Jancovici dans le texte (épisode 1)

Jancovici dans le texte (épisode 1)

En cinq articles, l’expert en stratégie énergétique Stéphane His livre une analyse critique du dernier ouvrage co-signé par le consultant. Un livre qui tord parfois certaines réalités. Episode 1.

Depuis la chute de Nicolas Hulot, il existe un espace pour une nouvelle figure tutélaire de l’écologie en France. Comme récemment titré dans un portrait dans le Monde, Jean-Marc Jancovici est en campagne pour ce titre-là. Depuis son siège au Haut Conseil sur le Climat, à la présidence du Shift Project ou bien via ses missions de conseil (il est co-fondateur de la société de consultance Carbone 4), il occupe largement l’espace médiatique dans un mélange des genres souvent décrié. La bande dessinée co-rédigée avec Christophe Blain « Le Monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique »[1] est le dernier opus de cette campagne. Véritable succès d’édition, ce livre véhicule maintes contre-vérités dans mon champs d’activité professionnelle : l’énergie. Raison qui m’incite à mener un exercice d’analyse critique. Il s’articulera autour de quatre thèmes : manipulation des faits, énergies renouvelables, vision dépassée de la situation du pétrole et l’énergie nucléaire.

Une manipulation des faits

Tout au long de l’ouvrage de près de 200 pages, les auteurs ont une fâcheuse tendance à tordre la réalité et les chiffres. Jean-Marc Jancovici s’approprie par exemple la création d’un standard de comptabilité carbone repris au niveau international. La réalité est que l’Ademe a joué un rôle clé dans cette aventure et qu’au niveau international le GHG Protocol et le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD, un think tank) ont largement contribué à l’élaboration de ces standards. Autre exemple. Les deux auteurs abusent des corrélations pour construire des liens de causalité qui n’existent pas : « La tertiarisation des économies augmente, les émissions de gaze carbonique augmentent, donc la tertiarisation des économies induit une hausse des émissions de CO2 ». Dans la réalité, la tertiarisation des économies diminue la consommation d’énergie par point de PIB.

 Une vision faussée des énergies renouvelables

Pour les auteurs, « un mix 100% énergies renouvelables, on a connu cela il y a 200 ans, c’est l’esclavage et la bougie ». Les scénarios récemment publiés par RTE ou l’Ademe ne prévoient évidemment pas de retour à l’esclavage et bien la possibilité d’alimenter une économie moderne par un mix électrique 100% renouvelables. Les auteurs nous expliquent aussi que l’usage des énergies renouvelables croit moins vite que celui des énergies fossiles à l’échelle mondiale. C’est exactement l’inverse qui se produit. L’an dernier, les électriciens du monde entier ont consacré 70% de leurs investissements de production (les nouvelles centrales) dans les énergies renouvelables. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit même un raz de marée des énergies vertes. Le scénario Net Zéro de l’agence de l’OCDE parie sur le fait que 90% de l’électricité mondiale puissent être produites par les énergies renouvelables à l’horizon 2050.

Méconnaissance du monde pétrolier

Le maximum de la production de pétrole mondiale est présenté comme ayant été atteint en 2008. Une corrélation (encore une !) entre la hausse des investissements des super majors pétrolières et la baisse de la production de pétrole est utilisée pour renforcer la démonstration de la fin de l’ère du pétrole. En réalité, ces grandes compagnies occidentales ne produisent que 10% environ du brut mondial et sont à l’origine du même niveau d’investissement. Dans les faits, on n’a jamais produit autant de pétrole. Les auteurs se focalisent sur la production de pétrole brut classique en « oubliant » que la production des pétroles non conventionnels a pris le relais depuis une quinzaine d’années. Ils confondent le Shale oil (l’huile de schiste), globalement peu exploité, avec le Tight oil (pétrole de schiste) produit massivement aux Etats-Unis. A noter que l’extraction de ce dernier hydrocarbure n’engendre pas plus de consommation d’énergie ou d’émissions de CO2 que celle du brut conventionnel, contrairement à ce que les auteurs avancent.

On n'a jamais consommé (à gauche) et produit (à droite) autant de pétrole

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 Source : BP Statistical Review of World Energy 2021


Un atome crochu avec le nucléaire

La vision sur l’énergie nucléaire des deux auteurs est franchement biaisée. Aucune mention des débats sur le nombre de morts à Tchernobyl n’est faite. Rien n’est dit sur les centaines de milliers de personnes déplacées, des coûts des accidents nucléaires, des rejets en mers passés et futurs. Les auteurs oublient de rappeler que le nucléaire est une énergie pilotable mais peu manœuvrable. Pas de mention non plus de la compétitivité toujours plus importante des renouvelables en comparaison du nucléaire, pourtant mise en évidence par les rapports sur les coûts de production de l’électricité de l’Agence de l’énergie nucléaire (AEN). Et que dire du déni de lien entre nucléaire civil et militaire, pourtant rappelé par Emmanuel Macron dans son discours au Creusot, en décembre 2020 ?

Dans un post récent, Jean-Marc Jancovici indique que bien vulgariser est un métier difficile, puisque cela revient à faire « simple et pas trop faux ». Je partage ce point de vue. Mais quand on a de l’audience, cela oblige. Comme les auteurs utilisent abondamment l’image d’Iron-man, je me permets de reprendre une citation de Spiderman : « With great Power, Great responsabilities » (quand on a de grands pouvoirs, on a de grandes responsabilités). Vulgariser dans un monde complexe, c’est posséder un vrai pouvoir et avoir une grande responsabilité. Mais ce n’est pas tromper le public. Les auteurs de cette bande dessinée semblent l’avoir oublié. 

 

[1] Le monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique, Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici, 196 pages, Dargaud.

Olivier Berland ⏚ 🐿️

Born at 324 PPM (421 in 2024 !) / Accompagnateur, animateur, de porteurs de projets citoyens d'ENR.

2 ans
Stéphane PILON

Avocat associé - SELARL Avocats du Grand Large

2 ans

Merci pour ce travail qui me semble confirmer de façon argumentée le sentiment que j'ai ressenti a la lecture d'une bd qui apparaissait intéressante mais comporte malheureusement une vision dirigée vers un objectif prédéfini (le.nucleaire c'est la solution le reste est réservé aux rêveurs...).

Franck TABARY

Full Stack Cyber Security Developer

2 ans

le ton de l'argumentation est agressif, les arguments limites, la motivation douteuse, le bad buzz calculé est malheureusement dans l'air du temps, au même titre que la désinformation. Je m'arrête à la page 1 de cette fabuleuse "analyse".

Christophe Tricot

Président et co-fondateur de La Forge

2 ans

Merci à l'auteur pour l'article qui complète et éclaire la lecture de la BD. Merci Claude Aschenbrenner pour le partage du post.

MENUEL Frederic

Directeur adjoint service Ouvrages d’Art d’EGIS

2 ans

Avec une technique de hameconnage classique (referencement par l’appropriation détournée de l’image et couverte par une introduction neutre) un prétendu expert des processus magiques livre ce qui est appelée une analyse.

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