Manager à distance, comment j’ai adapté mes pratiques ?
Photo empruntée à l'ISG

Manager à distance, comment j’ai adapté mes pratiques ?

Ces dernières semaines, à cause de la crise sanitaire du COVID 19 et du confinement qu’elle a généré, de nombreux managers expérimentent le management à distance.

Ces cadres et leurs équipes pratiquent aussi le télétravail à domicile, bien malgré eux et plus ou moins préparés. Certains le pratiquaient déjà de manière occasionnelle ou limitée dans le temps. La crise du Covid 19 l’a généralisé et cet usage temporaire s’installe dans le temps. Personne ne sait encore prédire si ce qui aura été appris et expérimenté conduira à un usage du télétravail beaucoup plus large et institué à l’avenir, et en corolaire la nécessiter de manager à distance,.

De ce contexte, les réseaux sociaux nous proposent de nombreux conseils, souvent rédigés par des directeurs et directrices des ressources humaines et les cabinets conseil en management.

Dans la littérature on parle de management à distance quand il n’existe pas d’unité de lieu, d’espace ou de temps, ou une combinaison de plusieurs de ces éléments, entre le manager et son équipe. Dans ces conditions, le manager n’a pas la possibilité d’avoir un contrôle visuel direct et rapproché des actions de ses collaborateurs et de la mise en œuvre des processus organisationnels de son équipe.

Dans mon rôle de manager global, j’encadre une équipe répartie dans le monde, à distance donc, en anglais. Mon propre manager est basé aux Etats-Unis, et mes pairs sur les trois continents. Je vis donc le management totalement à distance, en tant que manager et « managée » depuis de nombreuses années, sans unité de lieu, d’espace, de temps, en multiculturel. Je télétravaille à l’international dans mon bureau, en quelque sorte !

Ayant peu lu de témoignages pratiques des opérationnels, je partage le mien sur la manière dont j’ai adapté mon mode de management à la distance.

En devenant manager à distance, je suis devenue une « manager augmentée », c’est-à-dire que j’ai amplifié toutes mes pratiques managériales et augmenté ma vigilance sur de nombreux points :

- Cohésion d’équipe, partage et motivation : Il est plus difficile de créer la cohésion d’équipe à distance, tout en s’assurant que chacun et chacune ait la possibilité de partager ses difficultés et ses succès, de manière à garder le bon niveau de motivation. Ceci m’a amenée à renforcer une écoute plus active et une empathie, qui sont importantes pour développer et garder le lien, mais aussi repérer les « signaux faibles » potentiellement envoyés par mes collaborateurs et collaboratrices.

Contraintes de disponibilité du manager et des membres de l’équipe entre eux : Une discussion en face à face rapide permet de réaliser de nombreux ajustements, de résoudre de nombreux problèmes et de désamorcer les conflits. Qui n’a jamais utilisé les discussions informelles devant la machine à café, ou réglé immédiatement un incident en allant discuter avec un ou une collègue, évitant ainsi qu’il ne se transforme en problème ? Comment demander à un collaborateur de « mentorer » un nouvel arrivant dans l’équipe ou un salarié junior en difficulté, uniquement à distance ? Compte-tenu de la distance, il est important pour le manager de se montrer encore plus disponible et d’accepter d’être interrompu à tout moment par le téléphone ou une messagerie instantanée. Ceci est contre-intuitif. En effet, si vous êtes interrompue ainsi, quoi de plus aisé que de ne pas répondre à qui ne vous voit pas… surtout si c’est la Nième fois de la journée, que cela se produit et que vous êtes concentrée sur un gros dossier. Le risque est celui d’une mauvaise qualité dans l’exécution ou une perte de temps, voire un sentiment d’isolement, qui peut mener à la démotivation pour certaines personnes. En étant présent sur le même lieu par contre, on peut repousser avec le sourire un échange demandé par un collaborateur qui n’aura pas perçu à votre posture que le moment était inopportun, sans les mêmes conséquences !

Difficultés à communiquer : N’oublions pas que plus de deux tiers de la communication passe par le non-verbal. A distance, il ne reste que les mots et l’intonation. L’usage de la visioconférence peut pallier en partie à cette difficulté. Néanmoins, j’ai appris à être encore plus vigilante pour « demander un retour » afin de vérifier que j’avais été bien comprise, par exemple en coaching de développement personnel ou lors de recadrage. Le dosage de la fermeté, tout en s’assurant que l’on ne détériore pas la relation, est important.

L’importance des mots est encore renforcée si la langue de communication n’est pas la langue maternelle des interlocuteurs. La maitrise fine de l’anglais, qui est généralement la langue commune, est alors critique. Il faut maitriser le langage du métier, mais également maitriser le vocabulaire du coaching ou du recadrage, mais aussi être en capacité d’aborder des sujets plus personnels: maladie, évènements personnels ou politiques ou religieux, liés au pays, comme les évènements climatiques, etc… Dans certaines cultures, ces aspects sont prioritaires. En même temps, ce niveau de maitrise de l’anglais n’est pas universel. J’ai ainsi abordé au téléphone des sujets particulièrement intimes, par exemple avec une collaboratrice atteinte d’endométriose, qui était incapable de mener une négociation avec un fournisseur au téléphone à certains moments, et qui avait besoin que je l’assiste. Ou encore, alors que je faisais remarquer à un père travaillant aux Etats Unis que sa participation aux réunions n’était pas facultative, j’ai dû comprendre et intégrer ses difficultés familiales, pour lui permettre de véhiculer son enfant autiste à l’horaire matinal habituel des réunions téléphoniques internationales.

- Solitude, rattachement à l’entreprise, télétravail : la distance entre le manager et ses collaborateurs et collaboratrices peut les inciter à favoriser le télétravail (à domicile), surtout si les différences de fuseaux horaires conduisent à travailler en dehors des horaires « classiques ». Par ailleurs les collègues locaux du collaborateur ou de la collaboratrice n’exercent pas nécessairement le même métier ou ne travaillent pas sur les mêmes problématiques. Ceci peut conduire à un sentiment d’isolement et de solitude, qui ne favorise pas l’attachement à l’entreprise et à sa culture. Ce risque est évidemment exacerbé si chacun télétravaille dans la solitude de son confinement. Ainsi, j’ai eu à prendre des décisions d’autorisation de télétravail permanent à domicile, puisqu’il existe dans certains pays. J’ai alors eu de nombreux échanges avec ma collaboratrice, pour mesurer comment elle était apte à vivre l’absence de collègues et les échanges à la machine à café, et si les conditions matérielles du télétravail à domicile seraient adaptées ! Mon retour d’expérience est que cette décision ne doit pas être prise à la légère, même si les raisons de la demande sont liées à des contraintes personnelles fortes, pouvant aller jusqu’à la perte du collaborateur ou de la collaboratrice.

- Capacité de communication par le sens : Les enjeux et les potentiels écueils que j’ai mis ici en évidence renforcent l’exigence d’une communication exhaustive et régulière. En effet, la distance peut renforcer la crainte d’une non-transparence, voire d’une rétention d’information. Le manager doit donc impérativement communiquer régulièrement et de manière transparente, y compris si nécessaire pour dire qu’il n’a pas d’informations nouvelles afin d’éviter que celles-ci soient fantasmées.  Il est important également de réfléchir à la communication avec les collaborateurs et collaboratrices N-2, dans le contexte de la distance. Sans se substituer au management direct, potentiellement local, il est nécessaire de ne pas apparaitre comme trop lointaine et coupée du terrain. Redonner du sens est primordial pour veiller à l’adhésion et l’engagement, en particulier vis-à-vis de la culture de l’entreprise.

- Autonomisation des collaborateurs et organisation du travail et du temps : L’expérience m’a montrée que le management à distance est à réserver aux collaborateurs et collaboratrices professionnellement matures, qui savent s’organiser de manière autonome et gérer leur temps. Ceux qui ont besoin d’un mode de management rapproché ou directif vivront mal la situation de la distance. Il est important pour ceux-ci de veiller à maintenir des contacts très réguliers. Réciproquement, j’ai pu remarquer que les managers qui ont du mal à faire confiance et à déléguer auront tendance à surajouter des moyens de contrôle, au bout du compte peu efficaces. Il ne s’agit pas de compenser l’absence de contacts visuels par une surutilisation du téléphone, de courriels et de contacts en messagerie instantanée, au risque de devenir intrusive et de générer un stress improductif.

- Passage d’un mode managérial de contrôle de tâches confiées à un mode de pilotage de projets, en corolaire au point précédent : Le management par objectifs s’impose, puisque le micro-management devient difficile, voire épuisant, compte-tenu de la distance. Il est encore plus important de définir très clairement ses attentes et la manière dont on suivra le travail effectué et les résultats. Les contraintes de temps et, si nécessaire, les jalons doivent être très explicites. Pour des collaborateurs qui n’auraient pas la capacité de travailler en mode projet, il faudra mettre en place des procédures extrêmement détaillées, que le collaborateur ou la collaboratrice pourra et devra suivre pas à pas, et qui balisent l’imprévu et l’exception.

– L’importance de la qualité des outils de communication fonctionnant à distance : dossiers partagés et collaboratifs, messagerie instantanée, téléphone, téléconférence, visioconférence sont essentiels pour palier, au moins en partie, à ces difficultés. Les échanges où l’on souhaite utiliser l’écrit en appui à la parole sont très difficiles, voire impossibles : pas de schéma partagé, pas de brainstorming ou de démonstration au paperboard sans logiciel spécifique, etc … Il ne reste que les mots. A chaque fois que l’image peut être ajoutée à la voix (webcam ou utilisation d’une salle de visioconférence), elle rajoute des éléments de communication non verbale extrêmement utiles. Le simple ajout d’une photo dans les outils collaboratifs (Teams, Skype, Zoom ou autre) est déjà utile, car il permet d’humaniser l’échange.

Enfin, la sécurité des réseaux est un enjeu clé, car mal maitrisée, elle peut conduire au blocage.

En conclusion, j’ai découvert, au fil des années et de mon expérience,  que le management à distance ne pénalisait pas mon efficacité de manager, et que les méthodes éprouvées du management classique restaient d’actualité, avec un peu d’adaptation, en particulier un certain « lâcher prise » pour ne pas entraver la liberté de ses collaborateurs.

Pour faire un zoom spécifique sur le télétravail, contrairement aux idées reçues, celui-ci peut être un réel facteur de performance. Même en gardant une grande disponibilité pour mes collaborateurs directs, je suis moins interrompue par la présence physique de mes autres collègues et moins gênée par le bruit, en télétravaillant dans mon bureau à domicile. Je prends aussi moins de pauses et j’ai une meilleure capacité de concentration. Aussi comme beaucoup, je télétravaille pour traiter des gros dossiers.

Le management à distance, comme le télétravail par extension, améliorent la relation de confiance entre le manager et l’équipe. Le collaborateur ou la collaboratrice qui travaille à distance bénéficie d’une autonomie plus importante, qui est facteur d’épanouissement et de motivation. Il ou elle sera reconnaissant de la confiance de son responsable. J’ai ainsi remarqué que tous les membres de mon équipe continuaient systématiquement de me prévenir de leur absence pour un rendez-vous personnel ou lorsqu’ils étaient amenés à démarrer leur journée de travail plus tard, ou à la finir plus tôt, pour des contraintes personnelles.

Ce mode de management passe par du reporting et des contacts récurrents programmés, une communication non intrusive et priorisée, et surtout des objectifs définis avec clarté.

J’émets cependant des réserves sur la mise en place du télétravail avec des équipes qui n’ont jamais créé de liens en face à face. En effet, une grande partie des difficultés que j’ai évoquées sont d’autant mieux aplanies quand les équipes ont la possibilité de se rencontrer physiquement, au moins au démarrage de la collaboration, puis au moins une fois par an. 


Très bon support à notre réflexion sur les nouvelles règles de "management agile"? Grand merci Aline

Pauline Vaconsin-Yrigoyen

Transformation thanks to digital, coaching and co-development at Direction Interministérielle de la Transformation et de la Fonction Publiques (DITP)

4 ans

Merci pour votre article particulièrement intéressant et qui sent le vécu 👌

Merci Aline, Finalement, qu'est-ce que la crise du Covid 19 a changé pour toi ?

Charlotte Graire

Head of Sales Cyber France, Europe, NATO

4 ans

Merci pour ton retour d'expérience. Manager à distance, comprendre les signaux faibles pour contre balancer une communication non verbale de moins bonne qualité

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