Intelligence Artificielle ou Emotionnelle : coaching machin/coaching humain
Depuis le changement de son responsable hiérarchique il y a 2 ans, Paul, directeur financier, vit une situation infernale. Il est confronté à des collaborateurs aux comportements douteux qui frisent l’abus de biens sociaux. Malgré de nombreuses remarques, allant parfois jusqu’à des objections, les agissements continuent, couverts par la direction. Perdu, heurté dans ses valeurs, bafoué dans ses compétences, ce directeur financier a la bonne idée de consulter un coach.
Mais lequel choisir ? Une IA à l’écoute 24 heures sur 24, ne portant pas de jugement et sans opinion, celle que l’on prend et que l’on quitte sans état d’âme. Le tout pour un prix abordable ? Ou choisira-t-il un coach humain avec ses travers imparfaits et subjectifs ?
Voici une proposition de suivre en parallèle une approche avec un coach bot (outil IA) et une autre de coaching avec un humain coach.
Examinons tout d’abord le travail de l’IA, comme on le retrouve notamment dans les chatbots[1]. L’analyse est menée par un questionnaire selon une démarche de type RPBDC[2] de Vincent Lenhardt ou GROW[3], un modèle classique du coaching qui a déjà été testé sur des coach bots :
- Goal : Quel est votre objectif ?
- Reality : Pouvez-vous décrire votre situation ?
- Options : Quelles sont vos options possibles ?
- Will : Avez-vous la volonté de mettre en place une solution ?
Selon les réponses de la personne coachée, une IA générative sélectionne et soumet les propositions les plus probables extraites à partir d’un grand corpus, parfois biaisé, suivant le canevas prédéfini. En fin de séance, les incitations à l’action sont abordées et cadrées où seul le coaché peut évaluer la pertinence de l’aide reçue et de son efficacité potentielle.
Difficile de faire mieux ? Avant de nous attarder sur ce que fait un coach humain, rappelons que l’art du coaching repose sur un subtil mélange de compétences en intelligence émotionnelle : poser des questions, écouter les réponses, évaluer le sens des mots, interpréter les non-dits, décrypter les silences, observer les réactions, apprécier les motivations, etc.
Il y a ce que je dis : les mots, le verbal.
Pour poser des questions, l’IA suit systématiquement un cheminement prédéfini. La prise de note est automatique et permet de dégager les thèmes récurrents. La compréhension est parfaite ainsi que l’historique des mots échangés.
Le questionnement de l’humain paraît plus aléatoire. Il suit un déroulé qui peut sembler parfois tortueux, sautant même du coq à l’âne à certaines occasions. Malgré ces apparentes difficultés, le coach humain possède d’autres atouts tels que l’humour pour débloquer quelques situations ou passer des messages de façon détournée ou plus efficace. Le deuxième degré, l’auto-dérision, l’ironie sont également des outils bien pratiques s’ils sont utilisés à bon escient.
Il y a ce que je dis et comment je le dis : Le verbal et le non-verbal. Le fond et la forme.
On dit que le corps ne ment pas. Il est difficile de cacher ce que le corps montre spontanément.
Chaque mot du coaché doit être corrélé avec les signaux non-verbaux associés. Par exemple, le rire du perdu, quand une personne rit en parlant d’une situation difficile.
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Analyser le non-verbal demande des capacités de captation multiples et multi-modales pour une IA. Les mots mais également le ton de la voix sont enregistrés par un système audio. Les émotions sont perçues avec une caméra qui détecte les grandes expressions du visage. Les gestes et les postures sont captés par une caméra qui filme le corps entier. L’état de stress peut être détecté avec des capteurs biométriques. L’IA peut mettre en œuvre tous ces capteurs et intégrer tous ces stimuli. Leur analyse et compréhension demande un travail difficile. Comment détecter les tics, expressions de comportement inconscient, et comprendre leurs significations ? Leur interprétation croisée requiert un niveau d’expertise supérieure. Corréler cette interprétation avec les mots exige une compréhension très fine de la nature humaine. Le coach humain est équipé d’origine et bénéficie d’une facilité à intégrer et à traiter tous ces stimuli en corrélation avec les mots par son expertise et son expérience.
Il y a ce que je dis, comment je le dis et où je le dis, le contexte.
Et enfin, il y a le contexte ou la situation.
On peut penser au cadre supérieur avec des interrogations de fin de carrière, à la personne d’un milieu modeste au chômage depuis 5 ans, la personne en butte à des attaques racistes pour sa couleur de peau ou à cause de sa religion, la personne avec des orientations sexuelles particulières ou non-genrée, l’éducation reçue (… ou pas), la culture, toutes les situations complexes dans les relations avec ses proches, le chemin de vie.
Pour une IA, le contexte peut être renseigné a priori mais comment savoir ce qui est pertinent et va être utile au coaching ? Le coach humain peut appréhender globalement une culture, une situation, un contexte mais surtout, évaluer son impact potentiel sur le processus de coaching. Tous ces éléments permettent d’ajuster la stratégie et la tactique du coach.
Il y a les mots, le non-verbal et le contexte. Si l’IA peut apprendre facilement les mots, les comprendre reste difficile. Il reste un gap important sur la compréhension des émotions, sur l’interprétation des situations complexes et sur la corrélation entre ces trois dimensions : les mots, les émotions et le contexte.
Revenons au cas de Paul. Avec ou sans une compréhension fine du contexte et de l’état d’esprit, le coaching avec notre Directeur financier peut prendre des chemins différents. Le coach humain questionne le parcours professionnel de Paul et ses motivations. Il évalue le niveau de stress provoqué par la situation et l’importance que Paul accorde à ses valeurs et à ses compétences. Si le dilemme que vit le directeur est suffisamment important, le coach humain pourrait tenter un coaching paradoxal. Pour provoquer une prise de conscience salutaire, le coach peut demander à Paul s’il envisage de vivre encore longtemps cette situation. Cela peut marcher à condition que le niveau d’engagement et que les ressources du coaché soient suffisantes pour lui permettre de passer à l’acte et sortir de cette impasse. Comment évaluer cela avec un outil automatique ?
La question qui reste en suspens est de savoir si une IA aurait toute la finesse nécessaire et l’intelligence émotionnelle pour ces évaluations et supputations ou si elle déroulerait un protocole standard sans détecter le moment opportun pour le « coup de marteau » du coach. C’est la dimension d’uniformisation des réponses des IAs qui ne peut sortir de ce qu’il y a dans la base d’entrainement.
Les apports de l’Intelligence Artificielle révolutionnent notre quotidien dans de très nombreux domaines. L’IA générative avance très vite, mais toujours dans le même sens en rajoutant des couches d’interfaces mais jamais en remettant en cause la « mécanique » de base d’un entrainement. Les relations humaines et le coaching restent largement dépendant de l’Intelligence Emotionnelle. Je ne sais pas comment l’IA et la technologie vont évoluer et à quel rythme mais je pense que le coach humain a encore de beaux jours devant lui.
Avec ses remerciements chaleureux à Denis Trystram, professeur à l’UGA
Coach Professionnel Certifié (PCC-ICF) et Superviseur de coachs - Navigatrice
9 moisMerci Michel Cezon Le choix entre un coach IA ou coach humain pourra être conditionné selon l’intention du client. Si l’intention est d’être « décodé », une IA sera à terme plus pertinente qu’un coach humain à coup de captations multiples. Plus largement, en tant que société, plus nous serons artificiels dans nos relations (ex. standardisation des mails de confirmation de rendez-vous clients avec les outils technos existants), plus nous deviendrons familiers et par conséquence dans l’acceptation d’une certaine standardisation et donc d’un coaching avec une IA. Plus nous nous attacherons à être sincère et singulier dans nos relations, plus le coach humain aura de beaux jours devant lui. Je te salue donc en te souhaitant bon vent jusqu'à la prochaine 😉
Travaillologue - Diagnostique et traite les maux des équipes, des organisations et des collaborateurs au travail
9 moisTu soulèves une sacré question ! J'avais eu l'occasion de voir une démo de coaching virtuel complètement bluffante notamment en ce qui concerne la qualité du questionnement... C'était il y a déjà quelques années alors je n'ose même pas imaginer les progrès de la machine qui a dû s'entrainer sur des milliards de cas depuis... moi je trouve ça fascinant... si on peut modéliser, c'est bien parce qu'il existe de bonnes pratiques, un cadre de référence, des outils appropriés, un cadre d'analyse des facteurs de motivation ou de résistances face aux changements et aux expériences qu'on tente donc c'est rassurant pour le métier de coach tel que si bien décrit par François Delivré. En revanche, ce qui manquera à une IA, c'est sa capacité à nous prendre dans ses bras, à nous tendre un mouchoir ou des gâteaux, à partager son odeur, sa chaleur, ses doutes, sa vulnérabilité... ses propres expériences de la vie qui lui permettent de "porter des lunettes" imparfaites comme celles de chacun d'entre nous, mais si singulières.
Professor at Grenoble University
9 moisMerci Michel pour ce post qui nous rappelle que le développement incontrôlé de l'IA/apprentissage n'est pas seulement un problème environnemental, mais aussi nous éloigne de l'humain. Ce qui s'applique ici au domaine du coaching fait écho dans beaucoup d'autres domaines !
Coach professionnel certifié pour les startups technologiques et la Commission Européenne
9 moisDes commentaires de mes chers confrères coachs ? Edith Coron, Philippe Buyze - ICF PCC, Romain Aragon, Sarah Thevenet, Catherine ROUPIE, Coach PCC (ICF), Samia Klouche, Gwenn Aël CORNILLAT ✴️Véronique Rostas, Christophe Poyet, Catherine CAYUELA, Lynda Temam, Maud Viollet, Emanuelle Ricciardi Et d'autres amis Denis Trystram, Philippe Rase, Philippe Wieczorek, Thierry Ménissier, Jean Marc Santi, Roland Pesty... Merci 🙏 😀