Les rites en entreprise : pourquoi faut-il structurer le temps et le ritualiser ?

Les rites en entreprise : pourquoi faut-il structurer le temps et le ritualiser ?

Rites : Besoin de l’entreprise ou de l’homme ?

Une entreprise existe-t-elle en dehors des hommes qui l’a composent ? Et, s’agissant des rites, sont-ils le fait de l’entreprise, ou des hommes qui y travaillent ?

Les rites et les rituels viennent du latin « ritus » signifiant « ordre prescrit » (Barus-Michel, Enriquez, & Lévy, 2002), et l’on comprend aisément pourquoi ils tiennent une place toute particulière dans le monde de l’entreprise, tant le besoin d’homéostasie est un élément récurrent dans le monde du travail . Cela étant, l’entreprise n’a d’existence que dans les registres et chambres de commerce, ou comme propriété d’actionnaires.

L’entreprise, n’existe pas en dehors de la volonté de l’Homme, par ses croyances, par son implication et sa volonté de se réunir autour d’un projet commun au service d’une cause plus grande que lui.

Ainsi l’ordre prescrit (les rites) serait un besoin de l’Homme au travail, telle une forme de concept structurant les activités, tant du point de vue moral, que de la discipline.

Pourquoi avons-nous besoin de rites au travail ?

Il s’agit ici, de chercher à comprendre pourquoi l’Homme a besoin de rites dans son activité professionnelle. Pour cela, intéressons-nous à Eric Berne (Berne, 2005), qui utile la notion d’appareil pour décrire tout ce qui touche à la prolongation de l’autorité du groupe, une forme de partie exécutive du leadership. Les rites que l’on retrouve ici,  sont là pour faciliter l’activité, en régulant les processus relationnels dans les équipes. Ils permettent de soutenir les structures organisationnelles, en rappelant les règles pour permettre la fluidité du leadership. On y retrouvera des rites de « types policiers », qui sont là pour maintenir l’ordre, et des rites plus idéologiques, qui servent quant à eux , à défendre la morale et à renforcer l’appartenance au groupe.

On retrouve également des rites dans les traditions de comportements des leaders fondateurs. En France par exemple, l’Abbé Pierre, fondateur du mouvement Emmaüs, instaure l’accueil inconditionnel des Hommes sans toit, ni travail, avec comme seule contrepartie, de travailler pour aider les autres (Les compagnons d'Emmaüs, 2022). De là, vont découler la constitution et les lois, desquels vont résulter les rites de responsabilité individuelle et collective vis -à-vis du leader primal.

Structure et rites, deux frères jumeaux.

Il est intéressant, d’approfondir la notion de besoin de structure, afin de pouvoir la différencier, au besoin, de tout ce qui se rapporte aux rites. Pour Berne (Berne, 2012), la manière dont l’homme structure son temps est en lien étroit avec les 3 soifs fondamentales suivante :

  • La soif de stimulation : le besoin d’éprouver des sensations, notamment d’être impacté physiquement
  • La soif de reconnaissance : basée sur des échanges symboliques, où l’autre nous offre un signe d’attention concernant notre existence.
  • La soif de structure : qui concerne particulièrement le besoin de structurer le temps.

Et, pour survivre, l’être humain est confronté à la nécessité de satisfaire ses soifs fondamentales, et il va, utiliser une grande partie de son temps et de son énergie pour y parvenir. De manière conscience ou inconsciente, une grande partie de nos activités habituelles est orientée vers la satisfaction de ces trois soifs et connaître nos besoins, nous permet de satisfaire nos soifs avec plus d’efficacité.

Pour Berne, nous structurons notre temps en six phases caractérisées ainsi :

1.    Le retrait : les signaux que j'envoie indiquent que je ne souhaite pas entrer en contact avec l'autre : je ne m'approche pas, je ne lui parle pas ou je ne le regarde pas, je reste dans "mon coin" - ou d'une façon plus inconsciente - je suis dans mes pensées.

2.    Le rituel : c'est la façon socialement admise de commencer et de terminer un contact relationnel : ainsi le "bonjour" et l' "au revoir» sont des automatismes culturels. Faites l'essai : répondez "Non" à "Comment ça va ? ", vous allez probablement sentir une gêne chez votre interlocuteur : ce n'est pas la réponse prévue !

3.    Le passe-temps : comme son nom l'indique, c'est une manière de passer le temps, de discuter avec l'autre sans s'impliquer trop dans la relation, la conversation est balisée, elle se fait "toute seule". L'exemple le plus typique, c'est le temps qu'il fait en cette saison, Oh ! ne m'en parlez pas…

4.    L'activité : la relation est instaurée pour faire quelque chose ensemble. La conversation, les gestes sont dédiés à cette réalisation : un compte-rendu, une maquette, un site internet…

5.    Les jeux : on retrouve ici les séquences relationnelles qu'Éric Berne a appelé les jeux psychologiques.

6.    L'intimité : c'est un moment, bref et peu fréquent, où les interlocuteurs échangent sur ce qu'ils ressentent, de la joie, des sentiments amoureux, de la colère ou de la tristesse, d'une manière authentique, c'est-à-dire sincère et exempte de volonté manipulatoire (de l'autre, de la relation). (Le Site Francophone de l'Analyse Transactionnelle , 2022)

Ainsi, les rituels ci-dessus s’apparentent à un besoin de structure, et viennent réguler les rapports sociaux dans l’entreprise. Ils sont là en parallèle des rituels liés à l’autorité du groupe ou à ceux en lien avec les traditions de comportement.

Les rites de reconnaissance au travail et leur impact sur la productivité

Un des rites importants au travail consiste à reconnaître son collègue. Il peut s’agir d’une demande de reconnaissance ou simplement d’un mot, ou d’un regard donné à l’autre, et qui vont alors lui faire comprendre qu’il a bien fait les choses, dans l’ordre prescrit.

On peut donner des signes de reconnaissance à ses collègues de différentes manières, selon ces deux grandes typologies :

  • Donner de la reconnaissance sur le travail réalisé.
  • Donner de la reconnaissance sur la manière de se comporter au travail.

Les rites ou signes de reconnaissance sont hautement appréciés et ils sont attendus lorsque plusieurs personnes se rencontrent. Refuser des signes de reconnaissance est une forme de mauvaise conduite appelée « grossièreté », qui peut amener à des sanctions sociales (Berne, 2016).

Il y a plusieurs formes spontanées de reconnaissance, comme un sourire de plaisir par exemple. Qui n'a pas reçu un signe de reconnaissance inconditionnel et non verbal d'un inconnu dans la rue, qu'il s'agisse d’un regard furtif ou d'un pouce levé ou d'un sourire ?

Anciennement, une révérence ou un « levé de chapeau », et plus actuellement un sifflement ou un serrement de main se sont même mués en rituel.

Il existe une suite de « gestes » verbaux, dont chacun indique un niveau de plus en plus haut de reconnaissance et offre une gratification de plus en plus grande. Eric Berne les résume ainsi en analyse transactionnelle (Berne, 2016):

Type de rituel

Implications correspondantes

a) Bonjour !, Quelqu’un est là ?

b) Comment allez-vous ? Quelqu’un ayant des sentiments est là ?

c) Vous n’avez pas froid avec le temps qu’il fait ? Quelqu’un ayant des sentiments et des sensations est là ?

d) Qu’y-a-t-il de neuf ? Quelqu’un ayant des sentiments et des sensations et une personnalité est là ?

e) Vous avez d’autres nouveautés à me raconter ? Quelqu’un ayant des sentiments et des sensations et une personnalité et auquel je porte un intérêt soutenu est là ?

En AT, toute intervention qui crée une reconnaissance de l’autre est appelée « signe de reconnaissance ». Nous faisons souvent à peine attention à ce flot constant d’échanges avec les autres, et leurs importances sont de taille dans le monde des organisations, car effectuer un travail qui ne recevrait pas de signes de reconnaissance pourrait être assimilé à ennuyeux ! (Berne, 2016)

L’analyse transactionnelle a classifié les signes de reconnaissance en deux « familles » :

  1. Les signes de reconnaissance inconditionnels qui renvoient à notre personne (ce que nous sommes)
  2. Les signes de reconnaissance conditionnels qui renvoient à notre comportement (à ce que nous faisons.

Dans chacune de ces familles de signes de reconnaissance, ceux-ci peuvent être positifs ou négatifs. 

Les signes de reconnaissances inconditionnels positifs, nous remplissent de joie et de chaleur; nous pouvons être agréablement touchés et ils peuvent nous faire nous sentir « bien ». Ils sont chargés d’intensité.

Le signes de reconnaissances inconditionnels négatifs sont eux difficiles à entendre et peuvent nous renvoyer à une image négative de nous-même. Ils peuvent être destructeurs quand ils s’adressent à un enfant qui n’a pas les moyens de relativiser ce qu’il perçoit.

Exemples :

Les signes de reconnaissances inconditionnels positifs :

  • Je t’aime énormément
  • Je te trouve intelligent
  • J’apprécie ton sens de l’humour

Les signes de reconnaissances inconditionnels négatifs :

  • Tu es méchante
  • Tu es vraiment insupportable

Les signes de reconnaissance conditionnels sont eux moins chargé en intensité, qu’ils soient positifs ou négatifs. Il est par exemple agréable de savoir que l’on aime notre coupe de cheveux, mais cela nous touche moins que de nous savoir aimé.

Les signes de reconnaissances conditionnels négatifs sont parfois difficiles à entendre, mais ils permettent, si nous les écoutons avec un distance intérieure suffisante, de modifier des comportements problématiques, de progresser dans notre travail ou encore d’apprendre d’autre manière de faire. Cela dépend toutefois de la manière dont ils nous sont présentés.

Exemples :

Les signes de reconnaissances conditionnels positifs :

  • J’aime ta robe
  • J’apprécie beaucoup ton travail
  • Tu as bien compris ce dont je parle

Les signes de reconnaissances conditionnels négatifs :

  • Je déteste que tu me fasses attendre
  • Tu as fait une grosse bêtise
  • Ton rapport n’est pas assez travaillé.

Les signes de reconnaissances peuvent par ailleurs être verbaux ou non-verbaux.

Exemples :


Les signes de reconnaissances verbaux positifs :

  • Quelle belle soirée j’ai passé, merci !
  • J’adore ta nouvelle coiffure
  • Ton intervention auprès de l’équipe ce matin était parfaite

Les signes de reconnaissances verbaux négatifs :

  • Tu t’es encore trompé
  • Tu es vraiment mal coiffée
  • Comment as-tu pu acheter une telle horreur !

Les signes non-verbaux sont plus discrets et donc plus faciles à ignorer. Un sourire, un signe de tête, un clin d’œil nous rapproche de l’autre. Ces signes sont moins « chargés » émotionnellement que les précédents, toutefois leur absence ou la non-réponse à l’un d’eux peuvent être vécues comme douloureuses.

Exemples :

Les signes de reconnaissances non-verbaux positifs :

  • Un sourire
  • Un petit signe de la main
  • Un clin d’œil
  • Un geste amical

Les signes de reconnaissances non-verbaux négatifs :

  1. Un regard qui se détourne
  2. Une grimace d’un collègue à la lecture d’un rapport
  3. Des gestes insultants
  4. Pas de réponse à une demande (Brécard & Hawkes, 2019)

Il apparaît clairement et cela dépasse la simple hypothèse, que de travailler sans recevoir de signes de reconnaissance peut amener à des dérives de comportement d'une personne. Ainsi, un travail inintéressant pourrait déclencher une forme d'ennui que la personne tenterait de combler par un potentiel comportement déviant : harcèlement moral ou sexuel, burn out ou burn in (bore-out syndrom), etc… Une attitude pire serait de ne pas donner de signes de reconnaissance à un collègue ou subordonné, et par cette forme d'ignorance, de lui faire croire ou penser qu'il n'existe pas.

À contrario, travailler dans une ambiance saine et effectuer un travail dans lequel on éprouve du plaisir ou que l’on aime, permet de se donner à soi-même des signes de reconnaissance positifs et également de recevoir de tels signaux de la part de ses collègues ou de sa hiérarchie. Et recevoir de tels signes de reconnaissances éloignerait l'ennui pour le reléguer au registre des mots oubliés.

Les managers et leurs rites

Pour exercer correctement son leadership, le manager aura tendance à s’appuyer sur cinq types de rituels.

  • Les rituels qui sont en lien avec ses influences personnelles, son éducation, sa vie, ses lectures, ses mentors ou encore ses Évhémères (Vergonjeanne, 2015). Le manager fondera ainsi ses rituels sur ses convictions profondes, ancrées dans son parcours d’individuation (Jung, 1964)
  • Les rituels qui sont en lien avec les influences organisationnelles. On parle ici des règles préexistantes dans l’organisation, celles qui restent, même quand les personnes s’en vont.
  • Les rituels en lien avec les préférences de comportement d’une personne. Il s’agit ici de comprendre que les motivations psychologiques peuvent être différentes en fonction de ses préférences de comportement dans une organisation (Muth & Vaucher, 2020)
  • Les rituels historiques, ceux amenés par ses prédécesseurs et qui continuent d’exister. Par exemple, ces rituels touchent aux méthodes de travail qui ont induit la mise en place des processus de travail, ou encore à l’image d’innovation inscrite dans l’ADN d’une l’entreprise, et qui découleront sur des rituels de type disruptif.
  • Les rituels culturels qui sont en lien avec les croyances et les pratiques traditionnelles. On retrouve ici les rituels religieux ou corporatifs, reposant sur des ensembles de croyance et/ou de pratiques traditionnelles (Vergonjeanne, 2015).

Conclusion

La vie dans une entreprise se déroule inlassablement au rythme continu des rituels, qu’il s’agisse des rituels personnels importés au travail par les leaders ou les employés, ou des rituels issus des coutumes de l’organisation, de son histoire ou encore de ses croyances.

Il peut y avoir des rituels festifs, gourmands, policiers, moraux ou rigolos, et chacun de ses rituels aura pour but de structurer la vie quotidienne des travailleurs. Ces rituels permettent d’organiser le temps qui passent, de reconnaître l’excellent travail de son collègue, ou encore, de féliciter l’attitude d’un autre.

Ils sont parfois des repères rassurants, parfois des jalons ennuyeux ou encore des moments de partage.

Sans ces rituels, certaines activités peuvent perdre leur sens, tant elles sont inscrites dans une routine, dans une pratique qui induit un processus qui rassure. Il y a des rituels figés, et des rituels qui évoluent, des rituels non-dits et des rituels explicites, des rituels liés au genre ou encore à l’âge des travailleuses et travailleurs. Il y a des rituels de groupe, des rituels collaboratifs.

Tous ces rituels cadencent les journées, rassurent les hommes et les femmes, servent de repères entre soi et les autres, entre le groupe et l’organisation, entre l’organisation et son environnement, telle cette conclusion qui est un rituel venant ponctuer la fin d’un texte. Et vous, quel est votre rituel à cet instant ?

Bibliographie

Barus-Michel, J., Enriquez, E., & Lévy, A. (2002). Vocabulaire de psychologie. Erès.

Berne, E. (2005). Structure et dynmique des groupes. Caluire: Les editions d'Analses transactionnelle.

Berne, E. (2012). Que dites vous après avoir dit bonjour. Beverly Hills (pour la version originale): Tchou.

Berne, E. (2016). Analyse transactionnelle et psychotérapie. Payot.

Brécard, F., & Hawkes, L. (2019). Le grand livre de l'analyse transactionnelle. Eyrolles.

Jung, C. G. (1964). Dialectique du Moi et de l'inconscient. Zürich: Gallimard.

Le Site Francophone de l'Analyse Transactionnelle . (2022). La structuration du temps. Récupéré sur Le Site Francophone de l'Analyse Transactionnelle: https://analysetransactionnelle.fr/p-La_Structuration_du_Temps

Les compagnons d'Emmaüs. (2022). les-compagnons-demmaus. Récupéré sur https://www.emmaus-fribourg.ch: https://www.emmaus-fribourg.ch/les-compagnons-demmaus

Muth, C., & Vaucher, Y. (2020). Tous pour Tous. St Luce sur Loire: Amalthée.

Vergonjeanne, F. (2015). Coacher les groupes et les organisations. Malakoff: Interéditions.

Pascal DORMONT

Partner and Consulting and services to companies in business development, M&A and Strategy. chez Actoria Group - Fusions acquisitions Suisse

1 ans

Un post avec beaucoup de sens, pronant le bien être permettant d'atteindre une efficience harmonieuse, je vous témoigne Yann toute ma gratitude pour la pertinence et la bien-veillance de vos phrases.

Thomas Okoro

J’aide les ENTREPRISES à attirer des clients SANS PROSPECTER grâce à des TUNNELS DE VENTE performants et un ROI mesurable. 💹

1 ans

Bel article. Les rites jouent un rôle clé pour transmettre des valeurs communes, stimuler la motivation des collaborateurs et créer un sentiment d'appartenance à la culture d'entreprise. Et surtout, les rituels peuvent être simples mais significatifs. Un simple brunch hebdo peut encourager le dialogue entre l'équipe ! 😊

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets