Gestion de crise 2/2: 4 étapes clés
Suite de l'article Gestion de crise 1/2: 4 étapes clés
1. Rendre le groupe intelligent :
Favoriser les interactions et le partage d'informations (développé dans l'article précédent)
2. Rendre le groupe flexible : cultiver le passage de lead
En situation de crise, l'échelle de commandement est chamboulée. Il faut diriger une équipe, prendre le lead, alors que l'organigramme ne donne pas une telle légitimité. La politique managériale de l'entreprise doit donner l'occasion à chacun de prendre le lead dans un projet ou un événement. En théâtre d'improvisation, les exercices sur les statuts [6] en improvisation sont très efficaces : pour prendre conscience de son positionnement psychologique par rapport aux autres, et effectuer des « bascules de statut » quand prendre le lead ou se soumettre à un leader s'avère nécessaire pour atteindre l'objectif.
3. Préparer le groupe : instaurer et pratiquer des procédures d'urgence
La procédure d'urgence est absolument nécessaire car d'une part elle sert de point de repère, d'autre part elle donne des automatismes. Contre toute idée reçue, l'improvisation, qu'elle soit musicale ou théâtrale ne se fait pas sans procédure. Les jazzmen utilisent un référent (schéma musical sous-jacent donnant la structure rythmique et harmonique de la composition). Ce référent, appris et répété, est stocké dans le noyau caudé du mésencéphale (zone profonde du cerveau). Ces structures surgissent d'elles mêmes lors des improvisations.[7] Les comédiens en théâtre d'improvisation, s'appuient sur les schémas narratifs du storytelling.
Dans une situation de crise, l'équipe d'intervention doit maîtriser les procédures pour pouvoir détecter si l'une d'elle s'applique ou non. Une fois cela fait, elle peut s'ouvrir à la nécessité d'improviser. Elle doit déployer de nouvelles procédures en temps réel. Il faut donc entraîner les équipes à improviser car il est impossible d'anticiper tous les événements susceptibles de se produire pendant une catastrophe.[8]
4. Développer la capacité d'improviser du groupe.
« L'objectif de l'entraînement doit donc être d'améliorer la capacité des personnels d'intervention à reconnaître des situations où les procédures établies sont pertinentes et adaptées, et à les modifier si elles ne le sont pas »[8]
Dans le domaine de l'improvisation artistique, les variations ou écarts à un schéma pré-établi est envisagé par les artistes comme une opportunité. L'enjeu est d'improviser avec les perturbations, erreurs ou variations qui peuvent surgir pendant la prestation.
Les outils du théâtre d'improvisation permettent d'acquérir la capacité d'improviser, en développant cinq compétences qu'on retiendra grâce à l'acronyme: P.L.A.Y .! (Raymond Van Driel’ s P.L.A.Y.! model, 2013) [9]:
P: Présence , être réceptif à ce qui se passe sur le moment
L: Lâcher prise, Rester flexible face à ce qui se passe. Accepter d'entamer les actions même si on n'a pas la maîtrise de tout.
A: Accepter et adapter, Écouter et prendre en compte ce que nos collaborateurs proposent. Mêmes les erreurs peuvent être des opportunités.
Y: Yes And (dire Oui et …), Construire le prolongement de ce qui est proposé. Cette approche généreuse, collective et soutenante permet l'émergence de l'intelligence collective
! : ! Support et impact, C'est la synthèse des 4 principes précédents. Les appliquer avec force et conviction décuple l'effet
Par exemple, dans les exercices qui permettent de s'adapter, j'en citerais deux :
En Jazz : Exercice du sauvetage : les musiciens introduisent délibérément des erreurs dans leur jeu afin de lancer de nouveau défis pour se rétablir.[3]
En Théâtre d'improvisation : Par groupe de 4 : une personne se met au centre pour conter une histoire. Les 3 autres énoncent des mots au hasard que celle du centre doit intégrer dans son histoire.
Les entreprises comme les organismes doivent entraîner leurs salariés à l'improvisation. Savoir mobiliser l'intuition, la créativité et l'intelligence du collectif est déterminant dans des situations où l'anticipation ne suffit plus.
Références:
[1] « Les yeux dans les bleus », reportage Canal +
[2] Rapport d'enquête parlementaire sur « les moyens mis en œuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 »
[3] Dossier « Les clés de l'intelligence collective » - Cerveau et Psycho n°78 Juin 2016 – p 40 – 41
[4] Comment l'autre centrale de Fukushima a-t-elle survécu ? Harvard, Business Review France . http://www.hbrfrance.fr/magazine/2015/01/5869-comment-lautre-centrale-de-fukushima-t-elle-survecu/
[5] D.Mendonça, F Friedich, 2006 « Training for improvisation in emergency management : opportunities and limits for information technology », Int J Emergency Management, Vol 3, No 4, p 348 – 363
[6] Impro: Improvisation and the Theatre - K Johnstone
[7] D. Mendonça, G.E.G. Beroggi, and W.A. Wallace , 2001 - « Decision support for improvisation during emergency response operations », Int J. emergency Mamagement, Vol 1, No 1, pp. 30-38
[8] D.Mendonça, G Webb & C Butts , 2010 - « L'improvisation dans les situations d'urgence : les relations entre cognition, comportement et interactions sociales » - Tracés revue de Sciences humaines 18|2010.
[9] B.S. Tint, V. Mc Waters, R. Van Driel, 2015, « Games for learning and dialogue on humanitarian logistics. Applied improvisation training for disaster readiness and response », Emerald, Vol 5, No 1, 2015 , pp 73-94.
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A propos de l'auteur:
Hélène Morre est formatrice spécialisée dans le théâtre d'improvisation appliquée aux entreprises. Elle est dirigeante de l'organisme de formation kolinkis.com et fondatrice de la compagnie lyonnaise d'improvisation le Cri du Chameau. Elle intervient dans les associations et entreprises depuis 2006.