Hyperloop versus 30 km/h : l’hypervitesse ou la lenteur sont-ils le futur de la mobilité ?

Hyperloop versus 30 km/h : l’hypervitesse ou la lenteur sont-ils le futur de la mobilité ?

Le débat fait rage entre les partisans de la limitation à 30 km/h en ville et ceux qui veulent conserver une vitesse à la voiture. Pour les uns il s’agit d’une condition nécessaire à la lutte contre la voiture, source de pollution, de bruit et d’émissions de gaz à effet de serre, pour les autres il s’agit de conserver l’accès à la ville. Pour bien comprendre ce qui se joue derrière ce débat, il faut se rappeler que ce qui fait une ville ce sont des lieux (et en premier lieu l’habitat et le travail), des interactions sociales et des systèmes de mobilités : c’est aussi comme cela que des urbanistes définisse la mobilité[1].

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La ville est le lieu des opportunités et permet de densifier les échanges avec sur un territoire restreint une offre importante de culture, de biens et services, d’emplois, …etc. Cet effet d’agglomération a cependant un inconvénient : la congestion. La ville du moyen-âge était dense et peu étendue parce que la vitesse de déplacement était celle de la marche à pied, la vitesse a historiquement permis de dédensifier la ville avec des avantages notables : une meilleure répartition des emplois (Paris a ainsi perdu en 50 ans deux cent mille emplois qui se sont relocalisés en couronnes), des conditions de logements améliorées avec des logements plus grands et moins chers, un accès facilité à la ville. Alors qu’en 1900 nous parcourions 4km/j, nous en sommes aujourd’hui à 40 km/j avec toujours 1h de déplacement par jour soit une multiplication par dix de la vitesse de déplacement. Cette révolution est le résultat d’une multiplication par dix du PIB par habitant en un siècle et des progrès techniques, les modes lents ayant été supplantés par des modes rapides, l’augmentation des revenus nous ayant permis d’augmenter nos programmes d’activités via une démocratisation de la vitesse. Aujourd’hui dans une époque d’abondance, la ressource rare c’est le temps (une journée fera toujours 24h) et c’est ce qui explique cette appétence à la vitesse. La vitesse a permis l’étalement urbain, honnis par les supporter de la ville du ¼ d’heure : ce débat sur la configuration de la ville est le même que celui sur la vitesse. La ville a ainsi toujours été le lieu de recherche d’un équilibre entre les inconvénients de la vitesse et ceux de la densité.

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Evolution des distances parcourues par habitant par an aux USA

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Evolution des distances parcourues par habitant par an en France (Source thèse Aurélien Bigo + PIB J Coldefy)

Cependant depuis 20 ans, les distances parcourues par habitant par jour n’augmentent plus : la vitesse a touché un plafond. Ce n’est donc pas un hasard si un projet comme Hyperloop apparait dans ce contexte : il s’agit pour ses promoteurs de franchir un nouveau seuil et d’améliorer la mobilité en baissant les temps de parcours. Pourtant Hyperloop, sans parler du cout exorbitant de cette solution, est voué à l’échec parce qu’il néglige le besoin essentiel d’une ville : le débit. Si la ressource rare pour les habitants des pays riches que nous sommes est le temps, pour une ville c’est l’espace public. Et ces deux objectifs sont antagonistes. Pour fonctionner une ville doit limiter l’effet de congestion et transporter beaucoup de personnes en consommant un minimum d’espace en des temps raisonnables. Voilà pourquoi les transports publics sont indispensables au fonctionnement d’une ville. Ainsi il est physiquement impossible de transporter les 1.5 millions journaliers de passagers du RER A en voiture ou en vélo sur la rue de Rivoli. Et un Hyperloop n’y changera rien. Circulant sous vide, la vitesse d'Hyperloop est permise par l'annulation des forces de frottement. Or dans cet environnement les distances de freinage sont très élevées, bien plus que celles des TGV qui ont besoin d'un espacement de plusieurs minutes entre eux pour qu'en cas de problème sur le premier le second ne le percute pas. Ainsi il n'y aura sur les distances annoncées d’Hyperloop, par exemple 100 km entre Orléans et Paris, qu'une seule capsule dans le tube. Le débit sera donc de 5 capsules par heure avec les temps de montée et descente soit 200 personnes par heure pour un temps de trajet de 10 minutes. Un train classique à fréquence de 10’ en transporte 6000 pour 45' de trajet, 30 fois plus. Quelle est la priorité, le débit ou la vitesse ? A l’évidence la priorité c’est le débit c’est à dire, le nombre de personnes transportées par heure. Hyperloop est typique d’un projet technologique passant par pertes et profits des éléments de base de l’économie des transports et des besoins réels des territoires et des français. Cette confusion entre débit et vitesse peut cependant aussi guetter les partisans d’une baisse des vitesses en ville. Ainsi sur des voies sans intersections, baisser les vitesses en deçà de 90 augmente la pollution, les émissions de GES et diminue l’accessibilité, en particulier si la part des poids lourds dépasse 10% du volume de trafic : c’est pour cela que Rennes est revenu en arrière sur le passage de sa rocade de 90 à 70 km/h. Sur des autoroutes chargées, passer de 130 à 110 km/h permet par contre d’arriver plus vite à destination – paradoxe difficilement compréhensible pour un automobiliste ! – en évitant la circulation en accordéon, et diminue les émissions.

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Relation débit / vitesse sur des voies sans intersections (autoroutes, boulevard périphérique). En ville, le principe est le même mais le débit chute très vite si les carrefours sont mal réglés et s'ils sont coincés par des véhicules étant engagés sans avoir pu traverser sur leur temps de vert.

Dans nos villes françaises, qui se caractérisent par une intersection tous les 100m, la vitesse moyenne automobile en heures creuses est de 20 km/h. Il faut néanmoins distinguer les voiries internes aux quartiers de celles qui relient les quartiers et les communes. Les systèmes de gestion des feux, lorsqu’ils sont bien réglés, permettent d’enchainer les carrefours et donc un débit efficace. Mais si la vitesse baisse le débit baissera aussi. Limiter l’impact de cette baisse des vitesses suppose d’investir fortement dans la régulation des carrefours à feux pour garantir sur les axes structurants une vitesse de 30 km/h de bout en bout. Il faudrait distinguer dans les baisses de vitesse les voiries de proximité où la circulation doit être minimale, des axes structurants reliant les territoires qui doivent assurer un débit pour tous ceux qui n’ont pas d’alternatives : ceux qui n’habitent pas la ville centre mais qui y travaillent. Les lieux de travail et d’habitat sont aujourd’hui déconnectés du fait de la métropolisation des emplois, de l’évolution des couts de l’immobilier en centre-ville et de l’organisation des familles où les deux conjoints travaillent. Ces populations situées en couronne représentent les 2/3 des habitants d’une aire urbaine[2] et 50% de la population française.

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Répartition de la population par territoire (Données INSEE 2021, retraitement J Coldefy)

 Ainsi dans Paris les 2/3 du trafic ne sont pas le fait de parisiens mais de personnes extérieures, dont l’offre de transport en commun ne répond pas à leur exigences (artisans, travailleurs en horaires décalés ou PMR, …).  Sur Lyon 220 000 personnes travaillent sur la métropole sans y habiter, alors que les capacités des TER en heures de pointe sont de 35 000 places. La ville du quart d’heure n’a pas grand sens pour le million de franciliens se rendant pour leur travail à Paris ni pour la personne devant faire des ménages à la Défense depuis la Seine Saint Denis à 5h du matin. Nos systèmes de transport en commun n’ont pas suffisamment accompagné le développement de la ville permis par la vitesse et c’est en conséquence par la voiture que l’accès aux emplois s’est effectué. C'est également parce que l’urbanisme piloté par les maires n’a pas été coordonné avec les politiques de mobilité générant un éparpillement alors que c’est autour des pôles de transports en commun qu’il aurait fallu concentrer habitat et emplois.

Aristote écrivait que « la vertu se situe au milieu, entre le manque et l’excès ». Vouloir éradiquer la voiture est excessif et c’est nier les besoins de déplacements des français. Ne rien changer c’est nier les enjeux du réchauffement.  La question est donc de diminuer les inconvénients collectifs induits par la vitesse sans perdre ses avantages. Cette question est fondamentalement un problème de gouvernance. C’est à l’échelle de l’aire urbaine que doit se piloter la mobilité, c’est-à-dire un bassin de vie, qui intègre non seulement les déplacements pour se nourrir, aller à l’école, chez le docteur, … mais aussi pour aller travailler. Ainsi il faudrait sur le plan de l’aménagement favoriser la proximité pour les déplacements du quotidien, donc la marche et le vélo, et la vitesse par des transports en communs pour les déplacements Domicile Travail qui sont des déplacements longs et hors de portée du vélo. C’est ainsi que l’on réduira le trafic en ville centre et en 1ère couronne. En conséquence il faudrait d’abord étendre le périmètre des métropoles à l’échelle des aires urbaines comme l’ont fait Marseille et Reims. Ensuite assurer une élection au suffrage universel direct des conseillers métropolitains, avec un poids communal strictement proportionnel à leurs poids démographiques : cela suscitera inévitablement des fusions de communes et évitera des comportements de cités interdites des villes centres à l’image de Paris qui se soucie peu des conséquences sur ses voisins de ses mesures sur le stationnement ou la gestion du trafic routier (syndrome de « Paris first »). Il faut enfin définir des règles précises d’urbanisme à l’échelle métropolitaine et transférer à cette échelle la compétence de stationnement et les boulevards périphériques et autoroutes. En Ile de France, c’est la Région qui devrait logiquement assurer ces rôles. La ville sans voiture renforcera les inégalités sociales au détriment des périphéries des grandes agglomérations et pose d’évidents problèmes de cohésion sociale. Réduire l’usage de la voiture est nécessaire en zones denses pour le fonctionnement de la ville : cela a largement déjà été fait en ville centre (le trafic routier a été divisé par 3 dans Paris entre 2000 et 2010), c’est en 1ère couronne qu’il faut porter l’effort ainsi que dans les liens entre les zones d’emplois et les zones d’habitat, c’est-à-dire sur les liens centre périphéries. Assumer une part de contrainte fait partie de la solution, mais il faut d’abord déployer des transports en commun efficaces ce qui renforcera la cohésion territoriale et sociale. Nous sommes dans un monde complexe. Sortir des simplismes et des slogans est nécessaire alors que les enjeux du réchauffement obligent à agir efficacement et rapidement.

[1] Jean Marc Offner, directeur de l’agence d’urbanisme de Bordeaux

[2] Une aire urbaine est l’ensemble des communes dont au moins 40% des actifs travaillent dans la ville centre. C’est de facto le bassin de vie des populations. L’Ile de France est l’aire urbaine de Paris. En France la ville centre représente 25% de la population de l’aire urbaine, la première couronne 25%, le périurbain 50%.

Laurent Taupin

Directeur Développements Avancés

3 ans

Merci Jean pour ce bel article. Je partage en tout point votre analyse sur le sujet.

Jean Louis Meynet

Directeur général chez Jlm conseil

3 ans

Merci Dans la même veine lire :pour en finir avec la vitesse édition de l Aube dubois et alii

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