Faire de la Data urbaine un enjeu stratégique : aller vers l'urban data          by Carlos Moreno
Les 10 propositions sur le Numérique de 10 experts en 1400 signes-Edition spéciale pour les 2 ans du FlashTweet

Faire de la Data urbaine un enjeu stratégique : aller vers l'urban data by Carlos Moreno

Formuler 10 propositions pour remettre le numérique au coeur du débat des présidentielles : c'est ce que FlashTweet a demandé à 10 experts, à l'occasion de ses 2 ans. Pour rester dans l'ADN du média en 1400 signes (10x140), ils avaient le choix entre 140 caractères, 1400 signes et 1400 mots pour exprimer leurs idées. Carlos Moreno, expert international de la ville intelligente, Aurelie Jean, fondatrice de In Silico Veritas, Guillaume Gibault, président du Slip Français, Roger-Pol Droit, philosophe, Jean-Marc Vittori, éditorialiste aux Echos, Catherine Barba, fondatrice du PepsLab, Benoit Raphaël, expert en innovation média, Jean-David Chamboredon, président du fonds d'investissement ISAI, Bénédicte Tilloy, co-fondatrice du DigilabSocial et Jean-Baptiste Descroix-Vernier ont répondu à l'invitation. Ces 10 propositions en 1400 signes sont parues dans le FlashTweet du 6 mars. Un immense merci pour leurs contributions au débat citoyen sur le Numérique et avis aux politiques pour qui ce sujet ne fait pas partie des priorités ! Il y a urgence à répondre aux vrais enjeux de demain (et d'aujourd'hui).

La prochaine présidence française sera celle qui franchira le cap de la 2ème décennie du XXIème siècle. Un siècle traversé par deux tendances majeures qui se déploient de manière massive : l’urbanisation et l’hyper connectivité des hommes et des objets.

La vie urbaine dans cette décennie qui approche sera traversée par des transformations profondes autour des usages. L’économie servicielle qui touche tous les secteurs de l’activité va approfondir ses développements avec de nouveaux comportements des usagers, - devenus producteurs et consommateurs de données en masse -, pour presque tous les actes de la vie quotidienne. A ce jour, les 15 métropoles créées représentent aujourd’hui 39% de la population du pays, 43% de l'emploi et 51% du PIB avec la perspective à court terme d’un possible passage à 22 métropoles augmentant leurs poids dans la vie nationale. La récente signature du Pacte Etat Métropoles avec 15 pactes métropolitains d’innovation et une mise en réseau des 15 métropoles sont un signe de cette évolution  irréversible concernant le poids de la vie métropolitaine et urbaine dans notre pays.

Dans les 5 ans à venir, la convergence d’une France urbanisée, de plus en plus métropolitaine, avec l’hyper connectivité bouleversera nos manières de vivre, besoins et usages sociétaux dans nos villes sans qu’aucune composante n’échappe à cette transformation : l’habitat, l’environnement, l’éducation, la culture, les transports, la santé, la sécurité, l’énergie, l’eau, les déchets,…, mais aussi la gouvernance et la vie citoyenne qui sont traversés par cette double révolution des usages et du numérique.

Un puissant maillage se tisse dans nos vies urbaines, porté par les « smart devices », la géo localisation, l’Internet des objets et la présence de citoyens mobi-connectés, qui passeront bientôt au 5G et disposeront du Très Haut Débit. Pour la première fois, notre monde physique urbain devient ainsi  producteur en temps réel de données. Cette production est massive, décentralisée et fortement autonome. Cette ubiquité va encore changer profondément les modèles d’usages, de services et économiques, dans un monde devenu urbain. 

La Data se retrouve au coeur, devenue ressource clé, car accessible à tous. L’émergence de l’Open Data, du codage pour tous, a permis à des non spécialistes de concevoir de nouveaux usages. La vie urbaine sera alors le catalyseur de nouveaux paradigmes : anticiper et comprendre les interactions entre les systèmes qui composent les villes dans le but de croiser les données et de les valoriser, via la conception de nouveaux usages qui facilitent la vie de citadins. La force de la Data et sa vraie valeur au XXIème siècle, ne réside pas paradoxalement dans sa production, mais dans la capacité qu’elle offre à dépasser les objets et les systèmes, pour pouvoir s’intéresser avant tout, à leurs interactions, leurs interdépendances.

Pour comprendre la réalité de phénomènes de notre vie urbaine courante aussi variés que nos déplacements urbains, les approvisionnements énergétiques, la gestion des flux, les impacts du changement climatique, et bien d’autres situations, il est indispensable d’appréhender les liens entre les diverses entités et au cœur, le lien entre le métabolisme de la vie urbaine et celui de la Data. Cette dernière est aussi dynamique ; elle est créée, elle est produite, et elle aussi évolue dans le temps et se transforme. Le devenir d’une matière brute à une connaissance apprivoisée dans un contexte est un enjeu majeur donnant lieu à de nouveaux usages et services qui bouleversent notre quotidien, et encore plus dans les années à venir

Les grands succès disruptifs tels Google, Apple, Facebook, Uber, AirBnB, Amazon, Ali Baba, reposent sur leur capacité à transformer les données dans un usage social, simple et accessible, au travers des plateformes d’hybridation, pour produire des services qui transforment nos vies et nos villes. Aujourd’hui l’hybridation des objets avec les données et l’usage social au travers les plateformes, sont au cœur de la révolution des usages par le numérique, qui trouvent leur incarnation dans la vie citadine, urbaine et de plus en plus métropolitaine.

Ma proposition serait de faire de la Data urbaine un enjeu stratégique et le passage de « « l’Open Data » à « l’Urban Data » est l’un des pivots de cette feuille de route.

Un défi majeur se pose pour la prochaine présidence de la République Française : comprendre les changements qui s’opèrent avec la force de la vie urbaine et la production – consommation massive de données par les urbains. Il deviendra indispensable d’aborder la gouvernance et la structuration  de la donnée et de ses usages, non pas uniquement à l’aune de l’Open Data, mais d’aller au delà, pour donner toute sa place et sa puissance à la Data Urbaine. Elle sera source de nouvelles opportunités économiques, de création de valeur, d’innovation et de disruption, qui passeront par les territoires, les métropoles, les villes et la vie urbaine en général.

Mais prendre ce tournant signifie aussi, comprendre et accepter la portée du fait urbain : comment expliquer qu'au XXIème siècle, au siècle des villes, les choix politiques qui vont présider les cinq années à venir, soient désincarnés du territoire, la ville, là où se trouve l'essentiel de la population en France, comme partout en Europe et dans un monde qui est à majorité citadin ?

Je suis en faveur de la création d'un Conseil National de la Data Urbaine, outil de réflexion stratégique

Il est temps que l’Etat Français développe une politique urbaine sortant de l’émiettement des compétences, pour appréhender les villes dans leur complexité, dans leurs transversalité, les sortir d’une approche en silo et sectorielle. Il est temps de faire une politique visionnaire et innovatrice qui donne aux métropoles, villes et territoires urbains, de nouvelles capacités de gouvernance et d’action. Le passage de « « l’Open Data » à « l’Urban Data » est l’un des pivots de cette feuille de route. Donner la priorité à la compréhension de la Data Urbaine et offrir de nouveaux instruments pour la canaliser vers de nouveaux gisements de valeur sera cohérent avec une nouvelle décennie dans laquelle le Big Data, les algorithmes et l’IA se trouvent au cœur de batailles stratégiques. Je suis en faveur, entre autres, d’une action forte, portée par l’Etat avec une action décentralisée autour de la Data Urbaine, avec un outil de réflexion stratégique, un Conseil National de la Data Urbaine, qui permette de créer une autre approche dans la gouvernance  et les outils de traitement.

Il est temps d’imaginer un « Ministère de la Vie Urbaine »

Je soutiens les actions en vue de donner plus de compétences aux gouvernances urbaines afin de donner davantage de moyens à sa capacité à innover, expérimenter, promouvoir des actions autour de la convergence entre la data urbaine, les nouveaux usages et les éco systèmes territoriaux. Je plaide pour un plan national d’investissement fort, pour l’expertise de la Data Urbaine alliant universités, académiques, scientifiques, chercheurs, entreprises, pour que dans les territoires, avec nos métropoles et villes, la Data Science soit portée avec disruption et aussi pragmatisme.

Il est temps d’imaginer un « Ministère de la Vie Urbaine » qui soit à la hauteur du défi de la double convergence de l’urbanisation mondiale, européenne et française, et de l’ubiquité omniprésente à croissance exponentielle.

D'un ministère à l'autre la politique urbaine est décomposée arbitrairement en attributions verticales, fonctionnelles, souvent s'ignorant entre elles, si ce n'est pas en concurrence sur l'habitat, le transport, le développement durable, l'énergie, le commerce, l'économie, la solidarité... Souvent réduite « aux quartiers » comme expression d'une vision réductrice et dépassée, elle est pour l'essentielle inexistante quand en réalité, ce sont les villes et nos vies urbaines traversées par le numérique aujourd'hui qui sont au cœur de nos grands défis, sociaux, économiques, culturels, écologiques et de résilience. Elles sont au cœur de la production de richesses et des emplois.

Au siècle des villes, la prochaine décennie est décisive car la concurrence n’est plus du ressort uniquement entre les états mais également, et de plus en plus, entre les villes. A son tour, le numérique et ses acteurs sont devenus transnationaux. La Data Urbaine est un enjeu stratégique pour les années à venir, et il est indispensable de prendre conscience et d’agir avant qu’il ne soit pas trop tard et qu’une fois de plus, nous soyons passé à côté d’une source de création de valeur, de développement et de transformation de nos gouvernances, usages et services.

En 2030, les 750 plus grandes métropoles devraient représenter plus de 60% du PIB mondial. Aujourd’hui, 140 villes portent 44% du PIB en Europe, et l’économie de services utilisant massivement les « data » se trouve au cœur de cette mutation profonde. Construire des villes inclusives et pour tous, passe aussi par donner plus de compétences aux territoires dans cette transformation. Voilà un enjeu fort pour le prochain quinquennat : aller de « l’Open Data » à la « Data Urbaine » dans des villes pour tous.

Un article du Pr Carlos Moreno publié par Emmanuelle Leneuf pour le FlashTweet

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