GILETS JAUNES : COMMENT RUSER AVEC LE DÉSORDRE ET LA CRISE?
Cela peut paraître paradoxal, mais tous les sociologues vous le diront : l’affrontement permanent de projets politiques concurrents est un facilitateur de l’activité collective. C’est même le plus sûr remède à la crise et au désordre.
Parce que dans chaque camp, les affects individuels et collectifs se coalisent pour en découdre avec le camp adverse.
Parce que dans ces hostilités, les camps opposés agissent selon un scenario qui ruse avec la crise et le désordre, en vertu de la considération que le résultat de tels affrontements est toujours déjà donné. Ainsi de la grève, des élections ou même de la guerre froide.
Mon Maître Georges Balandier, parlait à juste titre, « d’antagonismes organisateurs ». Un oxymore qu’il appliquait à la vie tumultueuse des sociétés « primitives » de l'aire culturelle bantu. Mais qui est attribuable, ce me semble, à nombre de situations politiques. De façon on ne peut plus confortable.
Le postulat de départ, c’est qu’un monde unipolaire, dépourvu d’antagonismes organisateurs, est un monde dangereux, exposé au chaos et à la violence.
Prenez le conflit entre l’URSS et « le monde libre ». Symbole de la guerre froide, la chute du mur de Berlin et la subite dislocation de l’empire soviétique, qui s’en est ensuivie, ont suscité nombre d’inquiétudes sur la paix et la sécurité dans un monde devenu soudainement unipolaire. Mais les cendres de l’empire soviétique étaient encore chaudes, qu’on dût se rendre à une évidence stupéfiante : l’OTAN n’avait plus de cible. Je veux dire de cible « naturelle » : de celle qui « nous » réconcilie, en nous identifiant sans ambiguïté comme des alliés, au moment même où "nous" la désignons comme l’ennemi. Dans un « antagonisme organisateur » qui écarte le chaos.
On peut l’appeler comme on veut : rogue states, axe du mal, terrorisme ou que sais-je encore, l’adoption, par tâtonnement, d’un nouvel ennemi à la mesure du vide laissé par l’effondrement de l’empire soviétique, peut être décodée comme une volonté de remplir une fonction qu’on aurait jamais dû laisser vacante. Ce ne sont là que précieuses remises à jour de la rhétorique de « l’empire du mal », qui a eu son heure de gloire.
A y regarder de près, on peut se demander si dans sa gouvernance actuelle, Macron n’a pas inventé une France unipolaire. En ratissant tous azimuts, il a créé un vide vertigineux dans le camp d’en face. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons : là n’est pas mon sujet.
Le fâcheux c’est qu’il est périlleux de réduire ses adversaires à la portion congrue.
Parce que ce qui était une force pour conquérir le pouvoir, peut vitement devenir un handicap, pour l'exercer.
Parce que les soutiens gagnés de toute part, dans les rangs de ses adversaires, brouillent durablement les frontières entre les groupes antagonistes, en les dépouillant de toute prétention à porter un projet cohérent ; et donc à proposer une alternative crédible au vécu quotidien du citoyen.
Parce que, foudroyées par l’effet Macron, toutes les familles politiques traditionnelles font désormais la paire : toute différence d’opinion ou de projet, est devenue dérisoire ; au point que dans ce brouhaha, le citoyen ne sait plus à qui confier sa cause.
Parce que, déstructuré, le champ politique devenu unipolaire, cesse de polariser et d’organiser les antagonismes sociaux.
« Dégagés », la gauche, la droite, les syndicats et les corps intermédiaires (ou ce qui en reste) sont à l’infirmerie, où ils pansent leurs plaies, en rêvant de se reconstruire un jour. Comment dès lors, éviter l’anomie et le face à face entre le président et « ses peuples » ? Entre ceux qui peinent à survivre et les autres ?
Et maintenant, serait-on tenté de dire ?
Fin des camps, chacun pour soi et sauve qui peut : c'est exactement le même programme. S’il était confirmé que la crise actuelle des #Gilets Jaunes est imputable à un défaut « d’antagonismes organisateurs », consécutif à un vide dans le camp de ses adversaires : à défaut de laisser prospérer un « camp du mal », Macron pourrait, parmi d'autres options, tenter de combler le vide qu’il a peut-être créé à l’insu de son plein gré. Pour sauver son quinquennat.
Ingénieur ETP / Porteur du projet scolaire ESC
6 ansMerci Pr (Hdr) Juste-Lié Boussienguet, c'est bien en disant "eux" que nous avons appris à dire "nous". Et ce que nous appelons "Culture" est simplement l'éternel effort des peuples, de conditionnement de la misanthropie, au sens industriel du terme. Par conséquent la civilisation est une chaise branlante, ce que nous rappelle la malheureuse période que nous traversons.