Intéresser son audience ou disparaître : la fonction RH au pied du mur


par Thomas Chardin / @ThomasChardin

22 novembre 2018


Et si la recherche de talents, la marque employeur, l’engagement, la QVT et tous ces chantiers que l’on dit prioritaires pour les DRH n’étaient pas, pour eux, l’enjeu principal ? Et si la transformation digitale n’était que l’arbre leur masquant la forêt d’une transformation plus profonde, une transformation que la fonction RH doit intégrer et maîtriser sous peine de disparaître ? Parce que nous sommes entrés dans une société et une économie de l’attention, la fonction RH n’intéressera ses publics qu’en devenant… intéressante. Il lui faut pour cela adopter une nouvelle approche, un nouvel état d’esprit : en un mot, entrer dans l’ère du marketing RH.  


Un contexte triplement difficile pour la fonction RH 

Trois éléments contextuels mettent aujourd’hui les DRH dans une situation inédite pour relever les défis qui sont les leurs. Ces éléments sont les suivants : 

·         Le RH bashing à son plus haut 

Le « RH bashing » n’est pas une nouveauté, mais il ne s’est jamais si bien porté. Depuis quelques années, le dénigrement de la fonction RH se systématise. 

Dans la société et les médias, tout d’abord : sur les écrans, la DRH endosse presque toujours le mauvais rôle, qu’il s’agisse d’une fiction ou d’un reportage d’Élise Lucet. Le DRH concentre les critiques parce qu’il est associé aux plans sociaux (dont, rappelons-le, il n’est pas décisionnaire) et, plus largement, au manque d’humanité des entreprises : le DRH penserait toujours chiffres, jamais Hommes. 

Au sein des entreprises, c’est à peine mieux. La fonction RH est perçue par les salariés comme insuffisamment proche, incapable de les défendre et même de les entendre. Que le management satisfasse les collaborateurs d’un service, ils en créditent leur manager ; que ce management soit dénoncé comme toxique, ils jugent la DRH complice, voire responsable. 

Faire partie du comité de direction n’a rien arrangé, la DRH ayant ainsi conforté son image de bras armé de la direction générale. Quant aux autres directions – commerciale, financière, marketing… – la fonction RH ne joue pas pour elles un rôle stratégique : administrative avant tout, elle est dans la gestion et l’exécution ; un régulateur a posteriori des processus. 

En résumé, il est reproché à la fonction RH de ne pas créer de valeur, de redouter les risques et l’innovation et de rester centrée sur ses missions d’origine, très technico-juridiques, au détriment d’enjeux plus stratégiques comme le développement des compétences. Voilà les DRH chaudement habillées pour l’hiver ! 

·         La guerre des talents, le retour ! 

C’était au début des années 2000. Les ingénieurs informaticiens, alors rois du marché, suscitaient la convoitise des ESN (SSII à l’époque) qui rivalisaient de campagnes de communication et de conditions avantageuses pour les séduire à tout prix. L’expression « guerre des talents » était née, elle allait faire florès dans tous les secteurs frappés par une pénurie de compétences.  

L’eau a coulé sous les ponts depuis, et la crise de 2008 a laissé des traces durables. Aussi peut-on se demander comment, dans un pays où le taux de chômage dépasse toujours les 9%, les entreprises peuvent être si nombreuses (44% d’entre elles selon Pôle emploi) à se plaindre de difficultés de recrutement.

Deux éléments majeurs expliquent ce phénomène. Le premier tient à la rareté des talents recherchés par les entreprises, peu présents sur le marché de l’emploi. Le second, trop souvent minimisé, réside dans la difficulté des organisations à attirer, mais aussi à développer et à retenir les talents. Relevons ainsi que le turn-over en France se situe aux alentours de 16%, soit près du double de ce qu’il était il y a 20 ans. Il s’agit là d’un problème de management et de marque employeur.

La pénurie de compétences est critique sur de nombreux métiers, qu’ils soient qualifiés ou pas. Mais le recrutement n‘est pas le seul moyen de répondre à cette pénurie : la fidélisation des talents, négligée par tant d’employeurs, pourrait dans le cas d’entreprises au turnover élevé réduire des trois quarts les besoins en recrutement ! Plutôt que gérer le flux des talents en entrée et en sortie, ce qui représente un coût très élevé pour l’entreprise, n’est-il pas temps de se préoccuper du « stock » de talents dont une partie importante déserte l’entreprise et l’autre n’est pas fructifié ? C’est à cela que devrait servir, avant toute chose, le déploiement d’une bonne marque employeur !

·         La guerre de l’attention, une nouvelle donne 

Avoir une chance de remporter la guerre des talents implique de prendre conscience qu’elle ne peut se gagner avec les armes du passé… Tout simplement parce que les combats ont changé. Quels sont-ils, ces combats ? Il y a celui de l’attractivité de l’entreprise vis-à-vis des candidats ; celui de la fidélisation des collaborateurs ; et enfin celui de l’engagement de ces mêmes collaborateurs. 

Or, sur chacun de ces trois fronts, on retrouve un même enjeu, celui de l’attention. Il s’agit en effet de susciter l’intérêt des candidats détenant les compétences recherchées, de maintenir celui des collaborateurs sur le long terme, et de susciter leur attention au quotidien pour leur donner envie de s’engager.

Le problème est qu’il ne suffit pas de vouloir capter l’attention de ses cibles RH pour y parvenir, tant elles sont sollicitées par ailleurs. Avant d’être un candidat ou un collaborateur, toute personne est aussi un consommateur dont les marques et les médias s’efforcent de « capter le temps de cerveau disponible ». Tout le monde n’est pas armé de la même façon pour gagner l’attention de telle ou telle catégorie de personnes : ainsi, un adulte américain utilise en moyenne 27 applis mobiles dans le mois, mais passe près de 80 % de son temps sur cinq d’entre elles. Sur la même période, il visite en moyenne une centaine de sites Internet, mais passe 44 % de son temps sur cinq d’entre eux. Pareillement, il peut accéder à environ 200 chaînes de télévision, mais concentre toute son attention sur une vingtaine. 

Certes, il ne s’agit pas dans le domaine des ressources humaines de capter cette disponibilité cérébrale et souvent émotionnelle, mais ces chiffres montrent qu’il est désormais indispensable d’intéresser son audience pour en être entendu et construire avec elle une relation sur le long terme, qu’il s’agisse de B to C ou de ressources humaines. Cela suppose d’adopter une nouvelle approche, en employant un arsenal d’outils que la fonction RH ne s’est pas encore appropriés : ceux du marketing RH.

Le marketing RH, maître-atout de la fonction RH à l’ère de l’attention 

Le marketing RH n’est pas une baguette magique qu’il suffit d’agiter pour mettre fin au RH bashing, remporter la guerre des talents et gagner celle de l’attention. En revanche, faire siennes les pratiques du marketing et les appliquer aux ressources humaines (en commençant par s’interroger sur la nature et les motivations de ses cibles) permet de redonner un cap, une destination et une direction. Cette direction rend possible de traiter de façon cohérente les différents grands sujets et chantiers RH, qui sont trop souvent abordés isolément alors qu’ils interagissent : formation, digitalisation, management, QVT, marque employeur, expérience collaborateur, etc. 

Concrètement, le marketing RH est une notion qui recouvre deux grandes dimensions : 

·         Le marketing de l’entreprise dans sa dimension employeur

Parler de marketing de l’employeur, c’est bien entendu parler de marque employeur. La Marque Employeur regroupe l’ensemble des caractéristiques, des attributs et des expressions de l’entreprise dans sa dimension « Employeur ». Comme on l’admet (enfin) couramment aujourd’hui, la marque employeur n’est pas un simple outil d’attractivité à destination des candidats. Plurielle, elle adresse toutes les parties prenantes de l’entreprise : salariés, managers, candidats, partenaires sociaux, pouvoirs publics, clients… Autant de cibles dont il s’agit d’éveiller, de soutenir et de maintenir l’attention. 

Et si la marque employeur est réellement une marque, il convient de la traiter comme telle en lui appliquant une démarche marketing pensée et pilotée : établissement d’un diagnostic RH et managérial, construction d’une plateforme de marque, élaboration d’un plan d’action. Cette approche est nécessaire pour donner un sens à la politique RH, mais aussi pour aborder chacune des problématiques que celle-ci vise à traiter.  

À titre d’exemple, la formation professionnelle est aujourd’hui reconnue comme un enjeu stratégique pour les organisations. Dans ce contexte, il est décisif pour l’entreprise que ses collaborateurs aient envie d’apprendre, de progresser, ce qui ne se produira que si l’offre formation de l’entreprise est attractive. Il convient donc d’éveiller l’intérêt des collaborateurs pour les formations, de faire naître et grandir leur envie d’y participer. Le marketing RH va ainsi devenir la clé de voûte d’une co-construction des parcours de formation bénéfique aux deux parties.  

Plus largement, une marque employeur construite sur un marketing RH rigoureux permet de:  

-         diffuser une image positive de l’entreprise et renforcer sa réputation,

-         favoriser l’attractivité de l’entreprise et améliorer opérationnellement l’efficacité de son sourcing,

-         fidéliser les collaborateurs, maîtriser et réduire le turnover,

-         développer l’engagement et la fierté d’appartenance.

·         Le marketing de la fonction RH, ou la « marque DRH »

Le marketing RH, c’est aussi le marketing de la fonction RH vis-à-vis de ses publics, à commencer par les cibles internes prioritaires que sont les managers et les collaborateurs.

Certaines DRH se sont efforcées, ces dernières années, de changer la perception qu’avaient d’elles leurs publics internes. Beaucoup ont ainsi voulu se positionner comme « Business Partner » de l’entreprise. Mais il ne suffit pas de vouloir changer de posture pour changer les perceptions. Le marketing RH offre des moyens pour apporter du crédit à une telle démarche et redonner ainsi sa légitimité à la fonction RH. 

Plutôt que de déclarer que les collaborateurs sont ses clients, la DRH doit s’efforcer de leur offrir le meilleur service possible ; elle doit surtout le prouver en communiquant de façon éclairée et éclairante. Elle ne peut y parvenir sans évaluer en amont les perceptions, les attentes, les envies, les frustrations, les irritants des collaborateurs et des managers. Ces derniers ont, par exemple, trop souvent été la dernière roue du carrosse du SIRH, auprès desquels la fonction RH s’est débarrassée de processus administratifs sans se préoccuper des attentes de ses clients internes. 

Le marketing RH ne vise pas à « faire la pub » de la fonction RH de façon top-down (ce qui serait inutile, voire contre-productif), mais à comprendre et à épouser la psychologie des différentes cibles RH pour mieux répondre à leurs attentes et être mieux entendue d’elles.  

Les grandes transformations en cours dans les entreprises touchent à la dimension humaine des organisations, aux modèles managériaux et collaboratifs, au lien social.

C’est au DRH qu’il revient d’accompagner ces transformations, de les conduire ; mieux encore, de les devancer. C’est à lui, par exemple, d’acculturer l’entreprise au digital et à l’innovation. Or l’innovation et le marketing sont avant tout des processus profondément humains qui nécessitent d’explorer et d’adopter, par empathie, la sociologie de son époque. Entrer ainsi en résonnance avec son marché ouvre grand le champ des possibles. Il est temps pour la fonction RH, si elle veut tenir un rôle convaincant dans l’entreprise de demain, d’entrer dans le 21e siècle. Le marketing RH constitue son principal levier d’action, et son seul atout solide pour y parvenir.

Thomas Chardin

Dirigeant fondateur de Parlons RH

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