Fonds euros : avenir morose ou brin d’espoir ?
« Le fonds en euros reste le socle fondamental de l’assurance-vie et ceux qui ont voulu l’enterrer trop vite s’en mordent les doigts » juge Hervé Tisserand, président du courtier Fapes Diffusion.
De plus en plus concurrencés et affaiblis par des politiques monétaires accommodantes, les fonds euros, supports au capital garanti, ont trop vite été enterrés et enregistrent des hausses de rendement historique pour l’année 2023. Toutefois, ces records de ces routiniers des stratégies de placement doivent être contextualisés dans un environnement financier bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Fonds euros
Aussi appelé fonds général en euros, les fonds euros constituent le principal support des contrats d’assurance-vie. Il convient d’abord de préciser que ces contrats d’assurance-vie ne sont en réalité que des enveloppes fiscales dans lesquelles un investisseur vient loger des supports financiers en acceptant un certain niveau de risque. Un fonds en euros correspond donc à un support financier d’un contrat d’assurance-vie dans lequel l’assuré place son capital initial. Ce capital est garanti et géré par l’assureur du contrat, assurant ainsi une sûreté pour l’épargnant. Les fonds en euros représentent ainsi 1 750 milliards d’euros sur un total de 5 667 milliards d’euros pour l’ensemble de l’épargne soit environ 31%.
Afin d’être en mesure de rembourser le capital du souscripteur et d’assurer la garantie du capital, l’assureur investit. Le rendement des fonds en euros est principalement obtenu par des investissements sur des emprunts d’Etat (« sovereign bond ») et obligations d’entreprises (« corporate bond »). Une plus faible part est investie dans des actions ou dans l'immobilier (20-40%). Dès lors, le rendement des fonds en euros dépend en grande majorité du rendement des obligations. On comprend alors que le rendement de ces fonds est intrinsèquement lié à l’évolution des taux d’intérêts.
Des fonds en euros questionnés
Si le fonds en euros se démarque en garantissant le capital du souscripteur, sa performance reste moindre et ses rendements faibles (1,3% en 2021). En effet, le contrat "multisupport", qui intègre, en plus du fonds en euros, une section avec des unités de compte, a connu une expansion significative. Ce dernier, plus risqué mais réputé plus performant dans la durée, est ainsi venu concurrencer les contrats standards en fonds en euros, nommés « monosupport ». Jusque-là privilégiée par les investisseurs français, la souscription de ces contrats monosupport diminue en raison de la pression exercée par les assureurs qui imposent désormais une part d’unités de compte aux souscripteurs mais aussi à cause des pouvoirs publics qui prêchent la modération des taux de rendement.
Il convient de noter que le fonds en euros est de plus en plus chargé de frais de gestion annuels ou autres frais divers amputés sur le capital initial, et sa performance est soumise chaque année aux prélèvements sociaux. Ces raisons peuvent également expliquer pourquoi certains souscripteurs se sont désintéressés des assurances-vie en fonds en euros.
En outre, la Banque centrale européenne (BCE) a eu tendance, ces dernières années, à adopter une politique plus accommodante avec des taux bas et à procéder à des rachats d’obligations à des fins de relance de l’économie. Or, comme précédemment énoncé, les taux servis dépendent essentiellement des rendements des taux obligataires. Les rendements des obligations ont donc baissé rendant, in fine, le rendement des fonds en euros atone et nettement inférieur à ceux connus dans les années 2000.
Un retour en grâce..
Le vent tourne en 2023 et « les fonds en euros s’imposent de nouveau comme un choix d’investissement des plus séduisants » analyse Antoine Delon, président du courtier en ligne Linxea. En effet, la rentabilité moyenne de ces fonds en euros retrouve des couleurs. Déjà remontée à 1,9% en 2022, elle enregistre de très bonnes performances en 2023 au bonheur des épargnants. Les premières annonces l’affirment : + 2,75% chez Milleis Vie, + 3% pour BNP Paribas Cardif, + 3,50% pour la mutuelle Garance et encore + 3,70 % pour La France Mutualiste.
Cette hausse des rendements des fonds en euros provient d’un rendement obligataire plus élevé, conséquence directe de l’augmentation des prix des biens de consommation et des taux directeurs des banques. Les assureurs s’appuient sur cette tendance haussière pour pouvoir d’une part, lutter contre leur ennemi premier, le Livret A, et contre les comptes à terme ; on décompte 28,7 milliards d’euros de collecte nette en 2023 contre 27,6 milliards d’euros pour les fonds en euros du fait d’importants retraits. D’autre part, pour attirer de nouveaux fonds – de l’argent frais « new money » – afin de revitaliser les actifs obligataires des fonds en euros et d'investir dans des actifs plus rentables que ceux injectés jusqu’en 2021.
De surcroît, les assureurs-vie sont bien décidés à restaurer l’image attractive des fonds en euros. C’est pourquoi, de plus en plus d’offres sont revues à la hausse par les assureurs, certaines atteignant des rendements de 3% et plus. La rentabilité moyenne de ces fonds devrait même atteindre les 2,50% pour 2024, un niveau qui n’avait plus été franchi depuis 2014, de quoi faire du fonds en euros « un choix d’investissement des plus séduisant ».
…Vraiment ?
Certes, la hausse des rendements obligataires a permis de retrouver une rentabilité plus attractive pour les fonds euros. Cependant, certaines nuances et éclaircies s’imposent avant de se jeter sur le retour en grâce de ces fonds en euros alliant garantie et rendement.
Tout choix d'investissement pour son épargne doit tenir compte de l'inflation, autrement dit il faut considérer l'épargne en termes réels. De fait, une hausse des rendements ne signifie pas obligatoirement que l’investissement est rentable. En effet, des rendements plus élevés peuvent se retrouver rognés par la hausse des prix. Une plus faible hausse des rendements sans inflation s’avère même parfois meilleure qu’une plus forte hausse de rendement associée à de l’inflation. Fort est de constater que beaucoup d’épargnants tombent bien souvent dans ce piège de l’illusion monétaire.
Recommandé par LinkedIn
Or, en prenant en compte l’inflation, la performance du fonds en euros, en valeur nette d’inflation, reste négative. Un rendement moyen estimé à 2,5% pour 2024 n’est pas idéal compte tenu du niveau d’inflation prévue par l’Insee sur l’année en France : 2,6%. Dans une telle situation, investir dans une assurance-vie en fonds en euros réduirait tout simplement l’épargne et le pouvoir d'achat des épargnants. De quoi désenchanter les aspirations des épargnants préférant investir dans des unités de compte ou livret A offrant une meilleure rentabilité…
Ensuite, les fonds euros se heurtent encore et toujours à leur concurrent direct : le Livret A. Ce dernier reste en effet le placement préféré des Français avec un taux d’intérêt annuel plafonné à 3% jusqu’à janvier 2025 et un capital tout aussi garanti. Accessible à tous, exonéré d’impôts et de prélèvements sociaux, ce produit d’épargne réglementé par l’Etat constitue le placement idéal malgré un plafond limitant les dépôts.
Conclusion
Prisés pour leur sécurité, les fonds en euros ont vu leur performance décroître ces dernières années (jusqu’en 2021) en raison d’un contexte économique global plus instable et des politiques monétaires très accommodantes. Mais, 2023 a marqué un tournant pour ces fonds avec le retour d’une rentabilité plus attractive synonyme d’un meilleur retour sur investissement pour les épargnants. Les perspectives pour 2024 sont d’autant plus optimistes que les assureurs-vie surfent sur cette tendance à la hausse. Il est néanmoins important de rester prudent et de bien s’informer, car les performances futures dépendent largement de l’évolution du contexte économique et financier. Et n’oubliez surtout pas que « la diversification est une protection contre l’ignorance » Warren Buffet.
Sources
Annexe
Concrètement comment ça marche ?
Si vous souhaitez placer 1 000 euros avec 1.2% de frais d’entrée, vous placeriez en réalité 988 euros. Des frais de gestion annuels sont parfois amputés au montant investi quelle que soit la performance du fonds en euros.
Le fonds en euros permet la capitalisation des intérêts gagnés annuellement grâce au mécanisme connu sous le nom de « effet de cliquet ». Ainsi, les intérêts perçus sur les 988 euros investis, calculés proportionnellement à la période d’investissement au cours de l’année et suivant le taux de revalorisation fixé par le contrat d’assurance, seront une première fois capitalisés puis généreront à leur tour des intérêts.
Avec un taux de revalorisation annuel fixé à 3%, le capital devient 1017,64 (988 + 988*0.03) après un an puis 1048,1692 pour la deuxième année. On suppose ici que nous sommes sur une période de capitalisation de 1 an.