Reconstruire un destin commun : le signal de l'allocation de nos ressources entre la jeunesse et les retraites
Les élections présidentielles et législatives s’achèvent en France avec des enjeux clairement identifiés : le défi climatique, les inégalités et le chômage très élevé dans certains territoires, la nécessité de retrouver une autonomie industrielle. Ces défis devraient rassembler le pays au-delà des clivages partisans. Pourtant le tableau dressé par les médias est celui d’une France fracturée et qui doute. Sans doute le propos est excessif. Néanmoins, Comment expliquer qu’un pays si riche, 7ème PIB mondial, vient seulement de rentrer dans le top 20 des pays où les gens se sentent le plus heureux et ait tant de peine à reconstruire une unité ?
Centralisme, corporatisme, hédonisme
Tout en ne faisant pas confiance à l’Etat et en critiquant son omniprésence, la population, les élus locaux, les corps professionnels lui demandent beaucoup. Or la plupart des enjeux actuels, le climat, les politiques industrielles et commerciales, dépassent le cadre national et obligent à des coordinations internationales, forcément longues et complexes. L’Etat n’est plus aujourd’hui l’acteur omnipotent qu’il fut dans les années 1950, ce qui engendre une incompréhension face aux demandes qui lui sont adressées.
La France est également le pays des corporatismes (42 régimes de retraites par exemple), c’est à dire de groupes particuliers qui détournent à leur profit les acteurs publics de la défense de l’intérêt général pour leur intérêt propre. Des syndicats et des partis politiques se sont ainsi décrédibilisés en défendant par clientélisme des catégories qui ne sont pas défavorisées, source de la grande défiance de l’opinion à leur égard.
Composée d’individus focalisés sur leur bien-être, la société n’est plus animée par de grands idéaux, la quête du bien être personnel est devenu la norme. L’idée se diffuse que personne n’a d’obligation à l’égard du collectif et que celui-ci devrait être au service du bien être individuel, ce qui est évidemment impossible. La campagne présidentielle l’a illustré avec des candidats mis en demeure de répondre à des situations individuelles lors des émissions télévisées ou sur internet. La politique est au contraire le dépassement des intérêts particuliers pour répondre aux enjeux collectifs. Tout ceci conduit au sentiment d’une nation faible et divisée. Or comme le soulignait Ernest Renan, ce qui fait nation, c’est le désir d’un avenir commun. Saurons-nous demain sortir d’une adolescence qui demande plus à l’Etat sans vouloir en assumer la conséquence : son renforcement c’est-à-dire l’affaiblissement des libertés et l’augmentation des impôts ?
Malthusianisme
La prédominance de la pensée que dans l’échange l’avantage de l’un est la perte de l’autre[1] fait croire que l’économie est un jeu à somme nulle. L’histoire démontre pourtant que ce sont les incroyables gains de productivité dans l’industrie qui ont permis de financer la sécurité sociale et les retraites, sans que cela affaiblisse les autres pays. Cette pensée malthusienne nourrit l’aversion au progrès technologique et l’idée de décroissance, pourtant contredite par la conjonction de la baisse des émissions de 20% en 30 ans et d’une croissance de 60% du PIB.
Le mortifère passage du productivisme au compassionnel
La désindustrialisation qu’a connu la France depuis 30 ans et la montée du chômage qui en a résulté dans les territoires sont le résultat de ces maux : centralisme, hédonisme, corporatisme et malthusianisme. La France à partir du choc pétrolier de 1973 a fait le choix de la consommation, financée, avec son modèle social, par la dette et notre industrie. Malthusiens, nous avons cru que la baisse du temps de travail (35h, retraite à 60 ans) créerait de l’activité. Cette politique a été historiquement un échec : avec une dette de plus de 100% du PIB nous avons un taux de chômage parmi les plus élevé de l’OCDE alors que notre taux d’emploi est de 10 points inférieur à celui de l’Allemagne[2], nos PME industrielles ont été laminées et pour celle qui ont survécu leur taille est restée stable quand elle a quadruplé en Allemagne[3]. Si les inégalités ne progressent pas elles sont fortes selon les territoires : la France des inégalités est celle du vote populiste. Enfant du chômage, le populisme divise la société en désignant des boucs émissaires, les étrangers à l’extrême droite, les riches à l’extrême gauche, les élites pour tous. La pensée dominante à gauche comme à droite est dans cette période passée du productivisme au compassionnel, si bien illustrée par l’expression « fracture sociale » de 1995. Tout ce qui favorise l’activité des entreprises est perçue comme un cadeau aux patrons, ces privilégiés auxquels on ne devrait justement pas faire de cadeaux. Ceux qui veulent renforcer l’attrait de l’industrie et l’investissement sont taxés d’ultralibéraux.
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Outrance et fake news
Ces discours outranciers sont permanents et déconnectés des faits : nous serions une France des inégalités – Celles-ci en France sont stables depuis 30 ans[4] selon l’Insee et les travaux de M Piketty et parmi les plus faibles au monde -, un pays où rien n’est fait pour le climat - entre 1990 et2019 nos émissions de GES ont baissé de près de 20% et de 30% par habitant[5] -, dévasté par les ravages de l’ultralibéralisme - les dépenses publiques françaises pèsent 60% du PIB en 2021, record du monde. On peut ainsi raconter à peu près n’importe quoi dans de grands médias. C’est du pain béni pour les populistes qui disqualifient les faits dans le but de détruire les institutions et la confiance base de toute démocratie. Pourrons-nous demain sortir de l’omniprésence médiatique de pseudos victimes d’un pouvoir politique qui les mépriserait justifiant ainsi leur colère, revenir à plus de raison et voter « pour » plutôt que « contre » ?
L’avenir plutôt que le passé, l’investissement plutôt que la consommation
Sortir de ces passions tristes suppose d’organiser le débat en se projetant dans le futur. L’exemple de la réforme des retraites serait ainsi emblématique. Les pays se déclarant les plus heureux, le Danemark, la Suède, les Pays Bas se distinguent nettement de la France par un choix collectif pour l'avenir : quand ces pays mettent 1 € pour les retraites ils en dépensent jusqu’à 1.3 pour l'aide aux familles et l'école. La France y consacre 0.5 €, plus de deux fois moins[6]. Ainsi le débat sur les retraites devrait se poser en termes d’investissement pour nos jeunes c’est-à-dire pour l’avenir plutôt que pour la préservation de la consommation des actifs et des retraités. Hannah Arendt écrivait que « La politique est la transformation d’un monde pluriel d’individualités en un monde commun ». Se mobiliser pour les jeunes, pour la transition énergétique et pour les technologies de réindustrialisation des territoires est une voie puissante permettant de retrouver le désir d’un destin commun.
[1] Comme l’a écrit à tort Yvan Illich
[3] Voir le remarquable ouvrage de Nicolas Dufourcq sur la désindustrialisation
[4] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238443?sommaire=4238781 et https://publications.banque-France.fr/sites/default/files/medias/documents/wp677.pdf
Co-Chair of the Healthcare & Life Sciences Law Committee of the International Bar Association Partner at De Gaulle Fleurance
2 ansMerci Jean. Voilà un message positif qui motive pour cette semaine de reprise !