Je ne suis pas une victime

La première agression a eu lieu dans le sous-sol d’une grande tante. J’avais 4 ans. 

Ensuite, entre quatre et 35 ans, il y en a eu trois autres. 

Une agression sexuelle sur la plage par un pur inconnu et deux cas de harcèlement au travail. 

J’ai dénoncé, toutes les fois! 

J’ai même démissionné de deux postes de journaliste (dont un à Radio-Canada) au risque de mettre un terme à ma carrière en pleine expansion.

J’ai brisé le silence certes, mais j’ai continué (sans le savoir) pendant des années à porter le manteau de la « victime ».

Je me suis convaincue qu’il valait mieux cacher ma grande sensibilité et ma vulnérabilité au risque de vivre une autre agression. 

J’ai construit une solide carapace et développé un puissant mécanisme de défense: la rage. 

La colère et le ressentiment sont devenus mes armes de guerre. 

Elles ont fait fuir les agresseurs, mais elles m’ont également enfermée dans une prison sans lumière. 

Puis un jour, ce que j’ai construit avec acharnement pour faire « payer mes oppresseurs » a fini par me détruire. 

À force de cultiver la haine, je suis devenue mon pire bourreau! 

Vinrent alors la dépression, la maladie, la faillite personnelle et plus de 10 ans de guérison et de travail de reconstruction. 

Autant d’épreuves pour percer le mur de mon coeur meurtri. 

Autant d’épreuves pour me faire prendre conscience que je pouvais déployer la même énergie à haïr, qu’à aimer. 

Et que l’amour, contrairement à la rage, apaise les peurs et les insécurités au lieu de les attiser. 

Autant d’épreuves pour me faire réaliser que je ne suis pas, et n’ai jamais été, la victime de rien ni de personne. 

Je ne suis pas une victime parce que personne n’a le pouvoir de dicter comment je me sens, à part moi.

Je ne suis pas une victime parce que ma valeur ne dépend aucunement de l’opinion des autres, des médias ou de la société.

Je ne suis pas une victime parce que ma beauté est dictée par mon propre regard et non par ce que je porte ou comment je me déhanche. 

Je ne suis pas une victime parce que j’ai le pouvoir de choisir d’aimer tout le monde, y compris mes ennemis, les agresseurs et ceux qui ont des opinions différentes des miennes.

Je ne suis pas une victime parce que j’ai le pouvoir de choisir de m’aimer et de pardonner, peu importe ce qu’on me fait ou me dit. 

Je ne suis pas une victime, pas plus que les hommes qui ont posé les gestes d’agression sur moi sont « des monstres », « des larves humaines » ou « des déchets de la société ».

L’histoire l’a bien prouvé, on ne combat pas la haine par la haine. 

On guérit la haine avec l’ouverture, l’empathie, la bienveillance et l’amour. 

Nous avons une chance extraordinaire en ce moment de nous élever en tant qu’individu et société au-dessus des propos haineux, des préjugés et du mépris qui entrainent la violence, les abus et les agressions que nous dénonçons! 

Mais ultimement, ce choix nous revient. 

Personnellement, pour avoir flirté avec l’univers malsain et anxiogène de la revanche, je préfère de loin le chemin de l’amour et de l’empathie à celui de la colère et de la loi du talion. 

Même si le chemin de l’amour inconditionnel est moins populaire, c’est celui que je choisis, car il a ouvert les portes de ma prison intérieure et m’a permis de cracher le poison qui me tuait à petit feu. 

L’amour et l’acceptation n’excusent aucunement les gestes haineux, mais ils nous libèrent et créent l’ouverture nécessaire pour la guérison et la paix du coeur. 

Aujourd’hui, je ne porte aucun ressentiment pour les hommes qui ont commis ces gestes, car ils n’ont plus aucune emprise sur moi. 

Au contraire, je suis convaincue que ces épreuves m’ont permis de réaliser ma propre force intérieure. 

Bien évidemment, j’aurais aimé découvrir mon pouvoir intérieur sans passer par les agressions, mais c’est le chemin que la vie m’a fait prendre et j’ai fait la paix avec cela. 

Car au final, je ne suis pas une victime…

J’ai un nom. 

Je m’appelle Katerine.

#metoo, #jenesuispasunevictime