Il faut cultiver nos communs

Il faut cultiver nos communs

Ce que nous avons cru privatiser n’a en fait jamais été totalement privé. Il est toujours resté, sous la surface de nos parcelles, des liens d’interdépendance écologique et sociale.

Au cours de ces deux cents dernières années, la privatisation – superficielle – des ressources nous a permis d’augmenter de manière exponentielle leur extraction, leur rendement et leur exploitation. Cette intense activité économique a eu pour corollaire l’augmentation des connexions entre nous et plus généralement entre nos écosystèmes (échanges de marchandises, d’argent et d’informations).

De sorte, les décisions prises par les agents économiques influent sur un nombre croissant d’hommes, de femmes et d’équilibres écologiques parfois très éloignés des lieux de la décision initiale. La crise financière de 2008 en fut une illustration spectaculaire mais chaque jour des millions de décisions influent sur le devenir d’êtres vivants très éloignés des décisionnaires. Sans doute avez-vous appris par exemple que votre décision de choisir tel ou tel produit dans un rayon de supermarché français impacte les équilibres écologiques et sociaux en Indonésie. Peut-être avez-vous fait évoluer vos comportements d’achat suite à cette information, mais combien restent-ils de ces interconnexions dont vous n’avez même pas encore l’idée ? Des écosystèmes jadis isolés sont désormais connectés, des ressources immatérielles, comme nos connaissances, deviennent de nouveaux communs grâce aux technologies digitales et au développement d’applications comme Wikipédia.

Notre planète est en train de devenir une immense copropriété dont les parties communes sont en expansion et en empiétement croissants sur les parties privatives.  A cet instant je vous imagine en train de lever les yeux au ciel en vous remémorant la dernière AG de votre immeuble et la quantité d’énergie dépensée pour aligner une majorité de propriétaires sur des travaux… Une solution pourrait être d’isoler son appartement du reste de l’immeuble, en construisant un mur par exemple ou encore en votant systématiquement contre toutes les résolutions proposées en AG… Mais vous l’avez deviné, les liens déjà tissés ne s’effacent jamais, le réflexe identitaire ne nous sera d’aucune utilité.

Alors oui, cela ne fait plus aucun doute, quelques deux cents ans seulement après avoir appris à devenir propriétaires, nous allons devoir réapprendre à devenir copropriétaires.

Je dis « réapprendre » car la communauté fut notre principal mode d’administration et d’exploitation de nos ressources jusqu’à la première révolution industrielle et l’essor de notre capitalisme moderne. C’est donc le bon moment pour nous replonger dans ce que l’économiste Elinor Ostrom écrivait en 1990 puisque c’est grâce à elle que nous avons redécouvert qu’il existait des principes de bonne gestion des communs :

-         Délimiter clairement la ressource commune (matérielle ou immatérielle)

-         Etablir des règles d’exploitation de la ressource cohérente avec la nature de la ressource

-         Faire participer largement les utilisateurs de la ressource à l’établissement et à la modification de ces règles

-         Responsabiliser les surveillants de la ressource devant les utilisateurs de celle-ci

-         Graduer une échelle de sanctions d’abord faibles visant à rappeler aux transgresseurs le sens de la règle

-         Permettre un accès rapide à des instances locales de résolution des conflits

-         Reconnaitre l’existence et la légitimité de la communauté au niveau des instances supérieures (et laisser faire son fonctionnement autonome)

-         Organiser à plusieurs niveaux (central / local, pouvoir / contre-pouvoir) les activités d’appropriation, d’approvisionnement, de surveillance, de mise en application des règles, de résolution des conflits et de gouvernance

Alors que les corps intermédiaires traditionnels et les institutions politiques perdent en audience et en légitimité, c’est notre rôle, en tant que personnes physiques ou personnes morales (entreprises, associations, syndicats…) de nous connecter à d’autres copropriétaires pour gérer localement et en communauté des actifs que l’on sait être des communs dont personne ne pourrait prendre efficacement la responsabilité à un niveau individuel.

Voilà ce que pourrait être un premier pas sur le chemin de la responsabilité : cultiver ses jardins comme des communs et non comme des enclos.

Trenel Gilles

MEDIA CONSULTANT - COACH at Independent Consultant

5 ans

Le lieu commun: Chacun s'y retrouve et y retrouve les autres. Il est à tout le monde et il m'appartient, il appartient en moi à tout le monde, il est la présence de tout le monde en moi. (JP Sarthe) 

Jean-François Boisson

Directeur Opérationnel MHD - Formation | Fondateur de la SCIC Resiliences

5 ans

Merci Thibaut pour cet article et le point sur la naissance au Moyen Age de la propriété privée telle que nous la connaissons aujourd’hui. Chez Ouishare et Résiliences by Ouishare nous pensons que les organisations humaines sont d'autant plus résilientes qu'elles ont des pratiques coopératives et collaboratives. "Faire écosystème" ou "faire communauté" tout comme "partager le pouvoir" (pour de vrai !) sont des moyens extrêmement puissants de traverser les crises (de croissance quand tout va trop vite, de sens quand on perd le Nord, systémiques quand tout s'effondre, ...). Tout cela implique une forme de conversion qui doit nous amener individuellement à "prendre soin" des communs, exactement comme les serfs prenaient soin des bois/prés communaux il y a 600 ans.  On aura sans doute l'occasion d'en débattre au Campus de l’Innovation Manageriale de Institut de la Sociodynamique l’ESSEC en novembre prochain où j'aurai le plaisir d'intervenir aussi avec mon camarade Martin Werlen

Gilles Grange

Comme un miroir qui réfléchirait avant de renvoyer les images… j’accompagne les dirigeants (sparring-partnership) vers une performance améliorée particulièrement lors des périodes de transformations sensibles.

5 ans

Merci Thibaut de partager avec nous tes réflexions... la dialectique des bonheurs privés et du Bien Commun... est-il un sujet plus actuel et plus permanent ??? Comme le dit Jean Noël Felli, continuons à partager les enseignements de la sociodynamique pour améliorer notre niveau de réflexion que ces sujets essentiels ! Www.institutdelasociodynamique.com

Jean-Noël FELLI

President Balthazar, Senior Partner Colombus, Author "L'Entreprise Vraiment Responsable", Impact Startups investor, ESSEC Lecturer, Co-owner Galerie FELLI

5 ans

Merci pour ton article Thibaut. Interessant que tu cites Elinor Ostrom, 1ere femme à recevoir un Prix Nobel d’économie pour sa théorie des biens communs. Plutot que de considèrer les biens communs pour eux-mêmes, elle les definit dans leur relation avec les groupes sociaux qui ont en charge leur preservation, qui passe donc par la prise de conscience des interactions sociales. La principale leçon d’Elinor Ostrom est de cultiver les différences et les synergies. Une approche inspirante pour faire face aux defis societaux actuels. Hate que de partager cela lors du futur Campus de l’Innovation Manageriale de Institut de la Sociodynamique à l’ESSEC en novembre prochain...

Gilbert Alcalay

Co-fondateur et vice-président chez Institut de la Sociodynamique

5 ans

Oui Thibaut, une fois de plus tu vises juste. Après une phase d'industrialisation énorme et de d'exploitation / massacre des richesses naturelles et de notre environnement, nous sommes arrivés à une phase de sur-urbanisation galopante qui éloigne, monde artificiel, les communautés de notre mère nature. Et donne la part trop belle à des collectifs d'intérêts un peu trop privés et dénués de sens commun. Heureusement, des prises de conscience se multiplient, eĺles doivent trouver des débouchés dans les politiques (et les femmes et hommes) et leur financement publiques. "Virons de bord, ce sont nos possibilités de vivre sur terre qui se jouent" , un cri de désespoir de Fred Vargas !

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