IMMOBILIER. Vers quel marché allons-nous ?

677 027 annonces de biens immobiliers à vendre à date sur Seloger rien que pour la France Métropolitaine, et ce n’est pas un poisson d’avril !

730 548 offres sur le trop célèbre site LeBoncoin, uniquement pour les propositions de ventes immobilières. Probablement autant sur Bien'Ici, Meilleurs Agents, Logic-immo, et ce, malgré le fait que tous les « professionnels » ne diffusent pas sur l’ensemble de ces canaux.

Certes il y a des doublons : le même bien proposé par plusieurs agences, ou des particuliers. Assurément, il y a des « faux vendeurs », et des opportunistes qui feront retirer demain les publicités des maisons et des appartements à l’offre, s’ils ne trouvent pas preneur au prix fort. Mais quand même… Quand même ! Chers confrères et consœurs, chers amis !? Ne sentez vous pas qu’il se passe quelque chose en ce moment sur le marché immobilier français… ? Justement parce qu’il ne s’y passe rien… ?

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? ♫

Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne ?

Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme

Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes[1]

Vous connaissez le roman Le Désert des Tartares de Dino Buzzati ? Paru en 1940, ce récit raconte l’histoire du lieutenant Giovanni Drogo. Heureux d'échapper à la monotonie de son académie militaire, notre héros apprend avec joie son affectation au fort Bastiani, une citadelle sombre et silencieuse, gardienne inutile d'une frontière morte. Au-delà de ses murailles, s'étend un désert de pierres et de terres desséchées, le désert des Tartares. À quoi sert donc cette garnison immobile aux aguets d'un ennemi qui ne se montre jamais ? Les Tartares attaqueront ils un jour ? Drogo s'installe alors dans une attente… Et l’attente dure…Trente ans ! Il ne se passe absolument rien dans ce roman. C’est là toute sa beauté car il s’agit d’une allégorie philosophique et spirituelle du sens de la vie.

Voilà en résumé, à gros traits évidemment, ce qui se passe actuellement dans les agences immobilières, toutes marques confondues.

IL NE SE PASSE RIEN !

Enfin si. On prend des mandats, en général trop chers, car les vendeurs ne sont pas encore près à entendre un discours de vérité. On répond aux demandes des acquéreurs actuels, on passe notre temps à faire des avenants de baisses de prix. On modifie nos annonces, nos vitrines, nos documents juridiques. On relance nos clients, on visite, on rappelle, bref, on brasse de l’air. Les acquéreurs tentent même de renégocier des prix entre les compromis et les actes ! Du jamais vu de mémoire de professionnels de l'immobilier ! On a parfois l’impression d’être des ventilateurs géants, tellement on brasse du vent. Et ça, ce n’est pas de la littérature.

Les notaires de la place réfléchissent à mettre leur personnel au chômage partiel… Les banques refusent d’accorder des prêts immobiliers parce qu’elles perdent de l’argent à le faire…Beaucoup de courtiers tirent le rideau, car les accords bancaires sont rompus. Les diagnostiqueurs sont harcelés par des vendeurs indélicats qui tentent de faire modifier contre un billet leur lettre d’affichage de diagnostic énergétique[2], parce que celle-ci impacte fortement le prix de leur bien. Les promoteurs ont le moral en berne, car au-delà de la complexité inouïe de leur métier aujourd’hui, la confiance des acquéreurs n’est plus au rendez-vous.

« Ce n’est pas un problème de prix, c’est un problème de confiance dans l’économie » m’a confié un promoteur de renom cette semaine. Bref, c’est l’ensemble d’un secteur de métiers qui est en alerte, aux aguets d’un signal des autorités, ou d’une fumée blanche qui annoncerait la nomination du Saint Sauveur sur Terre…

ABEMUS PAPAM ?

Mais dans cette brume épaisse et opaque que nous traversons, aucun signe des autorités, dîtes compétentes. Les équipages sautent des bateaux. On enrôle des anciens légionnaires et des sergents instructeurs, pour faire signer dans les tavernes du port, des contrats d’enrôlements aux bleus. Les capitaines se font rassurants, parce qu’ils sont dans leur rôle, mais tremblent à l’idée que les vivres commencent à manquer. Les galériens rament dans l’espoir de toucher la terre. Mais aucun phare à l’horizon. Des signaux de détresses lancés ici et là. Des carcasses de navires d’armadas en lambeaux. Des réseaux entiers aux abois. Des mandataires en PLS[3], en veux tu en voilà. Des pirates et des charognards par milliers qui guettent les mouettes, les sardines et les thons. Enfin ? Quelque chose à se mettre sous la dent, pendant qu’il en reste, avant que le scorbut n’emporte ces baux sourires plein de chicots qui rayent encore le parquet. Les dauphins, les baleines et les cachalots continuent d’entretenir le mirage collectif. On rêve de vendre des Châteaux en Espagne et des immeubles en bloc… Et l’on entend au loin, des sirènes par milliers, qui chantent des prix qui n’existent plus… Certains distribuent encore des estimations d’un autre temps, qui sont de la flute enchantée aux oreilles des moussaillons sans barbes, qui se tiennent encore bien droits sur le pont. Mais la réalité est toute autre Camarades !

ICEBERG EN VUE !

Une monté brutale des taux, annoncée non pas depuis Rome, mais depuis Bruxelles. De fumée blanche, il n’y aura point. C’est à l’orthodoxie budgétaire qu’on en appelle. Et peu importe le risque de schismes. Face à cela un seul mot d’ordre. Baisser le pavillon, sortir les rames et changer de direction, pendant qu’il en est encore temps. Sans quoi, nous allons taper bien fort moussaillons. Et nous lirons demain dans la presse, les chroniques accusatrices de journalistes aguerries, qui exigerons des comptes pour savoir pourquoi, personne n’a tiré le signal d’alarme, quand bien même tous les indicateurs de navigation nous invitaient à la prudence. Pourquoi nous n’avons pas changé de cap, quand bien même nous savions que nous allions heurter la banquise… ?

Catastrophiste me direz vous ? Alarmiste pensez-vous ? Réaliste et prudent vous dis-je ! Je ne pense pas me faire Cassandre, lorsque tous mes outils d’analyses de marchés me disent que nous allons droit vers une catastrophe industrielle d’envergure. Matelots ! Nos cartes, nos boussoles et nos compas ne mentent pas ! Le gardien du phare, lui, nous a trahi depuis longtemps, et nous laisse avancer dans la nuit.

« Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s'est mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat […] Quoi qu'il arrive, la Flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas[4] ».

Alors que faire ? Amis, compagnons, camarades de professions cousines, agents immobiliers, en herbes, confirmés ou en devenir. Tenez bon ! Oui, nous serons moins nombreux après l'été. Oui, tous et toutes ne traverserons pas cette énième crise. Et vous savez quoi ? Tant mieux ! Mieux vaut de bons pêcheurs qui respectent leur environnement, que des chalutiers russes qui abîment les fonds en raclant les profondeurs, et entachent, encore un peu plus l’image de notre si beau métier.

C’EST LA CRISE ! Et alors ?  

Mais n’en n’avons-nous pas vu d’autres ? N’est-on pas nés avec ? Ne sommes nous pas les enfants de la crise ? La crise, je la connais, je la respire, je la ressens. Vous savez quoi ? Nous nous adapterons. Pour les plus téméraires et les plus acharnés d’entre nous. Les prix finiront par baisser, le marché immobilier se réajustera, et chaque vendeur tirera les conclusions de ses errements, lorsque le poids de sa plume signera enfin le compromis, à la fois tant redouté, et tant espéré. Les ventes dîtes contraintes[5] finiront par se faire, tôt ou tard.

L’histoire oubliera bien vite cette crise, et nous serons collectivement demain, une inflexion, une correction de marché sur une courbe de statisticiens du futur, en mal de données. Une variable, un ajustement.

Mais ni vous, ni moi, ne devons pour autant abandonner un métier, une passion, un art de vivre. Parce que si vous avez pris la peine de lire cette tribune jusqu’au bout, cet appel à la résistance, c’est que vous êtes une personne passionnée, et que vous le resterez.

Et vous ferez sans doute partie à l’avenir, des acteurs, des actrices et des vedettes de ces métiers, qui composeront les récits de nos aventures et dessineront les paysages de nos voyages de demain.

Fabien HAUBRY.

Lyon, le 02 avril 2023.

[1] Le chant des Partisans. Extrait.

[2] Le nouveau DPE, en place depuis le 1er juillet 2021 impacte fortement les prises de décisions, concernant l’achat ou la vente d’un bien immobilier.

[3] Position Latérale de Sécurité. En dépression quoi…

[4] Extrait du discours du Général de Gaulle : l’appel du 18 juin 1940.

[5] Divorces, successions, mutations professionnelles etc…

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