Immigration, la bombe à fragmentation d'Emmanuel Macron

Immigration, la bombe à fragmentation d'Emmanuel Macron

Quelle drôle d’idée que celle d’Emmanuel Macron que d’inviter « l’Immigration » à la table des débats des problèmes des « Gilets Jaunes ».

Ceux-ci réclament du respect, du pouvoir d’achat, l’abrogation de taxes, de l’équité fiscale, la répression de l’optimisation fiscale. Ils se plaignent du dumping social avec la concurrence déloyale des travailleurs détachés européens, des délocalisations d’usines et de plateformes de services. Ont-ils exprimé quelques revendications sur les immigrès? Pas la moindre. Pourtant, le Président de la République impose « l’Immigration » comme un des cinq thème des débats citoyens du premier semestre 2019. 

Depuis le début du mouvement, l’extrême-droite travaille en vain les « Gilets Jaunes » pour les faire déraper sur les migrants. Elle a échoué sur le terrain, mais le Président vient de lui donner une victoire politique qui lui permet d’atteindre son objectif au-delà de toute espérance. Emmanuel Macron qui se posait il y a peu comme le premier rempart face au nationalisme en Europe, vient de faire le lit de la campagne européenne de l’extrême-droite française. 

Le RN de Marine Le Pen pèserait 30% du mouvement des « Gilets Jaunes ». Cela fait un pic par rapport aux intentions de vote pour l’ex-FN aux européennes (24%°), mais pas de quoi bouleverser l’échiquier politique français pour autant. C’est pourtant ce que vient de faire Emmanuel Macron. Comprenne qui pourra…

Il y a bien un lien entre l’immigration et les « Gilets Jaunes ». C’est le débat qui manque à l’appel. Celui qu’Emmanuel Macron aurait été mieux inspiré d’impulser. Le débat sur une mondialisation ultra-libérale totalement déshumanisée qui épuise les ressources de la planète pour enrichir encore plus une poignée de nantis. Voilà ce qui unit les « Gilets Jaunes » et les immigrés, clandestins ou pas. C’est ce qu’ils subissent en commun de la part d’un sytème qu’Emmanuel Macron ne s’est pas privé de dénoncer à maintes reprises. En même temps, il demande à son peuple de s’y adapter.

Quand le terme « Immigration » est balancé dans un débat où il n’a rien à faire, cela ne présage rien de bon.

De qui parle-t-on? De l’immigration légale dans le cadre du regroupement familial ou du travail, car la France a besoin des compétences d’étrangers? La première ne pose de problème et la seconde est nécessaire. Des étudiants, dont on clame qu’il nous faut en attirer plus dans nos écoles et universités ? Il faudrait savoir: ils sont un problème ou une solution? Ou tout simplement des migrants économiques clandestins? Mais alors, pourquoi ne pas le dire explicitement pour éviter toute confusion avec, par exemple, des français à la peau noire ou au nom pas très catholique? 

La confusion est voulue. Le flou de « l’Immigration » utilisé comme un terme générique permet d’englober dans l’imaginaire, et donc dans le débat, les français d’origine africaine et maghrébine. On glisse ainsi de « l’Immigration » à « l’Identité Nationale ». C’est ce débat que veut Emmanuel Macron. 

Difficile de ne pas faire la corrélation entre l’irruption soudaine de « l’Immigration » dans la bouche du Président de la République et ses échanges avec son prédécesseur, Nicolas Sarkozy. La démarche d’Emmanuel Macron va au-delà du calcul politicien pour reprendre la main sur les « Gilets Jaunes ».  En fait, l’irruption de « l’Immigration » traduit la vision que s’est forgé Emmanuel Macron du « français moyen » à travers les « Gilets Jaunes ». C’est celle du « Beauf » de Cabu, réac’, sexiste, raciste, homophobe, marié à son alter-ego féminin. 

Macron lui même est ambivalent en matière d’identité française. Dans la forte symbolique de son investiture présidentielle et d’autres gestes encore plus explicites, il s’inscrit de façon subliminale dans la lignée de « la France éternelle aux racines chrétiennes». En même temps, il se réfère aux Lumières et à la République. 

« La France éternelle aux racines chrétiennes », c’est la primauté de la « France Blanche ». Il y aurait des français « de première catégorie », car enracinés depuis plus longtemps dans l’Histoire du pays. C’est en totale contradiction avec un fondement de la République, l’Égalité. Être français, ce n’est pas une filiation, mais un concept fondé sur les valeurs universelles de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, valables pour tous, quelle que soit son origine. Ce débat voulu par le Président Macron lui permettra peut-être de préciser sa pensée en matière de laïcité. 

En amenant un conflit social et économique sur le terrain identitaire, le Président prend un gros risque. Rien de tel qu’interroger l’identité française pour réveiller les passions et donc les fractures. Cela va être un « crash-test » pour sa majorité. Pas sûr que le discours très « marketing politique » de la présidentielle sur « la France bienveillante et gagnante qui va moderniser le pays » qui sert de liant à la majorité, accouche d’une conception partagée de l’identité française et de la laïcité au sein de la majorité. 

Emmanuel Macron vient de balancer une bombe à fragmentation sur l’échiquier politique. Sa majorité n’en sortira pas indemne. Beaucoup de ses soutiens vont peu apprécier la méthode du bouc-émissaire, le cadeau à l’extrême-droite, la prise en otages des français descendants d’immigrés africains, la prise de risque que représente la thématique de l’identité française dans une société fracturée et en ébullition. 

« En Marche » risque de ne pas être seul à être secoué par un tel débat. À Gauche aussi, il y a une saine clarification à apporter sur la question du communautarisme qui gagne du terrain et de l’influence sur des forces de Gauche pourtant républicaines. Quand cette Gauche en vient à douter de la primauté de la République fondée sur les individus et non des communautés, elle est alors l’idiote utile des islamistes et d’une partie de l’extrême-gauche que l’on peut qualifier de peste rouge-brune, violente, fascisante et antisémite. 

Emmanuel Macron veut ouvrir la boîte de Pandore du débat sur l’identité française? Chiche! Disons notre France. Celle d’un vieux peuple, parmi les plus politisés et les plus métissés au monde, empreint de sagesse car façonné par une longue et violente Histoire, éduqué par sa mémoire et la colonne vertébrale de la République qui s’appelle l’Education Nationale. 

Un peuple épris de Liberté, qui mets donc l’individu et ses droits au centre de sa République. Un peuple épris de Justice, qui met donc l’Égalité sur le même pied que la Liberté. Un peuple qui sait qu’il n’y a pas de bonheur sans amour, que l’amour c’est le partage, l’entraide, et qui érige donc la Fraternité en pilier. Pourquoi avoir peur d’aller interroger sur son identité ce peuple ainsi façonné ? Les vrais démocrates, humanistes et républicains sont largement majoritaires dans notre beau pays. Qu’ils s’expriment pour recadrer un Président de la République dans une dangereuse dérive. On ne le dira jamais assez: quand le terme « Immigration » est balancé dans un débat où il n’a rien à faire, cela ne présage rien de bon.

Malik Lounès

Tribune publiée en « Une » du Huffington Post le mercredi 18 décembre.

Membre du Conseil National du Parti Socialiste

Rédacteur du blog de la Bise de Malik






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