Favoriser le lait made in France, une fausse bonne idée ?
© Laiterie Saint-Père

Favoriser le lait made in France, une fausse bonne idée ?

A la demande de l’Europe, la France a dû rétropédaler sur l’étiquetage de l’origine du lait. Cela n’empêche pas les éleveurs et industriels hexagonaux d’investir dans le secteur et de miser, plus que jamais, sur l’export.

France vs Europe (et au milieu Lactalis)

Le 10 mars, le Conseil d’Etat annulait un décret français de 2016 qui avait rendu obligatoire l’étiquetage de l’origine du lait malgré une législation européenne qui l'interdit. Depuis, le ministre de l’Agriculture se dit décidé à se battre pour le maintien de cet étiquetage et pour promouvoir "l’origine France". Julien Denormandie entend même porter ce combat devant la Commission européenne afin de pouvoir faire passer sa loi. Celui qui a fait capoter ce décret, c’est Lactalis. « La raison de notre recours devant le Conseil d’Etat était de préserver en France cette filière laitière qui dépend pour moitié de l’exportation », confie Emmanuel Besnier, son président. Depuis le décret français, 8 pays européens avaient ainsi mis en place le même type de réglementation et développé fortement leur propre collecte nationale de lait… au détriment des Français. Une fausse bonne idée ?

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🌍 L’appel du globe

Président, Galbani, La Laitière, Lactel… Dans un contexte international bousculé par le Covid-19, Lactalis a pu compter sur ses marques de beurre, crème, fromages ou yaourts vendues en grandes surfaces à travers le monde pour résister et demeurer numéro un mondial du lait, avec un chiffre d’affaires de 21,1 milliards d’euros – réalisé à 80% à l’étranger - en hausse de 5,9%. Mais le prix du lait s’est effondré à l’international. C’est pourtant là que réside le salut des éleveurs et industriels français laitiers, face à un marché national mature (les Français consomment déjà beaucoup de produits laitiers) et une production française de lait largement excédentaire. Même le lait bio n'a plus autant le vent en poupe dans l’Hexagone ! Après des années de croissance à près de 20%, sa consommation n'a augmenté que de 12% entre 2019 et 2020. Résultat, les grands du secteur, à l'instar de Sodiaal et d'Agrial, demandent à leurs agriculteurs d'arrêter la conversion vers le bio pour éviter une surproduction qui pourrait faire baisser les prix. 

🍽 Croquer ou exporter

Dès lors, deux stratégies. Pour se renforcer dans d’autres pays, les géants comme Lactalis ne cachent pas leur appétit pour de grandes marques étrangères disposant de leurs propres usines sur place. Ainsi, le numéro un français négocie actuellement la reprise à son compatriote Bel des fromages hollandais Leerdamer, avec plusieurs sites de production. Et surtout l'acquisition pour 2,7 milliards d’euros des fromages de l’américain Kraft (avec dans les bagages 750 salariés et trois usines) qui devrait lui permettre de réaliser désormais 3,5 milliards d’euros de ventes aux Etats-Unis, faisant de ce pays son deuxième marché derrière la France.

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Les Français plus petits misent pour leur part sur l’export de leurs produits. En Haute-Saône par exemple, la fromagerie familiale Milleret (©photo:Luc Hautecoeur) travaille à la construction d’une nouvelle usine à Charcenne pour augmenter ses capacités de production. En 2020, son chiffre d’affaires de plus de 75 millions d’euros a cru à l’export pour atteindre 12 %. « C’est un relais de croissance. En 2020, le Canada est passé devant l’Allemagne pourtant client historique », détaille son dirigeant Thierry Martin. Derrière, la Scandinavie et la Belgique tiennent la corde avec l’Europe de l’Est tandis que l’Océanie s’avère être un marché plus occasionnel. 

👏 Bientôt du lait français et équitable

Bonne nouvelle, le label de commerce équitable Max Havelaar s'ouvre aux producteurs français, a-t-il annoncé à l'occasion de la quinzaine du commerce équitable qui se tient du 8 au 23 mai. La démarche sera territorialisée et concernera, dans un premier temps, les producteurs de lait et de blé du Gers et de Poitou-Charentes. Objectif, « débloquer certaines impasses économiques en impliquant les consommateurs », explique Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France, afin de soutenir des productions déficitaires. Les producteurs de lait de Poitou-Charente recevront 41,5 cents le litre contre une moyenne de 33 cents reçus sur les précédentes années. Une initiative qui n'est pas sans rappeler les discussions autour de la modification de la loi Egalim proposée fin avril par le député Besson-Moreau.

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🥛 De la concentration à venir

Dans ce secteur aux marges très faibles (autour de 2% côté industriel), le malheur des uns fait le bonheur… ou l’opportunité des autres. La grande coopérative normande Agrial (au chiffre d'affaires de 5,957 milliards d'euros en 2020 en baisse de 2%) ne cache pas ses « ambitions de croissance externe pour le futur ». En particulier dans le lait où, « avec la crise, il y a beaucoup d'entreprises à la recherche de nouveaux investisseurs. Beaucoup d'informations nous remontent sur le sujet. Notre bonne santé financière nous permet de regarder ces dossiers avec attention », confie son dirigeant Ludovic Spiers. Cette activité lui a d’ailleurs permis de bien surmonter la crise de 2020. « Près de la moitié de notre production de lait, qui représente 2,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires, est destinée à la mozzarella. Ce fromage a continué d'être vendu car les pizzerias font partie des restaurants qui ont pu maintenir une activité », raconte-t-il.

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