Politique d'immigration et droit d'asile

Voici quelques réflexions inspirées de la pensée du philosophe Paul Ricoeur, que j'ai rédigées suite aux décisions inquiétantes pour la démocratie qui criminalisent le gouvernement fédéral, allié du Soudan d'Omar El-Béchir

Quelques petites réflexions suite aux arguments développés par le MR au sujet de la politique d’immigration « humaine et ferme » du gouvernement fédéral.

 L’argumentaire développé par Olivier Chastel, président du MR, et par le 1er ministre Charles Michel au sujet de la politique de leur parti concernant la politique d’asile, mérite un contre-feu pour mettre en évidence les non-dits de cette politique qui se veut « équilibrée » entre « la responsabilité et la solidarité entre les Etats membres » de l’Union européenne.

Pour le MR et le gouvernement fédéral, si la Belgique est une terre d’accueil, c’est « avant tout » un Etat de droit, avec des règles à respecter pour éviter « une jungle de Calais bis au cœur de Bruxelles ». Au nom du droit des nations à pratiquer un accueil sélectif des étrangers qui arrivent sur leur territoire, nos responsables politiques se réfèrent à la politique de leurs prédécesseurs ou à celle de leurs voisins européens pour montrer qu’ils agissent dans le respect des règles juridiques en vigueur, même au niveau international.

Oui mais … sommes-nous, nous Belges, uniquement déterminés par notre statut de « nationaux », tel qu’il est spécifié sur notre carte d’identité ? Ou bien ne faut-il pas que nous prenions conscience que nous sommes aussi chacun différent des autres (des Français, des Allemands, des Anglais, etc.) et donc que nous sommes tous des étrangers les uns par rapport aux autres ?

 

Je voudrais modestement introduire quelques réflexions au départ notamment d’un texte intitulé « La condition d’étranger », que le philosophe Paul Ricœur a publié peu avant sa mort en 2005 dans la revue Esprit, à la demande de feu Stéphane Hessel.    

Ricœur parcourait trois situations vécues par l’étranger : le visiteur « de plein gré », le travailleur immigré – ils sont arrivés dans notre pays par vagues successives pour répondre à la demande de main d’œuvre dans des postes de travail généralement pénibles, pour lesquels la population belge était manquante – et le réfugié, qui a fui son pays pour demander l’asile dans le nôtre. Les autorités nationales estiment dans ce cas que les « bons » demandeurs d’asile doivent être distingués des réfugiés « économiques ».

L’octroi du droit d’asile aux réfugiés est en effet circonscrit par les autorités d’accueil. En l’occurrence, les autorités belges peuvent estimer que tout le Soudan n’est pas en situation de conflit, mais seulement « certaines régions bien définies », même si son président actuel, Omar El-Béchir, est mis en accusation par la Cour pénale internationale pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis durant la guerre du Darfour. Cette attitude du gouvernement belge, comme celle de la plupart des autres pays européens actuellement, vise davantage à éloigner le plus grand nombre de demandeurs d’asile, à les tenir à bonne distance des frontières occidentales, qu’à les protéger des causes de leur exil.

Pourtant, des citoyens ordinaires acceptent d’héberger chez eux des migrants – quelle que soit leur origine ou leur destination, au nom d’autres valeurs que celles visant à défendre l’appartenance à notre communauté nationale. Ces valeurs reposent sur la conviction que nous sommes les héritiers d’une histoire où beaucoup de nos parents ou grands-parents ont dû fuir notre pays occupé par la puissance nazie, qui a commis le crime suprême d’assassiner massivement tous ceux qui leur paraissaient « étrangers » à leur mythe du « bon citoyen ». En outre, si l’on se penche sur notre histoire avant l’existence de la Belgique en tant que nation indépendante en 1830, on se souviendra que notre territoire a été occupé par les Autrichiens, les Espagnols, les Français, les Hollandais – nous sommes donc les descendants métissés de très nombreux migrants.

De manière générale, nous nous efforçons pourtant de défendre surtout notre identité d’appartenance et nous nous sentons menacés par l’existence des autres. Mais cette identité est fragile pour au moins trois raisons, explique Ricœur :

·      Il nous est difficile de maintenir notre cohérence identitaire à travers les changements que nous vivons au cours de notre existence individuelle, qu’il s’agisse de changements de situation, d’expérience, d’action, de territoire, de souffrance.

·      Nous cherchons toujours à adhérer sans distance à nous-même – et pourtant il nous suffit de voyager dans un autre pays que le nôtre, où on parle une langue qui nous est « étrangère », pour mesurer combien nous pouvons être l’étranger de l’autre.

·      A la base de notre identité collective, il y a la violence fondatrice des Etats, à laquelle peu d’Etats et de cultures ont échappé. Nos nations se sont édifiées pour la plupart sur les conquêtes des « civilisations » sur les « barbares ».

Pour ces raisons, l’autre est perçu fondamentalement comme une menace, par rapport à la cohérence dans le temps (« c’était mieux avant »), à l’échec de l’adhésion de soi à soi-même (dans une multitude de situations, je peux être perçu comme différent des autres, étranger aux autres et à moi-même) et au refoulement du fonds de violence originelle (qui empêche par exemple de faire le deuil du passé colonisateur de nos parents et grands-parents envers le Congo, le Rwanda et le Burundi ; ou de la collaboration avec l’ennemi durant la 2e guerre mondiale).

 

Tout ceci, nous dit Ricœur, « montre que la xénophobie est naturelle et spontanée. Il faut l’admettre. Les passions identitaires sont profondément enracinées en nous. ». L’important n’est donc pas de refouler ce sentiment mauvais, mais de le combattre. Comment ?

En imaginant, par exemple, que nous aurions pu naître dans un autre lieu, dans une autre époque que la nôtre. Personne, en effet, n’a « originairement le droit de se trouver à un endroit de la terre plutôt qu’à un autre ». Le résultat, c’est notre sentiment d’appartenir à une commune humanité : l’autre est mon semblable, je suis le semblable de l’autre. C’est ce sentiment d’habiter ensemble la même terre qui enracine moralement l’hospitalité. 

Comment dès lors faire reconnaître le droit à l’hospitalité - à savoir ne pas être considéré comme une menace sur le territoire d’autrui, ne pas y être traité en ennemi ?

Il faudrait pour cela que nos responsables politiques entendent la voix des citoyens qui prennent le risque d’accueillir les migrants et vivent une extraordinaire expérience de rencontre, préfigurant la situation de demain. Car, ne nous voilons pas la face, demain ce seront des millions de réfugiés climatiques qui devront quitter leurs territoires menacés par la montée des eaux ou par la désertification de leurs terres cultivables. C’est à cette menace du réchauffement de la planète que nous serons bientôt TOUS confrontés si des mesures d’urgence ne sont pas prises pour limiter les émissions de CO2.

Nos responsables élus  doivent absolument s’atteler à cette politique courageuse – certes, impopulaire aux yeux de ceux qui veulent se protéger des menaces du monde extérieur et se réfugient dans des votes pour les partis populistes. Sinon, nos enfants leur reprocheront d’avoir adopté la politique du pire et d’avoir lâchement privilégié les problèmes de court terme plutôt que de susciter l’espoir dans un avenir commun à toute l’humanité.  

 

Jean-Marie Pierlot, 6/1/2018.

 

 

 

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets