"Je ne pourrai pas vous coacher !"

"Je ne pourrai pas vous coacher !"

En ce début d’après-midi, la première séance de coaching démarre. Au fil de mes questions, de ses réponses, de ses évitements, de ses métaphores et de sa communication non-verbale, mon intuition se confirme. Face à moi, je découvre une perverse narcissique.

Dans un entretien préliminaire, certains indices m’avaient déjà mis la puce à l’oreille. Je devais confirmer mon ressenti. L’échange avec son supérieur hiérarchique avait corroboré mes observations sans que jamais le terme de « perverse narcissique » ne soit prononcé. En entreprise, il est tabou. Ce type de comportement effraie. L’attitude à adopter face à ces salariés (managers ou pas) demande du discernement et du courage.

Audrey (le prénom a été modifié), la coachée, est dans une logique de séduction. Le sourire est radieux, le ton excessivement doucereux. Au fil des échanges, et par petites touches, le masque laisse entrevoir, furtivement, un autre visage. Des expressions dévoilent un discours qui dévalorisent systématiquement les membres de son équipe et certains de ses pairs (managers).  Elle est alors impitoyable.

Lapsus, geste d’impatience, regard furtif

Quelques injonctions paradoxales sont formulées. Une agressivité contenue apparaît à travers un regard furtif, un geste d’impatience, un lapsus, « Je le prends en contre…non, je voulais dire en compte ». L’hypothèse se confirme. Je poursuis l’entretien. Je pourrais faire fausse route.

A mes questions, elle répond fréquemment : « Vous avez raison » ou « Non, vous vous trompez » alors que je n’avais formulé aucune opinion, aucun jugement. Elle projetait à travers ma question sa vision des choses. Cette spéculation l’obligeait, par rapport à son mode de fonctionnement et à ses comportements automatiques, à m’intégrer dans son univers soit en me félicitant, « vous avez raison », une attitude de séduction, soit en me sermonnant, « vous vous trompez », une attitude de réprobation sous forme de jugement définitif. Je sens que la relation de coaching devient toxique. Audrey tente de m’assujettir. C’est caractéristique, de ces profils, en dévalorisant l’autre, le pervers narcissique pense se rendre plus fort et nourrit ainsi son narcissisme XXL.

A l’issue de cette première séance, je me rapproche de la DRH et apprend que ma cliente est impliquée dans plusieurs cas de harcèlement moral ayant donné lieu à un nombre inhabituel de départs dans son entourage professionnel et même à une action en justice. A chaque fois, Audrey se défausse : « Ce n’est pas de ma faute, ce collaborateur n’était pas au niveau de mes attentes ». Son emprise narcissique conforte sa toute-puissance.  Fort heureusement, ce type assez banal de comportement, lorsqu’il n’est pas pathologique, ne conduit pas systématiquement à la « perversité narcissique ».

 

Elle mobilise tous les atours de la séduction

Pourtant, dans le cas d’Audrey tout converge et le doute est de moins en moins permis. Elle présente de nombreux « symptômes » de ce trouble de la personnalité. Son cas ne relève pas d’un accompagnement en mode Excecutive Coaching mais d’une prise en charge psychologique voire psychiatrique.

Rien n’est gagné car comme tout pervers narcissique, Audrey va mobiliser tous les atours de la séduction et de son intelligence stratégique pour contester et tenter de contourner ma proposition de consulter. Ce qu’elle redoute le plus, c’est la cohérence de son interlocuteur, une prise de distance, l’incapacité à détecter les failles de sa victime et une absence de réaction émotive. Ce sont des façons, pour ses proies, de se protéger. Ces comportements la replongent dans ses fragilités, dans les humiliations subies, souvent.

Lors de la 2e séance, qui sera la dernière, l’échange est rugueux. Je lui indique que je ne poursuivrai pas son accompagnement estimant n’avoir pas les compétences pour l’accompagner au mieux et réitérant l’hypothèse qu’un échange avec un psychologue pourrait lui être utile. Le reste relèvera de son choix.

Un besoin impérieux de dévaloriser l’autre

Comme c’était prévisible, Audrey sort d’une logique rationnelle. Elle laisse la place à ses pulsions. Elle tente de me culpabiliser m’expliquant que j’étais un « pervers ». Je l’écoute attentivement sans réagir. Elle me dénie toute compétence. Elle entre dans une rage totalement irrationnelle. Elle me dévalorise et, de fait, veut me faire passer d’un statut de sujet à celui d’objet. Le pervers narcissique, qui a souvent été dévalorisé, a un besoin impérieux, à son tour, de rabaisser l’autre, c’est sa façon de calmer ses angoisses. Il se renarcissise en tentant de combler une faille narcissique profonde où cohabitent une faible estime de soi et une haute idée de son image, et ainsi de gérer, autant que faire ce peu, ses conflits internes. 

L’entretien prend fin après un revirement de comportement et avec quelques nouvelles tentatives de séduction : « Je ne voulais pas dire ça », « Vous êtes quelqu’un de très bien, de très compétent », « Vous n’allez tout de même pas m’abandonner ». Elle surjoue l’empathie et se pose en victime. Il est probable que dans son parcours de vie la problématique de « l’abandon » (réelle ou symbolique) ait occupé une place centrale. Audrey est fortement clivée entre une face sombre dont elle a besoin pour jouir de la souffrance des autres et une face lumineuse pour survivre dans le monde professionnel et se construire une image gratifiante. Le danger est là : la duplicité !

Savoir et pouvoir dire « non »

Son supérieur hiérarchique m’indique qu’il est en train de monter un dossier en rassemblant des témoignages et des preuves de comportements harcelants. C’est sa responsabilité. Ce sera, je l’apprendrai par la suite, la responsabilité aussi des tribunaux suite à un dépôt de plainte. La perversité narcissique relève de la psychiatrie, le coach professionnel se perdrait à vouloir comprendre et traiter cette pathologie. Ce n’est pas son rôle, il n’en a pas la compétence. Dans ce type de situation, il est important de savoir dire « non » à celle qui, avant d’être un « bourreau » a été une victime. L’un n’excusant pas l’autre.

Article à la fois intéressant et instructif ! Merci pour ce partage d’expérience 💡

Angeliki Pruniaux (Angeliki Conseils)

☯️ Conjuguer sens, impact et épanouissement 🎯 Coach professionnelle | Consultante en transitions professionnelles | Leadership | Quête de sens | Cohésion | 30 ans d’industrie | ex-MedTech Communication Lead

1 ans

Merci pour ce témoignage : la posture adoptée, la réflexion et la subtilité de l’approche. Très éclairant d’autant que j’ai croisé souvent ces profils en direction, séduisants, excessivement intelligents, manipulateurs. Ils réveillent en moi à la fois un instinct de survie (au secours fuyons) et de l’impuissance face à la nécessité de devoir collaborer 🤪

Anne Charlotte Grüner

Striving to learn, and teach new things every day.

1 ans

Merci pour ce témoignage très percutant et tellement vrai. En tant que manager, on se sent parfois défaillant en face de telles personnes...

Franck Lemercier

Consultant interne chez Chateauform

1 ans

Intéressant Laurent ! On parle de la « posture » et de la « demande » de la drh ou pas ? 🤔 Et a l’effet/cause systémique de ce constat ? Bref le pb est il vraiment le pb ? Je m’interroge toujours dans ce genre de cas…

Thomas Traissac

Business Partner Communication RSE Innovation Digital Direction Entreprises France (DEF)

1 ans

Bravo Laurent SABBAH mais si à chaque fois qu une personne est déviante et pas exemplaire tu ne vas pas avoir beaucoup de clients - malheureusement ce type de comportement est cautionné par la culture de l entreprise et rarement jugé par la justice et ses pairs - mais à 100% en phase avec toi il faut le courage de ses convictions de ses valeurs - j ai quitté très vite le monde des agences de communication car je n avais pas envie de tuer mon collègue pour réussir

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