occasion historique de sortir de ces passions mortifères et de rassembler un pays fragmenté : elle nous concerne tous parce qu’elle nous impacte tous. C’est sans doute aujourd’hui le seul enjeu que nous ayons en commun. Des solutions existent pour faire baisser les émissions. Comment les financer et assurer l'acceptabilité des efforts à faire ? Comment compenser pour les plus fragiles ? Comment gagner l'adhésion collective en motivant les entreprises et consommateurs pour y parvenir ? Au lieu de la défiance, le réchauffement climatique doit être le moment de la mobilisation de toutes les énergies et des générations, les jeunes étant particulièrement volontaires pour s’engager. Lutter contre le réchauffement climatique nécessite de choisir la voie de la cohésion et de l’usage raisonné de nos ressources rares, c’est-à-dire la voie de la confiance, de la science et de l’innovation.



[1] Source INED

[2] Voir aussi https://laviedesidees.fr/Les-inegalites-s-accroissent-elles-vraiment.html et Hervé le Bras « Se sentir mal dans une France qui va bien ».

[3] René Dumont déclarait qu’« il serait possible de n’autoriser qu’une natalité compensant exactement la mortalité donc d’atteindre très vite la croissance zéro, si on employait des méthodes autoritaires que le danger mondial permettrait de justifier »

Hans Jonas, le père du principe de précaution jugeait le « renoncement à la liberté individuelle inéluctable » et émettait l’hypothèse d’une « tyrannie bienveillante, bien informée et animée par la juste compréhension des choses »

Dominique Bourg estime lui « qu’on ne peut plus laisser à chaque individu le choix de ses modes de vie »

[4] Voir à ce titre l’édifiant échec de l’isolation des logements en Allemagne, 340 milliards investis sans aucun gain de CO2, les ménages ayant monté le thermostat. https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/10/04/en-allemagne-les-renovations-energetiques-des-batiments-n-ont-pas-fait-baisser-la-consommation_6054715_3234.html

[5] Zones de Faibles Emissions, rebaptisées Zones de Forte Exclusion par leurs détracteurs


Denis Moncayo

en retraite fin décembre ☺ successeur intéressé bienvenu

3 ans

Ce commentaire m'interpelle car on nous parle d'un concept "d'abondance" et d'une "solution unique". Je pense que l'on peut discuter du concept "abondance". En effet, vu de l'intérieur nous avons l'impression que nous pouvons accéder à énormément de choses abondamment fournies par un système généreux. C'est ce que nous ressentons car le système exploite notre insatiabilité et nous incite à avoir des envies de tout, tout le temps. Cette "abondance" me fait penser au gavage des oies. Les oies sont-elles heureuses ? Sans doute répondraient elles que oui. Aux quelques oies contestataires serait proposée "une solution unique". Une innovation peut-être pour augmenter le gavage et faire accepter sa condition.

Hugues Marchal

Associate Partner - PMP Strategy

3 ans

cf les stats sur la confiance dans le progrès et la technique, la vieille Europe fait son âge.

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