"Je vous offre ma différence, mon cœur n'est sourd de rien" - Emmanuelle Laborit

J’achève à l’instant, des larmes pleins les yeux, la lecture du livre de Virginie Delalande, première avocate sourde de naissance en France, « abandonner ? Jamais ! » paru aux éditions Kawa.

« Rayonner comme je le fais aujourd’hui n’a pas toujours relevé de l’évidence. C’est en me débattant au creux de la vague que j’ai découvert comment surfer ensuite avec passion, comment apprendre à vivre avec cette étiquette « je suis différente » que je n’ai pas choisie et que je subis ».

Le ton est donné : dans ce magnifique récit autobiographique, la très inspirante Virginie Delalande nous explique comment elle a appris à se battre, avec courage, persévérance, humanité et débrouillardise, pour trouver sa place et sortir du moule dans lequel on cherchait à l’enfermer.

Comment elle a progressivement pris conscience du pouvoir de sa différence. Comment elle a fait pour explorer son champs des possibles et imaginer de nouveaux horizons.

Comment elle est peu à peu sortie du cadre, pour chercher à comprendre. Comment elle a été amenée à revisiter ses convictions personnelles, bousculer ses certitudes, percevoir le monde autrement, prendre de la hauteur, faire le tri, focaliser son énergie sur les bons combats...

Comment elle est un jour parvenue à arrêter d’encaisser sans prendre soin d’elle. Comment elle a réussi à s’accepter telle qu’elle est, à devenir vraiment elle-même, à dessiner son propre chemin.

Comment, après être passée par une phase très difficile de doutes et de profonde remise en cause, elle a réappris à vibrer et à sentir la flamme de la vie couler à nouveau dans ses veines.

« Je ressens des émotions négatives, je broie du noir, je ne vois que le côté négatif de mon handicap, les barrières qui se dressent devant moi : tout ce qui est oral me met en difficulté, les réunions où tout le monde parle en même temps, les soirées, les restaurants, les messages d’annonce dans le métro et dans les gares que je n’entends pas. J’ai le sentiment d’avoir des Everest à grimper tous les jours. J’ai le sentiment d’être renvoyée en permanence à mes difficultés, à mes faiblesses. Je suis fatiguée de porter toutes mes années de surcompensation de mon handicap, de frustration. Je me sens nulle parce que je ne comprends pas les mots qui sont prononcés. J’ai peur du rejet, de la moquerie, de l’indifférence. J’ai peur de déranger, peur de demander de l’aide, peur de parler de mes difficultés à mon entourage, peur d’exposer ma vulnérabilité. Je me sens lessivée de porter cette vulnérabilité, de me sentir si fragile. J’en ai marre de faire des efforts qui m’épuisent et de me mettre dans des situations désagréables. Je pleure dans mon coin, je souffre d’injustice, j’éprouve de la colère face à ce foutu handicap qui me met dans des situations compliquées que personne n’a l’air de percevoir. Je me sens seule avec toutes mes interrogations, mes souffrances. Je me sens seule pour trouver mes solutions, j’ai le sentiment que personne ne comprend vraiment ce que je traverse, que rien n’est fait pour s’adapter à moi alors que tout le monde sait parfaitement que je suis « sourde » et ce que le mot « sourd » veut dire. J’ai l’impression de devoir imposer aux gens mes contraintes, avec le sentiment que cela leur casse les pieds. (...) Et puis c’est l’humiliation totale que de s’avouer vaincue, cernée, en position de grande faiblesse quand on a voulu montrer une image de « perfection ». J’ai plus que les autres besoin d’être reconnue à ma juste valeur. J’ai trop d’ego pour accepter d’être dépendante ! »

Elle nous explique alors comment être proactive lui a permis reprendre le contrôle sur les choses et de se délester progressivement du sentiment d’être « un boulet ».

« Ce défaut est aussi un moteur pour ne rien lâcher. Cela nourrit ma soif de revanche. Cela me donne l’énergie de surpasser les obstacles, l’envie de croire en mes rêves, de repousser mes propres limites, de découvrir des nouveaux chemins possibles, de ne pas me soumettre au regard des autres et à leurs préjugés, de prendre ma vie en main. »

Mue par l’envie, une envie vertigineuse de partage et de générosité, Virginie se met alors en mouvement.

« J’ai envie de répondre au besoin de cette adolescente que j’étais et qui cherchait un modèle de réussite pour arriver à se projeter dans un futur positif avec un handicap.

J’ai envie de témoigner de mes combats, de cette volonté farouche de m’en sortir, de mon amour immodéré pour la vie et le bonheur. J’ai envie de m’exprimer pour changer le regard de la société sur le handicap, de montrer que le handicap peut aussi être vu comme une force, une inspiration, une richesse. Et surtout qu’il remet de l’humain dans notre monde qui en a bien besoin.

J’ai envie d’aider chacun à s’affranchir de ses propres peurs, barrières, de permettre à chacun de prendre confiance en lui, d’oser sortir de sa zone de confort, d’apprendre sans cesse, de repousser ses limites, d’explorer ce qui lui fait envie et peur à la fois, pour raviver la flamme qui l’aide à soulever ses propres montagnes, pour lui permettre de se construire la vie qui lui correspond vraiment, pour viser grand et aller tutoyer les étoiles. J’adore les pages blanches, les murs à briser, les sorties de zone de confort. »

Et de conclure: « Écoutez votre petite voix intérieure, cette petite voix qui vous veut beaucoup de bien, celle qui vous dit « yes, you can ». C’est votre étincelle de vie, la voix de vos tripes, la voix de votre cœur. C’est celle qui vous connaît le mieux et sait ce dont vous êtes capable. Apprenez à l’apprivoiser, laissez tomber les masques, les carapaces, les moules. Soyez vrai, soyez vous-même, partagez votre vulnérabilité, vos réussites mais aussi vos échecs, vos douceurs, ce que vous avez de plus beau en vous. (...)

« Autorisez vous à rêver grand et foncez vers le meilleur de vous-même. Soyez résilient, ne résistez pas, prenez du recul, continuez à croire en l’avenir. Voyez l’opportunité au milieu du chaos, restez serein et optimiste. Continuez à semer vos graines: certaines mourront, mais d’autres vont germer... Prenez la responsabilité de votre vie. » (...)

« Croyez en vous! Personne ne connaît votre futur, c’est à vous de le créer. Ne laissez jamais personne vous dire que nous n’avez pas ce qu’il faut pour réussir, ni vous définir à votre place, ni vous dire de quoi vous êtes vraiment capable. Personne ne connaît l’intensité de votre motivation, personne ne vit votre vie. C’est votre vie à vous, pas celle de quelqu’un d’autre. Alors réveillez votre envie de changer le monde : écoutez vos rêves et foncez! ».

Merci infiniment Virginie Delalande pour cette très belle leçon de vie, de résilience et d’espoir. Merci pour cette invitation à prendre rendez-vous avec soi-même pour retrouver de l’espoir là où il défaille.Et merci surtout pour cette formidable énergie positive et contagieuse que vous incarnez, et qui réveille en chacun de nous la flamme endormie de ses propres envies et redonne de la force à ses ressources enfouies.