Interprétation du droit européen par la Cour de cassation : la salariée licenciée en état de grossesse a droit à une double indemnisation
Le licenciement intervenu en méconnaissance de la protection liée à la maternité est assurément nul.
La question de la sanction afférente à cette nullité, particulièrement dans le cas où la salariée ne demande pas sa réintégration, a toutefois évolué au cours de la dernière décennie.
C’est ainsi que, antérieurement aux ordonnances « Macron » du 24 septembre 2017, l’article L. 1235-3-1 du Code du travail disposait que dans un tel cas : « le juge octroie au salarié une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9. »
Les ordonnances Macron ont souhaité mettre un terme à cette double condamnation (indemnité + salaires pendant la période de protection) et ont modifié l’article L. 1235-3-1 pour prévoir que le licenciement nul du salarié qui ne demande pas sa réintégration lui ouvre droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois. Cette indemnité « est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité ».
Néanmoins, l’article L. 1225-71 du Code se limite à préciser que « l'inobservation par l'employeur des dispositions des articles L. 1225-1 à L. 1225-28 et L. 1225-35 à L. 1225-69 peut donner lieu, au profit du salarié, à l'attribution d'une indemnité déterminée conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3-1. » et ne prévoit donc pas le versement du salaire pendant la période couverte par la nullité.
Pourtant, en invoquant le droit européen, la Cour de cassation n’hésite pas à faire fi de cette évolution des textes et à continuer à appliquer le principe de la double peine (Cass. soc., 6 nov. 2024, n°23-14.706).
Dans cette affaire, une salariée enceinte avait été licenciée pour faute grave par son employeur. Les juges du fond avaient estimé que la faute grave n’était pas fondée, ce qui entrainait automatiquement la nullité du licenciement. Ils avaient condamné la société au paiement des indemnités de licenciement et de préavis, à des dommages et intérêts et aux salaires dus pendant toute la période de protection couverte par la nullité (durée de la grossesse, du congé maternité et 10 semaines qui suivent le retour de la salariée).
A juste titre, l’employeur a formé un pourvoi contre cet arrêt en estimant qu’une telle condamnation n’était pas conforme au Code du travail français.
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Cette argumentation laisse de marbre la Cour de cassation qui semble se faire un devoir d’alourdir l’addition pour les employeurs. La Haute juridiction a ainsi recours à l’article 10 de la directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992 qui interdit le licenciement d'une salariée en état de grossesse et à l'article 18 de la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 qui exige des Etats membres qu’ils prennent « les mesures nécessaires pour veiller à ce que le préjudice subi par une personne lésée du fait d'une discrimination fondée sur le sexe soit effectivement réparé ou indemnisé selon des modalités qu'ils fixent, de manière dissuasive et proportionnée par rapport au dommage subi ».
Elle invoque également un arrêt de la CJUE au terme duquel, lorsque la réparation pécuniaire est la mesure retenue pour atteindre l'objectif de rétablir l'égalité des chances effective, elle doit être adéquate en ce sens qu'elle doit permettre de compenser intégralement les préjudices effectivement subis du fait du licenciement discriminatoire, selon les règles nationales applicables (CJUE, arrêt du 17 décembre 2015, Arjona Camacho, C-407/14, points 32 et 33).
Sans plus d’explication, elle en déduit que les articles du Code du travail français interprétés à la lumière du droit européen ouvrent droit pour la salariée, qui n'est pas tenue de demander sa réintégration à une indemnité au moins égale à six mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement et aux salaires qu'elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité, outre évidemment les indemnités de rupture…
Concrètement, pendant toute la période de protection (7 mois après le licenciement en l’espèce), la salariée a donc perçu l’intégralité de son salaire, les congés payés afférents, ses revenus de remplacement (chômage ou IJSS selon la période concernée) et pour faire bonne mesure, des dommages et intérêts réparant intégralement le préjudice subi de plus de 6 mois de salaire.
Comme elle l’a fait en matière d’acquisition des congés payés pendant un arrêt maladie, la Cour de cassation balaie donc le Code du travail en invoquant des principes européens qui visent souvent des législations bien moins protectrices que le droit français.
Cette jurisprudence est d’autant plus inquiétante que l’article L. 1235-3-1 dont il est ici fait interprétation ne se limite pas à la protection de la maternité mais vise de nombreuses autres causes de nullité, telles que la violation d’une liberté fondamentale (au nombre duquel le droit d’expression), le harcèlement, tous les motifs de discriminations….
Lorsqu’on constate que, depuis l’adoption du barème Macron, les salariés invoquent de manière quasi-systématique une nullité pour former des demandes supérieures au barème, l’impact potentiel de cette décision en cas d’extension aux autres cas de nullité est tout simplement vertigineux.