Grèves à la SNCF

Grèves à la SNCF

Les grèves, deux jours sur cinq, à l’initiative des quatre principales organisations syndicales de la SNCF sont pénalisantes pour l’entreprise et le pays. Elles sont l’occasion pour les clients de la SNCF de découvrir les services concurrents tels que l'autocar ou le covoiturage; ce qui est plutôt bien, sauf pour la SNCF.

En affaiblissant la SNCF, il n’est pas sûr que les cheminots fassent un bon calcul, ils prouvent, s’il était encore besoin, que la SNCF ne tourne pas rond et qu’elle doit évoluer. La grève est en France un droit sacré car elle a permis de mettre fin à des situations d’exploitation iniques dont l'injustice est aujourd’hui reconnue par tous. Les justifications de la grève actuelle sont toutefois discutables.

Les organisations syndicales combattent le retour au statut de société qui a été celui de la SNCF jusqu’en 1983. Or, il est frappant d’observer comment l’adoption du statut d’EPIC s’était accompagné d’une dégradation de la gestion de la SNCF. Le plus spectaculaire quand on examine les comptes (voir les rapports de l’EPFL accessibles en ligne) est l’arrêt brutal des investissements sur le réseau principal. Sur les voies et les ouvrages d’art, la SNCF a pu adopter après 1983 une politique court-termiste de report des investissements sans que cela se voit trop crument pendant vingt ans. Il est clair qu’une telle politique aurait été plus difficile à expliquer au véritable conseil d’administration d’une société. Le rapport de la Cour des Comptes de janvier 2017 sur “L’Etat actionnaire” explique bien le défaut de gouvernance des EPIC tels que la SNCF.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas clair en quoi le fait de devenir une société justifierait de faire grève et comment l’opinion devrait comprendre que la SNCF ait un statut à part de celui des autres entreprises de transport. Le public voit que les salariés de Transdev ne sont pas particulièrement mal traités et que cette entreprise, là où elle travaille, assure une meilleure continuité du service public. En outre, le projet de loi maintient la SNCF dans le domaine public, mais la grève est aussi fondé sur un procès d’intention, la volonté cachée d’aller ensuite  jusqu’à la privatisation.

La grève est aussi contre l’ouverture à la concurrence. Cependant, cette ouverture a été décidée en décembre 2016. La France avait approuvé le “quatrième paquet ferroviaire” qui avait acté la généralisation de cette ouverture déjà effective chez plusieurs de nos voisins. La CGT qui reste de loin la principale organisation syndicale à la SNCF explique que la France pourrait utiliser des possibilités juridiques laissées par les textes européens pour retarder la mise en concurrence. Les exemples étrangers montrent pourtant que la concurrence est bénéfique, y compris pour les salariés dont les salaires ont souvent augmenté. Parfois, la concurrence a permis de sauver des lignes vouées à la fermeture.

Comment le public pourrait il comprendre que l’on fasse grève contre le “droit commun” qu’est la concurrence ? Le public a vu comment la concurrence a favorisé le développement des télécoms et il ne serait pas prêt à perdre la possibilité de choisir entre plusieurs marchands de chaussures.

La CGT affirme que la concurrence nuira à la sécurité. Elle ne veut pas entendre que le rail anglais est depuis dix ans celui qui affiche les meilleures résultats européens en termes de sécurité. Le cas anglais souvent présenté comme la preuve de l’échec de la privatisation du ferroviaire est en réalité un grand succès. Seulement, après quarante ans de sous investissements de la gestion publique de British Rail, il a fallu vingt ans pour rétablir la situation. Le trafic ferroviaire outre-manche a doublé ce qui est la meilleure preuve que le service satisfait les usagers. Les tarifs sont plus élevés que chez nous mais c’est une décision publique de faire payer l’usager plutôt que le contribuable. L’État britannique a conservé la maîtrise des évolutions tarifaires.

La lecture des tracts syndicaux de la CGT et de Sud Rail nous montrent l’état d’esprit qui règne à la SNCF.  “Notre entreprise est dans le collimateur des tenants du libéralisme économique avec, en tête, le président des riches, ex banquier. (...) le service public est livré en pâture aux marchés financiers”.  “ c’est un holdup sur le bien public au profit des grands groupes privés”.

En réalité, les principaux groupes susceptibles d’entrer sur le marché s’appellent Keolis, Transdev, Arriva, Trainitalia. Ce sont principalement des groupes à capitaux publics. Sur le même ton et avec plus de pertinence, on pourrait parler de prise des usagers en otage ou de racket sur le contribuable par les conducteurs de trains. La rançon annuelle est de 14Md€, un chiffre certes difficiles à appréhender.

Ce qui est préoccupant c’est l'alignement des syndicats réformistes, l’UNSA et la CFDT, minoritaires mais en progression régulière dans les scrutins professionnels de la SNCF. Comme s’il n’y avait personne, au sein du personnel pour écouter un discours faisant la part des choses entre des évolutions nécessaires et le choix des modalités qui mériterait d’être fait dans la concertation.

Les media ont une grande responsabilité pour expliquer au public  les enjeux et les faits. Néanmoins, rares sont les journalistes qui ont le temps de se pencher sur le fond des sujets qu’ils relaient. L’information répond aussi à une logique économique et la tentation existe souvent de suivre l’opinion plutôt que de l’alimenter par des analyses de qualité.



Jean-Gabriel Audebert-Lasrochas

Senior Advisor Advocacy, Regulatory & Affaires publiques (FR & UE) | Ex Parlement européen

6 ans

Tous ne se valent pas ! Ca fait du bien de lire une analyse sérieuse et précise.

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