L’immortelle
Nom botanique : Helichrysum italicum
Famille des Astéracées
Origine : tout le pourtour méditerranéen
Traitement : distillation des sommités fleuries
Botanique et histoire
Plante hermaphrodite du pourtour méditerranéen dans son ensemble, de Gibraltar à l’Asie Mineure, l’hélichryse italienne porte le nom du soleil : helios = soleil et chrysos = or. Les Grecs l’associaient à Apollon, dieu solaire par excellence qui portait parfois une couronne d’immortelle, et la princesse Nausicaa, fille du roi Akinoos, qui recueillit Ulysse sur le chemin de son retour et qui aurait déjà utilisé la plante pour agrandir sa beauté légendaire.
Plante de l’été, l’hélichryse pousse particulièrement bien en Corse, dont les HE et les hydrolats de cette plante sont connus. Elle est aussi, avec le lentisque, l’expression du caractère de l’Île de Beauté. Son nom français d’immortelle est dû à la longévité de ses bouquets. Helichrysum italicum est une des quelque 500 espèces d’hélichryse et elle est endémique au pourtour méditerranéen, dont elle aime les roches calcaires du littoral. Madagascar recèle, au passage, un grand nombre d’hélichryses qui lui sont endémiques et sont très différentes de celle-ci.
Traitement
On ne trouve aucune mention de l’immortelle dans les traités de parfumerie de l’époque moderne, ni en tant que plante médicinale, ni en tant que plante aromatique pour les eaux composées. Cela reste le cas dans les traités de la moitié du XIXème siècle. L’engouement pour cette matière est donc récent.
Dans The Essential Oils, Ernest Guenther ne mentionne que brièvement l’immortelle italienne, qu’il nomme Helichrysum angustifolium, ainsi que Helichrysum stoechas, dont le nom désigne les îles d’Hyères au large du Var.
De la première, il dit qu’elle est distillée dans les îles dalmates et que la distillation doit suivre immédiatement la cueillette. Il ne mentionne aucune utilisation de cette HE pour la parfumerie, malgré la présence de nérol (30-50%), d’acétate de néryle et de pinènes. Mais il documente aussi une extraction de la plante au solvant à Grasse, avec de faibles rendements ; une distillation de la concrète et de l’absolu ainsi obtenus (1% de concrète donne entre 68% et 80% d’absolu) donne une HE sans nérol. Il estime que Grasse traitait 5 tonnes de la plante en 1939. Quant à Stoechas, il insiste qu’elle n’est pas toujours facilement différentiable de l’autre car elles poussent toutes sur les mêmes biotopes. D’ailleurs, elles peuvent être distillées ensemble. L’HE de Stoechas, elle aussi de faible rendement, démontre une majorité d’acétate de néryle.
Chimie et pharmacopée
L’HE d’immortelle, obtenue par distillation des sommités fleuries, démontre en effet la présence d’acétate de néryle, qui peut représenter plus de 40% de sa composition et lui donne des propriétés calmantes et relaxantes mais explique aussi ses vertus au plan cutané. Il est présent dans le bigaradier qui produit la fleur d’oranger. Elle contient ensuite des monoterpènes et monoterpénols, dont pinènes et terpinéols ; enfin, des sesquiterpènes, dont le curcumène, qui est présent dans le curcuma. Elle contient une cétone, l’italidione, entre 5-10% selon les biotopes et les chémotypes, d’où les mises en garde habituelles contre son utilisation par les femmes enceintes et allaitantes et les enfants.
L’HE d’hélichryse s’utilise essentiellement par voie cutanée en dilution dans une HV à 10-15% maximum. Elle peut aussi se diffuser et être sentie sur touche en olfaction sèche. L’olfaction humide et la voie orale n’ont pas d’intérêt, vues ses applications. Le prix relativement élevé de cette HE (plus de 30 euros les 5 ml) est imputable aux faibles rendements à la distillation.
L’HE d’hélichryse est fortement décongestionnante et désclérosante. Lymphotonique (assainit le système lymphatique) et lipolytique (fait fondre les graisses), elle est conseillée contre la cellulite et la rétention d’eau et de fluides. Anti-inflammatoire et antalgique, elle cicatrise et résorbe les hématomes. Anticoagulante, elle est aussi conseillée contre tous les troubles circulatoires, comme les varices, la phlébite, et les troubles cutanés d’origine circulatoire, comme la couperose.
Très antioxydante, elle est une des grandes alliées de la peau, et surtout des peaux matures. La manière la plus simple de l’utiliser est en hydrolat, le soir, en alternance avec un autre hydrolat, comme la rose, le cassis ou le géranium, le matin. La ligne "immortelle" de L’Occitane en Provence est notablement chère. On peut fabriquer un sérum huileux avec 1%+ d’HE d’hélichryse, soit une goutte dans 8 ml d’HV de millepertuis, de rose musquée, de camélia, d’argan ou encore de noyau d’abricot, pour un usage nocturne uniquement afin de se protéger de la photosensibilité.
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Quelques belles marques de produits naturels proposent des produits à base d’hélichryse de grande qualité, comme Vitalba (qui la distille) et Lavandes & Compagnie (Vaucluse). Ces sérums sont beaucoup moins chers que ceux des marques de luxe et infiniment meilleurs. Bio-organiques, ils contiennent aussi davantage de principes actifs. Pour les hématomes, l’on pourra diluer quelques gouttes d’HE d’hélichryse dans une HV (millepertuis, arnica ou tamanu), et masser. Antibactérienne et antifongique, l’HE d’hélichryse peut être utilisée contre les affections cutanées de type acné, psoriasis, herpès, mais aussi après un coup de soleil.
Aromachologie
Au niveau subtil, c’est-à-dire au plan de ce que la plante transmet comme message émotionnel et psychique, on dit de l’immortelle qu’elle combat "les bleus de l’âme", comme ceux du corps, et apaise ceux qui "se font du mauvais sang". Elle est aussi une aide aux transformations forcées qui provoquent un choc psychique. Certains voient en elle "un guide corse" qui remet sur le chemin des valeurs vraies, sans maquillage, comme le littoral où elle croît. Elle enracine et ramène à la réalité. Elle est réelle, mature, elle ne cherche pas à faire joli. D’ailleurs, elle n’a pas besoin de grand-chose pour vivre… Peut-être y a-t-il en elle des valeurs de transmission.
Si on l’appelle aussi "plante-curry", c’est évidemment en référence à son odeur, due au curcumène qu’elle contient. Ses effluves rappellent le soleil, non pas celui d’Océanie, mais bien celui de la Méditerranée, rocailleux, abrupt, maquisard, car elle sent le maquis et la Provence. Elle contient des notes fleuries, mais malgré l’acétate de néryle, elle ne sent pas la fleur blanche. Et si je devais donner une couleur à cette odeur, ce serait sans conteste le jaune, avec un bleu de mer en arrière-plan…car elle sent aussi la mer. C’est peu dire qu’elle contient son biotope dans ses arômes. Elle est douce, balsamique, beaucoup moins amère que la carotte douce, avec laquelle je lui trouve pourtant des points communs. Il y a aussi un côté poudré qui rappelle la racine d’iris. L’odeur de pin est complètement enrobée de miel jaune d’or, de sorte que l’on ne sent pas du tout la térébenthine typique des pins de l’Atlantique.
Géographiquement, elle ne sent pas l’Ouest, mais l’Est, et c’est vers La Porte (c’est-à-dire la Turquie) qu’elle se tourne, comme si elle traçait la route des épices de Venise à l’Océan Indien. Pas étonnant si Serge Lutens lui a consacré, dans sa collection prestigieuse du Palais-Royal, un parfum presque solinote, El Attarine, en hommage à l’Orient (même si "son" orient est marocain et donc tourné vers l’Ouest).
Les parfums
L’immortelle trouve sa place dans la parfumerie classique du XXème siècle et connaît un grand regain d’intérêt, auprès des maisons de niche en particulier. Elle s’enlace particulièrement bien au lentisque, à la lavande, aux agrumes, au mimosa et à la fleur de cassie, à l’iris, aux pins, aux notes marines, au miel et aux notes ambrées, et surtout aux épices.
Le chypré d’Edmond Roudnitska pour Rochas, Femme (1944), n’en contient pas, et pourtant l’immortelle m’évoque indubitablement ce mélange de fleurs classiques (rose, jasmin), d’épices (cumin), de fruits confiturés (prune, abricot) et de terre (mousse de chêne, iris, patchouli). Plum Japonais de Tom Ford serait une version contemporaine de cette prune et fleur de prunier réchauffées par l’immortelle, le safran, la cannelle et le benjoin. Cette richesse d'arômes se retrouve dans un Crocus de la marque espagnole de prêt-à-porter Santa Eulalia où immortelle, safran, fruits rouges, poivre et rhum sont enlacés dans un ambre bien ancré dans la terre.
Guerlain place l’hélichryse au cœur de son Parfum du 68, sorti en 2013 dans la collection 'Le Passeur du Temps", dans un flacon qui exprime toute la puissance de cette fleur. Immortelle Tribal de L’Atelier de Givenchy (2015) est construit sur un fond d’immortelle, réglisse, santal et une note caramel, alors qu’Iris Harmonique (2016) place l’immortelle en fond avec des bois, de l’iris et de la fève tonka sous un cœur de cardamome et ylang. Dans Sables d’Annick Goutal (qui aime décidément bien cette matière), elle occupe le cœur avec du poivre noir ; dans Nuit Etoilée (plus récent), elle est en cœur avec l’angélique. Dans Eau Noire de Maison Christian Dior (Francis Kurkdjian), l’immortelle est en cœur avec la réglisse sous une tête aromatique.
Parmi les eaux de toilette/de parfum à forte tenue, citons le Mandarine et Immortelle de L’Occitane en Provence en collaboration avec Pierre Hermé pour le magasin des Champs-Elysées ; Blanche Immortelle d’Atelier Cologne (immortelle en fond avec café, patchouli, héliotropine, santal et vanille) ; et Mon Immortelle de Fragonard (collection "Tout ce que j’aime"), où l’absolu est en cœur avec jasmin et rose. En 2020, Molinard a sorti une Méditerranée où ciste, immortelle et sauge entourent une rose annoncée par des notes vertes et fleuries. Mile High 38 (Michel Almairac, Parle-moi de Parfum) met l’immortelle sur la route des Indes avec patchouli et ananas. Immortelle d’Orient également dans le Thé Darbouka de la marque de niche L’Orchestre Parfum, qui aime associer l’orgue du parfumeur aux instruments de musique. Avec styrax, oud et cacao, l’immortelle chante le désert au son du darbouka, un tambour ancestral commun aux Balkans, à l’Afrique du Nord et au Proche-Orient,
L’immortelle donne de la matière à des parfumeurs qui ont perdu leurs ingrédients charnels, issus de matières animales ou végétales maintenant interdites. On la trouve ainsi dans nombre d’évocations de peaux, jeux de peaux ou volutes, comme celles de Diptyque, avec résines, une note tabac, miel et épices, ou L’Art de la Guerre de Jovoy, où elle est en fond avec des bois et une note cuir sous un cœur de rose, rhubarbe et hédione. La camomille en tête s’accorde bien avec l’immortelle. De même, Corps et Âmes de Pierre Guillaume où l’immortelle lie jasmin et géranium à des notes boisées et épicées. L’immortelle contribue à l’animalité de la Tubéreuse No. 3 animale d’Histoires de Parfums, avec prune et kumquat. Bello Rabelo de Liquides Imaginaires est un oriental où les résines (ciste, benjoin) accompagnent immortelle, fruits secs et vanille avec des notes de vin. The Afternoon of a Faun d’État Libre d’Orange, Cuir Beluga de Guerlain (2005), Ganymède (Quentin Bisch pour Marc-Antoine Barrois) et Cuir Velours chez Naomi Goodsir sont d’autres évocations de ces cuirs contemporains auxquels participent myrrhe et encens, benjoin, épices, notes pyrogénées (dont celles de l’oud), et quelques fleurs d’Extrême-Orient (osmanthus). Marc-Antoine Corticchiato (Parfum d’Empire) a rendu divers hommages à cette hélichryse corse, qui figure dans son Tabac Tabou, en fond avec miel, tabac, labdanum et violette sous un cœur de feuille de violette, narcisse et rose.
En 2019, il donne dans Immortelle Corse un portrait de cette fleur de rocaille accrochée à la mousse de chêne sous des notes d’abricot et d’agrumes. Helicriss de Sylvaine Delacourte est une ode solaire aux agrumes de la Méditerranée accompagnés d’immortelle et de romarin avec des résines en fond, une pointe de cannelle et les coumarines de la fève tonka. Superfusion de JUS, aux flacons fluo (bien que celui-ci soit blanc), associe deux fleurs qui portent le nom du soleil, héliotrope et hélichryse, au poivre noir avec des notes boisées. Jean-Claude Ellena mêle la rose Centifolia à l’immortelle dans Rose de Mai pour Perris Monte Carlo, avec des épices et la verdeur du géranium. Pour la collection "Signature" de la marque Le Couvent, 84% naturelle, il signe un Ambra méditerranéen, avec immortelle, ciste, vanille et bergamote. Le Cala Rossa de Santa Maria Novella est un aromatique où l’immortelle côtoie le fenouil, la menthe et la lavande, sensations que l’on retrouve dans Farouche de Parfums de la Bastide. Pour les Parfumeurs du Monde, Thierry Bernard a créé un Val d’Orcia qui chante toute la richesse de cette province toscane, avec ses cyprès iconiques, agrumes, basilic et les notes vertes du magnolia autour de l’immortelle, ancrée à un ambre puissant.
Sr. Chemistry Scientist / Independent Perfumer
3 ansVraiment passionnant ! Merci pour ce partage ! :)
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3 ansPaul Caux