Ingénieures confinées en télétravail et gestion de la vie familiale ...

Ingénieures confinées en télétravail et gestion de la vie familiale ...

C’est par ce que nous avons la conviction que l’égalité réelle est source de richesse, qu’au sein de l’association Femmes Ingénieurs, nous valorisons les ingénieures pour inspirer notre société.

En accord avec nos valeurs d’audace, ouverture, respect, équilibre et indépendance, nous nous donnons comme missions d’obtenir ensemble la mixité et l’égalité dans les faits, de promouvoir les métiers d’ingénieur auprès des filles et des femmes dans le monde de l’éducation, de rendre les ingénieurEs plus visibles dans l’entreprise et la société, et de rayonner pour développer la collaboration.

Si le confinement lié à la crise sanitaire de la COVID19 a suspendu les échanges en face à face, nous nous sommes retrouvées en visioconférences pour partager notre expérience du confinement, échanger nos idées et apprendre les unes des autres.

Alors que nous abordons une période de couvre-feu pour bon nombre d'entre-nous et un recours au télétravail plus important, ils nous semblé que ce partage avait plus que jamais du sens !

Le confinement et le télétravail ont remis en question notre gestion de la vie familiale : Comment continuer à faire entrer de façon plus concrète une partie des obligations familiales dans la vie professionnelle des hommes et des femmes avec une mise en place plus systématique du télétravail et des impératifs liés aux enfants ou aux parents âgés ?

Quel impact sur notre manière de travailler ?


Parmi nos contributrices :

Danièle, en famille recomposée et multiraciale de 5 enfants majeurs, vivant en appartement avec son conjoint dans le 9.3, retraitée et CEO de la société de conseil internationale DHK-SIP, qu’elle a créée. Elle est passée en télétravail à 100%, mais avait  déjà son bureau au sein de son domicile.

Gemma, vivant en famille homoparentale avec une conjointe écrivaine et 2 enfants en bas âge, dans un appartement avec un jardin dans le 94. Elle est Directrice des Opérations pour un éditeur de logiciel, en télétravail à 100% de son temps pendant le confinement. Son entreprise était bien préparée et le télétravail s’est plutôt bien passé.

Jeanne, vivant avec un mari retraité, et un enfant élève en école d’ingénieur, dans une maison avec jardin en banlieue parisienne. Du fait du périmètre mondial de son poste dans l’industrie, elle a télétravaillé à 100% de son temps, sans que cela change très significativement l’organisation de son travail.

Samia, vivant en famille avec son conjoint et 3 enfants adolescents, en maison avec jardin dans la banlieue parisienne, Directrice de programme pour un grand groupe industriel international, en télétravail ainsi que son conjoint à 100% de son temps pendant le confinement. Elle avait déjà l’habitude du télétravail.

Valentine, en famille avec son conjoint et 3 enfants de 9 à 13 ans, ayant vécu le confinement en maison avec jardin dans la banlieue parisienne. Dirigeante de TPE depuis 20 ans dans deux activités durement touchées par le confinement (formation présentielle et édition jeunesse), elle a travaillé néanmoins à plein temps pour ajuster, anticiper et rebondir au sortir du confinement.

Isabelle, vivant avec son conjoint, ayant à eux deux 5 grands enfants en garde alternée. Pendant le confinement, son fils étudiant ingénieur était présent avec le couple à temps plein, sa belle-fille lycéenne en garde alternée à 50%. Ils suivaient leurs cours via internet. Membre du COMEX d’une société industrielle, elle était en télétravail à « 150% » avec de grosses difficultés opérationnelles. Isabelle est habituée au télétravail qu’elle pratique en particulier lorsqu’elle est en voyage.

Fanny, Responsable technique de clientèle dans une grande entreprise industrielle, vivant avec son conjoint en province dans un appartement d'une petite copropriété avec accès possible au jardin, deux enfants dont une lycéenne qui suivait ses cours en classe virtuelle et un étudiant en Erasmus en Finlande qui y est resté. Elle était en activité réduite à 50%, en télétravail. Son conjoint était en création d'entreprise, création finalisée début juin.

Alice, vivant en famille avec son conjoint et leurs enfants en banlieue proche de Paris avec un jardin partagé. Travaillant dans une entreprise industrielle, elle était à 100% en télétravail pendant le confinement avec une grosse charge de travail.

Véronique, vivant seule sans enfant, dans un appartement avec Balcon à Paris, menant en parallèle une formation (Mastère poursuivi à distance) et les activités de son cabinet de conseil (dans un secteur quasi à l'arrêt total durant les 3 mois du confinement). 100% en télétravail. Elle avait l’habitude du télétravail au sein de son précédent emploi.

Corinne, vivant en famille en maison avec jardin en banlieue parisienne. Elle et son conjoint ont pu télétravailler à 100%. Ses 2 enfants étudiants ont suivi les (quelques) cours en classe virtuelle et travaillé en projets avec leurs camarades. Malade du Covid avant le confinement, elle a été confinée plus longtemps. Elle est en charge de transfert technologique au sein d’une grande structure de recherche publique, qui n’était pas habituée au télétravail. Elle s’y est adaptée sans problème.

Marie travaille à la Direction des Achats d’un grand groupe, sur un poste à responsabilités internationales. Pendant le confinement, elle est passée de 50% à 100% de télétravail. Elle a vécu le confinement avec sa famille, dans une grande métropole de province, en appartement avec terrasse et accès à un jardin. L’atmosphère était studieuse, en particulier avec un fils, jeune adulte en classes préparatoires (spé) d’écoles d’ingénieurs, en enseignement à distance.

Farah a un poste de Direction commerciale au sein d’une entreprise industrielle. Elle a commencé le confinement 100% en télétravail, puis est passée à 50% en chômage partiel, pour réduire les couts opérationnels. C’était compliqué car il y avait du travail.

Carine est consultante dans l’industrie aéronautique et automobile, depuis plus d’une dizaine d’années. Pendant le confinement, elle a travaillé en télétravail à 100%. Progressivement les activités ont été réduites à 20%, pour finir en chômage partiel en Juin 2020.

Fabienne, seule avec ses deux enfants à temps plein en appartement avec balcon en proche banlieue parisienne, son activité d’expertise en France et à l’international permettant le télétravail à 100% durant le confinement. Le confinement a été l’opportunité d’une première expérience du télétravail sur une longue durée, compliquée par la double activité professionnelle et domestique.

Une enquête de l’association Bouge ta boite, réalisée pendant le confinement a montré que les femmes n’arrivaient pas à télétravailler, avec les enfants à la maison. Les femmes ayant une entreprise unipersonnelle étaient plus en difficulté. La grande difficulté est liée à l’arbitrage entre celui ou celle, qui télétravaille, pour celles qui sont en couple. Les femmes n’apportent pas toujours le salaire le plus important, et donc le couple ne donne pas la priorité à celle-ci pour pouvoir télétravailler dans de bonnes conditions.

En effet, nous avons toutes constaté que nous nous trouvions mentalement face à une double contrainte. Nous étions toujours dans une posture professionnelle, avec des objectifs, enjeux et attentes, qui sont restés identiques. Mais notre mode de fonctionnement,  celui de nos interlocuteurs et de nos équipes, ont été profondément modifié du fait du télétravail, ce qui nous a demandé de nous adapter rapidement. Et pourtant nous étions en même temps « à la maison », un peu comme si le télétravail n’était pas un « vrai travail » et que l’on pouvait faire plus.

Jeanne a, en particulier, été surprise et décontenancée d’entendre en permanence une petite musique, qui sous-entendait qu’en télétravaillant, nous aurions du temps libre à occuper et que nous pourrions nous ennuyer, alors que pour elle, son équipe et tous ses collègues, la charge de travail était au mieux la même, mais souvent plus intense ! Une étude du ministère du Travail publiée fin avril, a mis en évidence qu’à fin mars, "un quart des salariés (français) travaillaient sur site, un quart était en chômage partiel, un quart en télétravail", le dernier quart "étant soit en congés, maladie ou garde d’enfants". Du fait qu’une partie des Françaises et des Français se soit retrouvée sans activité professionnelle, les media et les réseaux sociaux nous ont surchargé.e.s de messages et de propositions, créant potentiellement du stress en plus.

Concrètement, nous avons eu à gérer des contraintes d’horaires pour faire coïncider les horaires de toute la famille, notamment pour les repas.  Il nous a semblé naturel que la famille se retrouve ensemble pour les repas, un peu comme pendant les vacances et les weekends, alors que dans le fonctionnement de travail habituel, chaque membre de la famille mange sur son lieu de travail ou d’étude. Par ailleurs la charge de préparation des repas est devenue matériellement plus lourde.

En ne limitant pas les contraintes, nous avons perdu du temps pour nous et donné plus de temps à la famille :

·      Dans un contexte ne permettant plus l’accès aux aides habituelles apportées par les services à domicile (ménage, jardinage, aide aux devoir, baby-sitter, pet-sitter, etc …) Certaines témoignent même avoir accordé plus de temps aux taches domestiques, un peu comme si elles s’étaient mises dans une posture de femme au foyer. Cette surcharge liée aux tâches ménagères plus lourdes a parfois été source de conflit.

·      Même Isabelle, dont le conjoint, sans emploi actuellement, a géré l'ensemble des courses, de la logistique, du ménage pour toute la famille et a donc spontanément pris beaucoup de choses en charge, a eu le sentiment qu’il avait besoin d’être guidé. « Il a aidé », ce qui n’a pas déchargé Isabelle de la charge mentale.

·      Celles qui ont vécu le chômage partiel, ont utilisé ce temps dégagé pour le collectif et pas pour elles, du fait d’un sentiment de culpabilité.

·      Les taches personnelles (prendre un rendez-vous, régler un problème administratif personnel, ou passer un appel téléphonique personnel) que nous gérions sans culpabilité pendant notre journée de travail, nous les avons plutôt déplacées sur la pause déjeuner, hors temps de travail.

·      Nous avons quasiment supprimé les pauses-café et rendu notre temps de travail plus dense.

·      « J’ai l’impression de travailler en « open space », alors qu’avant je n’étais pas dérangée. Et en même temps, je suis la plaque tournante de la maison et je ne suis pas prête à lâcher. », nous dit Valentine.

·      Les contraintes de temps n’étaient donc pas les mêmes mais elles étaient bien là.


Les relations au sein de la famille ont été modifiées :

·      La promiscuité que nous avons vécue était supérieure à celle que l’on aurait en vacances ou en weekend : puisque parents et enfants avaient moins de vie sociale autonome.

·      Nos enfants ont mieux compris la réalité du travail, en voyant les parents en télé et visioconférence.

·      Ce temps de confinement nous a également apporté l’opportunité de partager avec nos enfants et de montrer des « choses du domestique » : pour les filles comme pour les garçons. La transmission, le transfert de connaissances s’est fait avec les pères comme avec les mères.

·      Les familles se sont rapprochées. Les grands enfants, étudiants ou jeunes travailleurs ou travailleuses sont revenus à la maison, quand c’était possible. Celles qui n’avaient pas leurs enfants à la maison, ont à l’inverse eu le sentiment que ceux-ci étaient très éloignés. Nous avons qualifié ce sentiment d’effet « poche de kangorou » : face à la crise sanitaire, toute la famille se met à l’abris dans la poche maternelle du kangourou. D’où un renforcement du rôle de femme au foyer et de lien, que l’on a envie de vivre et de ne pas perdre, même si certains pères ont potentiellement aussi des « poches kangourou ».

·      Certains de nos conjoints et conjointes étaient content.e.s de pouvoir « confiner » un peu leur partenaire. Il y a eu un peu plus de temps consacré au couple.

·      Certains adolescent.e.s sont confiné.e.s dans leur chambre, ce qui est malsain. Il y a moins eu de confrontations pendant le confinement, or elles sont importantes pour construire les adolescent.e.s. Certaines ont mis en place des roulements sur certaines tâches ménagères.


Les relations et interactions au travail ont également été modifiées :

·      Le travail est rentré à la maison et la maison est rentré au travail. Pour certaines, cela a amené à plus d’empathie, même pour celles qui travaillaient déjà à distance avec leurs équipes. En acceptant de parler davantage de nos vies personnelles, nous avons constaté que nos équipes parlaient également de leur propre vie. Inversement certaines ont eu l’impression que la situation mettait plus de distance entre les personnes. Danièle souligne « l’intrusion de la vie professionnelle dans la vie personnelle, du fait du télétravail, alors que préalablement il y avait scission marquée. C’est un changement d’organisation notable ! »

·      « Les collègues nous manquent. Ils en seraient étonnés ! », nous dit Fanny. Peut-être pas tant que ça, s’ils partagent le même sentiment !

Nous avons relevé des éléments positifs, qui peuvent s’avérer des bonnes pratiques, à conserver :

·      Même pour celles qui passent habituellement beaucoup de temps devant leur ordinateur, le confinement a supprimé les temps de pauses ou d’échanges informels, nous donnant l’impression d’être « collées » à notre ordinateur. Nous avons donc ressenti le besoin de loisirs en dehors de l’ordinateur : lecture, télévision ou autre.

·      Le confinement a supprimé les déplacements « passifs », nous avons ressenti des difficultés pour bouger : Nombre d’entre nous ont de ce fait pris un peu de temps tout de même pour faire un peu de sport, ou marcher. C’est quelque chose que nous ne faisions pas quand nous étions en télétravail occasionnel et que nous souhaiterions garder post-confinement.

·      De la même manière celles qui ont un jardin l’ont davantage utilisé.

·      Le confinement limitant les transports en commun, nous libéré du temps le matin.

·      Corollaire positif des contraintes évoquées au sujet des repas, le déjeuner est devenu une vraie coupure, même quand elle était rapide : On se parle plus, les adultes partageant plus facilement leurs sujets professionnels entre adultes et avec les enfants et les enfants eux-mêmes parlant de leurs études. La perméabilité entre le travail et la maison est devenu plus grande. Nous avons moins entendu « arrête de parler boulot » ; le travail des enfants a ainsi été mis à la même hauteur que celui des adultes. En parlant de notre journée, nous avons encouragé les enfants à parler de la leur.




Parce que notre ADN d‘ ingénieures est d’apprendre des expériences pour améliorer le monde, suite à tous ces constats et ces partages d’expérience , Nous souhaiterions partager quelques recommandations en conclusion :

·      Télétravailler, ça n’est pas être à la maison, disponible pour sa famille et les taches ménagères. Nous n’avons pas don d’ubiquité pour être à la fois femme au foyer et professionnelle en télétravail, voire enseignante !

·      Pour reconnaitre cette évidence, nous avons parfois avoir un travail introspectif à faire, pour la vivre sans culpabilité.

·      Il ne faut pas hésiter à pointer les stéréotypes sur la posture de la femme au sein de la famille et fixer des règles de fonctionnement claires. Faute de quoi, lorsque nous sommes en télétravail, nous pourrions perdre le statut de femme active, pour devenir des « mères au foyer ». Force est de constater que les hommes n’ont pas eu, ou beaucoup moins, à faire face à cette problématique.

·      Si ces règles sont clairement établies, sans culpabilité, le télétravail peut nous donner une capacité à mieux organiser notre temps, pour nous permettre de faire du sport ou des loisirs.

·      C’est aussi une opportunité d’avoir plus de repas pris en famille, plus de moments en commun, qui s’y chacun s’y investit, permet un rapprochement au sein des familles et un vrai échange.

·      Pour que le télétravail puisse fonctionner, les critères de priorités des services locaux (crèches, garderies, cantine, aide au devoirs ..) ne doivent pas prendre en compte le fait que les parents télétravaillent ou pas.

·      Il nous parait également important d’éviter le télétravail à 100% du temps. Il est important d’avoir un bureau hors de chez soi, d’entretenir des relations en face à face et de sortir de chez soi pour socialiser. Le niveau de ce besoin parait néanmoins très variable selon la sensibilité et la personnalité de chacun.

 

 

 

Nous consacrerons dans les mois à venir des chroniques sur d’autres points spécifiques et des pistes de réflexion et propositions.

N’hésitez pas à partager avec nous votre propre vécu et vos réactions !

 

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Valentine Chapus-Gilbert

Semons Pour l'Avenir ! De l'enfance à l'entreprise, #HR #accompagnement #mixité #ESS

4 ans

Des souvenirs pas si lointains ... qui reviennent à nos oreilles ces jours-ci avec des enfants en vacances pendant qu’on visio travaille ! Merci Aline Aubertinet Association Femmes Ingénieurs et l’étude #bougetaboite

Bérénice Bougard

Innovation | Industrie | Energie

4 ans

Confinée en couple avec enfants en bas âges 2 et 5 ans, à Paris sans extérieur et télétravail a temps plein. Je partage vos constats. En particulier le fait que le temps "pour nous" s'est mué en temps "pour la famille" ou "pour les autres" mais que le temps de travail et l'implication n'ont pas diminué bien au contraire.

Katia SAVELIEFF

Supply Chain Manager chez RATPgroup

4 ans

Un tableau assez réaliste de ce qui a été et est encore notre quotidien, pour le pire et le meilleur. Je note néanmoins que la situation en présence de jeunes enfants (jusqu'en élémentaire) est assez peu développée puisqu'il est plutôt question d'enfants adolescents ou jeunes adultes étudiants dans les exemples évoqués.

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