Gérer ou gouverner autrement ? Gérer et gouverner autrement ? Construits babillages
De ma perception des relations sociales, publiques (relation politique) ou privées (la relation professionnelle est aussi une relation quelque peu privée, car arbitrée par le juge social), il semble difficile d’imaginer un adulte éviter le questionnement en titre. Les activités humaines constituent avant tout des processus d’échange et d’interaction qui mettent en relation des acteurs et des actants ; ces derniers se meuvent au gré des intérêts souvent contradictoires. Le contexte dans lequel se déroulent ces échanges influence également le résultat de l’interaction, dans la mesure où il restreint les paramètres de la relation. Nous déduisons cette dernière réflexion d’un croisement entre les perceptions sociologique et économique de la relation de l’Homme au travail. Alors que le contextualisme repose sur l’importance du jeu des acteurs (aspect politique) et sur l’intérêt de la contingence, la conception économique de l’échange insiste sur la pertinence des ressources limitées.
Par mesure de précaution, il convient de préciser notre entendement des termes du débat : qu’entend-on par gestion ? Par gouvernance ? Parler de gouvernance des biens communs ne serait-il pas tautologique ?
J’entendends par gestion, le fait d’utiliser un ensemble de ressources, par exemple humaines et matérielles, en vue d’atteindre un objectif donné. C’est l’art de tracer un chemin vers un but que l’on s’est au préalable fixé. Gérer implique donc nécessairement un cadrage de la prise de décision, lequel peut aller de la consultation à la manifestation de la réalité souhaitée. Cela couvre un large éventail de possibilités parmi lesquelles l’on distingue le conseil, la participation, l’influence (par exemple, le lobbying), l’arbitrage dans le sens de choix à opérer discriminants, etc.
Gouverner est considéré comme terme adéquat dans le secteur public, à la différence de la gestion souvent rattachée au secteur privé. Gouverner renvoie parfois à l’acte d’exercer une charge publique, élective d’après la conception contemporaine de la représentation politique légitimée, c’est-à-dire de réfléchir et d’agir en faveur d’une communauté, élargie ou restreinte. Agir suppose concrètement de mobiliser aussi un certain nombre de moyens en faveur d’un objectif commun. Les moyens mobilisés ne sauraient être différents de ceux évoqués dans le paragraphe précédent au sujet de la gestion. Mentionnons à titre spécial l’importance de la nature et ce qu’elle recèle de biens considérés comme gratuits. Parler de gouvernance des biens communs ne serait-il pas tautologique ?
Les deux termes sont donc voisins, proches, mais avec des connotations différentes. Dans notre perception courante de ces deux termes, la gestion semble mieux appréciée que le gouvernorat et sa déclinaison opérationnelle, le gouvernement. Cependant, la gouvernance est devenue un mot-valise que l’on utilise un peu n’importe comment dans le siècle présent, à la faveur de l’émergence de préoccupations extrafinancières (sociales, environnementales), ainsi que l’introduction de la société civile dans le débat public.
Gestion de la communication et de l’information
Dans la communauté résidente camerounaise à laquelle j’appartiens, la vision classique de l’agencement des moyens matériels et humains semble prédominer. Les personnes supposées averties considèrent que la raison du plus fort constitue toujours la meilleure, tant et si bien qu’elle leur profite toujours. En d’autres termes, la gouvernance ou la gestion qui relève d’un individu s’arrête là où commence celle du plus fort que lui. La force, caractère imputable à un individu pour l’essentiel mâle dans l’imaginaire camerounais, repose sur la capacité à imposer son point de vue, quels qu’en soient les moyens : la ruse, la puissance, le recours à de tierces personnes, etc.
Cette vision caricaturale des relations sociales octroie la part congrue au droit, donc à l’effort continu réalisé au cours des siècles précédents pour protéger le faible face à l’oppresseur dans une communauté donnée. Les relations humaines apparaissent nécessairement inégales, mais la conception courante à laquelle nous ne souscrivons pas les voudrait également inéquitables. Comme illustration, nous pourrons retenir le rôle joué par l’État dans la société contemporaine camerounaise, où les ressources publiques sont utilisées pour asseoir une domination que l’on souhaite légitimer par un ordre tout aussi intemporel qu’humain. Cela est aussi palpable dans les échanges asymétriques entre les collatéraux, en fonction desquels le cadre normatif est travesti afin de justifier un ordre pourtant submersible, renversable. Un dernier exemple porte sur la relation employeur-employé. Alors que cette relation se distingue par son déséquilibre, les collectivités humaines ont progressivement développé un droit du travail afin de protéger la partie jugée soumise. Ce dernier exemple nous pousse à relativiser la portée d’une telle régulation, dans la mesure où l’application peut paraitre parfois malaisée, comme l’illustrent les contextes camerounais et français.
Toute activité managériale se résumerait-elle à une relation sociale ? Répondre à cette question apparait à la fois difficile et aisé. Aisée si l’on considère le management (terme anglo-saxon qui recouvre les deux versants évoqués, la gestion et le gouvernorat) comme une activité nécessairement humaine, car elle suppose une part de libre arbitre reconnue essentiellement à l’espèce humaine sur la planète terre. La relation sociale est ainsi définie comme celle qui lie deux Hommes, c’est-à-dire des êtres dotés d’une capacité d’anticipation et de réflexion. Difficile car les interactions managériales s'effectuent aussi par le biais d’outils, lesquels ne disposent certes pas d’une aptitude à anticiper, mais dont l’utilisation introduit un facteur d’incertitude. C’est par exemple le cas lorsque nous utilisons un logiciel de gestion (comptabilité, paie, etc.) : l’outil ne dispose régulièrement pas d’une autonomie, mais sa mobilisation par l’utilisateur n’est pas neutre ; l’outil de gestion peut véhiculer une certaine idéologie non identifiable à première vue, comme une conception de l’individualisation de la GRH pour un logiciel qui appartient à ce champ.
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La gestion des ressources naturelles représente un dernier domaine pour lequel intervient un facteur non humain. L’Homme au travail interagit alors avec la nature et ce qu’elle recèle (animaux, plantes, ressources minérales, etc.). Ce rapport a ceci de particulier qu’il est régulier à toute l’espèce humaine, et fait intervenir un aspect religieux. L’interaction avec la nature fait ressortir une dimension spirituelle laquelle est régulièrement qualifiée de sociale…mais pas uniquement. En effet, particulièrement pour les Africains, les ressources naturelles peuvent être porteuses d’êtres particuliers, car ne prenant pas la forme humaine, mais dotés de pouvoirs dont l’anticipation et la puissance.
Gérer ou gouverner autrement suppose donc de remettre en cause les composantes de l’équation et surtout leur résultat. L’équation constitue essentiellement un lien entre deux ou plusieurs critères au titre desquels l’on compte comme première ligne, l’être humain, et accessoire, les êtres animés (machines, logiciels, etc.). Parmi les multiples connexions possibles (à côté de l’écocentrée et de l’approche économique), la conception sociocentrée apparait comme prédominante. Cette acception mériterait d’être clarifiée, car elle peut recouvrir plusieurs cosmogonies avec des déclinaisons différentes, voire opposées. Ainsi, la conception du bien en société, aussi bien au niveau microsocial que macrosocial, individuel que collectif, impacte le résultat de la combinaison des paramètres sociaux. Le « bien commun » forme une notion déjà développée à suffisance dans la littérature concernant la Gestion des Ressources naturelles (GRN). Cette notion introduit le critère des droits de propriété au sujet d’une ressource en principe partagée, voire rare. La propriété est diversement appréciée en fonction des environnements culturels ; ceci a donné lieu à deux célèbres champs idéologiques écopolitiques que constituent le capitalisme et le communisme. S’il est communément admis que le capitalisme a « triomphé » au cours du siècle dernier, cette idéologie véhicule une perception de la propriété individuelle, certes ancrée dans l’imaginaire et le vécu occidental, mais parfois en contradiction avec l’aménagement sociopolitique d’autres aires culturelles (confucéenne, africaine…).
Gestion de l’espace (foncier)
Le nœud du problème réside dans l’approche de la ressource humaine, plus globalement dans l’orientation des rapports de l’humain à l’humain ou à l’inverse, de l’humain à la nature. Par exemple, la parentalité figure un phénomène apparemment conçu comme collectif au sein des sociétés africaines. Ainsi, l’enfant qui nait appartient à une communauté ; cette situation peut rendre difficile la conception de la paternité et le vécu des relations top-Down, y compris dans la sphère familiale. Surtout, l’enfant est parfois identifié à une ressource, un patrimoine qu’il convient de rentabiliser. Seulement, le croisement des familles ainsi que les alliances qui en résultent, associées à la succession des générations rendent parfois flous les statuts et l’ordre social au sein des lignages. Le recours à la mémoire collective ainsi qu’à la codification des us et coutumes, modifiables dans le temps apparait fécond pour démêler l’écheveau des relations individuelles. La simplicité impose de mobiliser une expérience traditionnelle africaine aujourd’hui atténuée ou mixée avec la conception européocentrée du monde (religion, pouvoir, etc.) pour recréer une vision moderne de la relation managériale en Afrique ; car, l’empreinte sociale du manager imprègne son approche des outils de gestion et dimensions de décision. Comment repenser la conception du « bien commun » en matière de GRH en Afrique ?
La conception classique des rapports sociaux selon laquelle la raison du plus fort serait la meilleure devrait être atténuée, voire infirmée dans la mesure où la protection des minorités est considérée et correspond de plus en plus à la codification légale des rapports sociaux courants. Par exemple, les droits sociaux et culturels des pygmées, bien qu’établis par plusieurs conventions internationales, ne sont pas encore intégrés dans les législations africaines. Pourtant, ces peuples premiers ont démontré l’antériorité voire la supériorité de leur culture, entendez, compréhension et intégration de leurs activités sociales dans leur cadre de vie. Gérer ou gouverner autrement implique donc de mettre en exergue les tendances faibles ou émergentes, par exemple en parallèle de la conception représentative de la société.
Gestion du temps
L’idée développée ci-dessus repose sur la valorisation de la diversité des points de vue et la confrontation des intérêts sociaux antagonistes. Dans un système démocratique, la majorité l’emporterait sur la minorité, par exemple à travers le vote. Cependant, les idées véhiculées par la partie réduite peuvent intéresser l’ensemble de la communauté. Ainsi, dans certains systèmes politiques, le statut de l’opposition a été aménagé afin de faciliter la confrontation des idées et d’aménager le choix du citoyen, favoriser l’alternance, etc.
Toutefois, certaines idées vont parfois à l’encontre de la conception courante de la société, parfois s’inscrivent même en négation du caractère social de la collectivité humaine. Par exemple, certaines idées de l’extrême droite en France sont jugées antirépublicaines par le reste de la classe politique. Un cadre d’expression leur est cependant aménagé, non pas par dépit, mais bien par conviction que l’expression de tout type d’idée suscite l’émulation lorsqu’elle obéit à certaines règles.