Incertitude et Stratégie
Oui, face à l’incertitude, la stratégie est nécessaire.
Je réponds OUI et encore OUI à la question que pose Philippe Silberzahn dans son podcast : « Face à l’incertitude : est-ce d’une stratégie dont votre organisation a besoin ? ».
Ce blog évoque dans son argumentaire l’importance d’attendre la prochaine vague « the next big thing ». L’image de la prochaine vague est effectivement au cœur de la stratégie, mais il n’y a là rien d’attentiste dans la posture et la mission du stratège. Bien au contraire. Sur la base des éléments évoqués dan ce blog je me permets d'apporter les commentaires suivants:
1) Le Visionnaire y est décrit (nous divergeons décidément irrémédiablement sur cette notion de Vision) comme l’entrepreneur qui veut, par sa toute puissance, donner réalité à cette vision.
Effectivement le stratège se doit de voir non le sommet comme il le ferait selon ce blog mais l’ensemble pour mieux identifier la ou les vagues qui se forment.
Ce n’est effectivement pas le stratège qui crée la vague, par contre, « qui opère en stratège » pour reprendre cette belle formule d’Yves Richez (voir ses 3 interviews accordées à RéSolutions hebdo) veille (par un "regard profond, large et de bas en haut") et décèle la ou les vagues qui sont en train de se former. Tenant compte de cette vague qui se forme ou qui potentiellement peut se former, « qui opère en stratège » fera tout pour placer l’entreprise de manière à prendre la vague à l’exemple du surfer expérimenté et à en tirer le meilleur parti.
2) L’auteur décrit l’esprit soit disant cartésien qui entacherait « la stratégie des cartésiens en costume ». Je me bats contre cette caricature trop souvent faite de l’esprit cartésien. C’est oublier que Descartes a écrit son « Discours de la méthode » pour expliquer et justifier tout son travail sur « la lumière » et la vision de la réalité éclairée par ce qu’il appelle « la lumière naturelle » : la pensée.
Le discours de la méthode est ainsi l’introduction de son traité « De la Dioptrique" qui comporte trois discours : 1 - la lumière, 2 - la réfraction, 3 - l’œil. Cessons de caricaturer Descartes. Nous lui devons, entre autres par ces travaux sur la lumière, une nouvelle vision du monde, en rupture totale avec celle des scolastiques qui prévalait avant lui.
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3) Oui il est important de s’intéresser à – je cite – « ce que par défaut nous appelons opérationnel mais qui au fond correspond à la vie de l’organisation : la capacité de l’organisation à persévérer et à se développer dans son être qui devrait être le premier objet de la stratégie ». Nous sommes bien d’accord mais c’est là définir l’objet de la stratégie et non la stratégie elle-même.
4) Il est très étonnant de mettre en question le besoin d’une réflexion stratégique, face à l’incertitude et d’affirmer que subitement nous sommes dans un monde de plus en plus incertain.
Face au certain pas besoin de stratèges, mais de statisticiens et de prévisionnistes. Il n’est besoin de stratège que lorsque l’on ne voit pas "ce qui se passe derrière la colline" (selon une libre interprétation que je fais de SunTzu dans l’art de la guerre). En effet dès que l’ennemi est en vue et qu’on le voit manœuvrer l’on opère en tacticien. La stratégie est intimement liée à l’incertitude et son éclaireur est la prospective.
5) L’incertitude ne renvoie pas à devoir se renfermer dans la caserne et ne s’intéresser qu’à l’intendance et au fourbissement de l'équipement. Cette intendance est fondamentale pour le bon fonctionnement de la manœuvre mais ne fait en rien la stratégie. Ce n’est pas son rôle et encore moins sa mission. L’incertitude renvoie au contraire à plus de prospective pour imaginer ce qui potentiellement peut se passer l’autre côté de la colline.
6) Soyons clairs sur le sens des mots et employons les pour ce qu'ils signifient. Attention, à force de mélanger toutes les notions (Opérationnel, Stratégique, Vision, …) et à les décrier alors même que l’on n’utilise pas ces termes dans leur signification propre …. on risque fort de dérouter les troupes !!!
Je plains l’apprenti entrepreneur qui écouterait ce blog dans l’espoir de savoir comment aborder sa dure mission d’entrepreneur confronté qu'il est par définition à l'incertitude de sa réussite. Je ne suis pas sûr qu’il serait armé pour faire face à l’incertitude qui de tout temps est le propre du futur qui est face à nous. Et j'ai des craintes pour lui au moment où, ainsi(dés)armé, il va oser sortir de sa tranchée !
Note importante : je tiens à remercier, comme je le fais toujours et en dépit de nos différences de point de vue, Philippe Silberzahn pour ses nombreuses et bien souvent pertinents travaux. Je le remercie en toute franchise et sans fausse barbe de l’occasion qu’il me permet en commentant ses écrits de débattre ainsi et de préciser ma propre réflexion. Un grand et très sincère merci à lui.